Titre

En transit

Sous titre

Les Syriens à Beyrouth, Marseille, Le Havre, New York,1880-1914

Auteur

Céline Regnard

Type

livre

Editeur

Paris : Anamosa, sept. 2022

Nombre de pages

416 p.-36 p. de photos.

Prix

26 €

Date de publication

22 juin 2023

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En transit : les Syriens à Beyrouth, Marseille, Le Havre, New York, 1880-1914.

On sait que les parcours migratoires comportent souvent de nombreuses escales, courtes ou longues avant de parvenir à l’éventuelle destination finale : c’est le transit, ce moment intermédiaire en un lieu incertain. C’est le propos de ce livre de s’intéresser aux conditions de ce passage pour les migrants “syriens”, en fait, essentiellement originaires de la région du Liban actuel qui n’existait pas encore, région administrée par l’Empire ottoman. Les lieux de transit sont des ports ; les villes majeures du parcours migratoire vers les États-Unis d’Amérique étant Beyrouth au départ, Marseille et Le Havre pour le transit en France et New York en point d’entrée sur le continent américain. La période choisie est celle de la fin du XIXe siècle jusqu’à la première guerre mondiale.

Il s’agit d’un travail d’historienne et de chercheuse : Céline Regnard travaille au laboratoire Telemme du CNRS ; elle est directrice adjointe de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme à Aix en Provence1, elle applique une forte rigueur scientifique en citant de façon précise ses sources extrêmement nombreuses et détaillées qui sont des témoignages, des notes administratives ou des articles de presse, à l’appui des analyses proposées. Cette démarche rigoureuse rend, il faut le dire, la lecture un peu fastidieuse dans ses détails, ce qui réserve le livre aux chercheurs ou aux spécialistes des migrations2. Mais cette réserve ne doit pas masquer l’intérêt profond des analyses qui y sont développées avec un découpage thématique bien organisé en “cinq fenêtres sur un même objet… regards sur la déclinaison d’une expérience”.

Habiter le transit : le logement de transit se fait, selon les cas, chez l’habitant en mobilisant des réseaux relationnels, dans des hôtels ou pensions, ce qui entraine une économie spécialisée dans l’accueil temporaire des migrants et interfère avec les stratégies des compagnies maritimes.

Vivre le contrôle : il s’agit d’abord de contourner l’interdiction d’émigration de l’Empire ottoman, puis de passer les contrôles aux frontières, avec la crainte d’être refoulé à l’arrivée dans le pays de destination finale, les USA : c’est le contrôle dans Ellis Island aménagé pour le tri des migrants. Plusieurs critères sont mobilisés autour de la capacité d’intégration mais l’aspect médical semble le plus anxiogène en raison de nombreux cas de trachome (maladie des yeux) provoquant le refoulement.

Un monde d’escrocs : les racoleurs ou pisteurs, souvent des compatriotes, fleurissent autour des migrants en transit, avec une frontière peu claire entre surfacturation de services et escroquerie proprement dite, notamment sur la vente de billets pour le bateau.

Un univers de ressources : le transit est une expérience d’apprentissage que l’on transmet aux migrants futurs à partir de la diffusion d’informations (par exemple les stratégies vestimentaires), et de réseaux relationnels (famille et communautés). La loi est aussi mise à contribution dans les stratégies de migration avec d’éventuels dépôts de plainte.

Au miroir du transit : les représentations qui émergent révèlent une identité stéréotypée relevant du regard orientaliste mélangeant empathie, déconsidération (saleté, passivité mensonges…), fascination. Cela débouche alors sur un discours racial, bien plus aux USA qu’en France, et sur l’énoncé de la supériorité de l’Occident à travers sa modernité.

Cette dernière partie sur les représentations est sans doute la plus intéressante en ce qu’elle peut renvoyer, le plus, aux problématiques d’aujourd’hui.

On peut cependant regretter que, malgré certains passages, la contextualisation ne soit pas plus développée pour mettre en perspective les matériaux très riches accumulés dans cet ouvrage. Par exemple : Les conditions de vie des autres migrants, ou même des populations pauvres des villes traversées, sont-elles différentes ? Ou, encore : Comment intervient la dimension religieuse qui entoure les représentations, même si l’autrice précise que les migrants peuvent arguer de leur qualité de chrétiens pour être mieux acceptés ?

Xavier Godard

Administrateur de CDM

Notes de la rédaction