L’évocation d’Amalek, une rhétorique israélienne de déshumanisation des Palestiniens. Un communiqué de L’Œuvre d’Orient sur les récentes violences de colons en Cisjordanie.

Nous faisons écho à un rapport de l’AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine) sur le “cas Amalek”, une figure de la Bible incarnant l’ennemi qu’Israël a le devoir sacré d’exterminer (1). Cette assimilation d’Amalek aux Arabes palestiniens prend de l’ampleur dans un discours aujourd’hui fréquent en Israël, alors même qu’elle peut paraître ésotérique à des personnes étrangères à l’histoire biblique, et aux méandres de la politique en Israël.

(1) Voir Deutéronome ch.25, v.17-19, 1er livre de Samuel ch.15, etc. Le passage cité par Benjamin Netanyahu dans un discours du , appelant à “l’extermination d’Amalek”, est au 1er livre de Samuel ch.15, v.3.

-o-

C’est sur le fond de tels discours que se comprennent les assassinats de Palestiniens en Cisjordanie, qui se sont multipliés depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. Plusieurs centaines de Palestiniens ont été massacrés en Cisjordanie, par des colons ou des unités de l’armée, sans qu’aucune protestation sérieuse, autre que purement verbale, n’ait été émise en Occident. Voir un article de l’ONG américaine Human Rights Watch de novembre 2023 :

Il est d’autant plus remarquable qu’une indignation subite et générale, en Europe et aux États-Unis, et y compris en Israël, se soit exprimée à la suite de l’attaque mortelle sur le village palestinien de Jit, entre Naplouse et Qalqilya, le 15 août 2024. Voir par exemple l’article du 16 août 2024 publié par le quotidien Le Parisien, où le terme “pogrom” est utilisé. Cela tient sans doute à l’importance que le président Biden accorde aux négociations en cours sur un cessez-le-feu à Gaza, que cette agression pourrait faire échouer. Lui, ainsi que Kamala Harris, la candidate potentielle du Parti démocrate à l’élection présidentielle, doivent faire face à un courant critique de certains jeunes démocrates à l’égard de leur attitude vis-à-vis d’Israël.

De son côté, notre partenaire L’Œuvre d’Orient a publié le communiqué de presse suivant.

“L’Œuvre d’Orient s’insurge contre les violences commises en Cisjordanie en particulier par les colons israéliens dont la présence n’est pas légitime au regard du droit international.

Le gouvernement israélien doit prendre d’urgence ses responsabilités s’il veut vraiment aboutir à la paix et à la sécurité pour tous. Les comportements des colons ne font qu’attiser la haine, la violence, l’esprit de vengeance.

La communauté internationale doit également réagir non seulement avec fermeté mais aussi avec efficacité.”

Son Directeur général, Mgr Pascal Gollnisch, a publié le 31 juillet 2024 une Tribune dans le quotidien Le Monde, “Le peuple palestinien est devenu un peuple oublié” (réservé aux abonnés). Il entend “s’engager dans le soutien des chrétiens de Terre sainte, dont l’histoire se confond avec celle des Palestiniens”.

-o-

Le long rapport sur Amalek de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) doit retenir l’attention. On le trouvera ici en intégralité tel qu’il est sur le site de l’association. En voici quelques extraits.

L’invocation d’Amalek en Israël : de la rhétorique religieuse extrémiste au projet totalitaire culminant dans le génocide de Gaza

11 juin 2024

“Cet article examine un aspect fondamental de l’anatomie du génocide en cours à Gaza, à savoir l’invocation d’Amalek. Les génocides ne se décrètent pas facilement ; ils nécessitent un socle idéologique et un ensemble de références culturelles ou religieuses susceptibles de les rendre acceptables pour une partie significative de la société. Nous démontrons ici que l’invocation d’Amalek dans le discours public israélien est passée, au cours des dernières décennies, de la rhétorique extrémiste religieuse à l’endoctrinement idéologique sur le terrain social et politique. A l’issue d’un long processus initié en 1967 au lendemain de la guerre des Six Jours, elle est aujourd’hui devenue un programme politique aboutissant au développement d’une politique de colonisation et d’apartheid de plus en plus violente et agressive, conduisant au génocide actuel. Cette invocation génocidaire d’Amalek ne se limite pas aux éléments les plus extrémistes de la société israélienne, comme le premier ministre, mais s’étend même aux milieux académiques. Par exemple, Ariel Porat, professeur de droit et président de l’Université de Tel Aviv, a également repris ce discours. Les soldats israéliens, formés et endoctrinés dans cette idéologie, ont immédiatement compris l’appel de leur premier ministre, faisant d’Amalek le nom de code du génocide en cours. Il n’est donc pas surprenant que l’équipe juridique de l’Afrique du Sud accorde une place importante à cette question dans sa plaidoirie devant la Cour internationale de Justice. Cette invocation d’Amalek constitue pour eux un élément clé pour établir l’intention génocidaire israélienne dans la procédure engagée par l’Afrique du Sud contre Israël concernant l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza.

(…)

Un immense effort de travail exégétique a été mené au fil du temps afin de vider peu à peu le signifiant Amalek et le ‘mitzvah du génocide’ de tout contenu historique et de toute portée pratique, pour lui conférer un sens purement eschatologique, mythologique ou psychologique, entre autres. Le corrélat liturgique de cette entreprise herméneutique millénaire est cristallisé dans le rituel symbolique du ‘Shabbat Zakhor’ qui a lieu chaque année lors de la fête de Pourim. Selon une autre tradition, encore aujourd’hui en usage dans certains cercles ultra-orthodoxes, les scribes, dans le cadre d’un exercice habituel d’échauffement de la main, écrivaient aussi le mot ‘Amalek’, puis l’effaçaient immédiatement, le plus souvent en traçant des lignes par-dessus ou en rayant le papier à l’aide d’un grattoir. Plus généralement, Martin Jaffee souligne combien ‘le tournant crucial dans la tradition rabbinique à propos d’Amalek consiste dans le refus absolu de la possibilité d’identifier avec certitude toute nation existante comme étant la ‘semence d’Amalek’. Après la création de l’État d’Israël et singulièrement depuis 1967, on assiste cependant à une remise en cause de cette longue et riche tradition herméneutique dans certains cercles sionistes extrémistes et messianiques comme le kahanisme.

(…)

Il y a une vingtaine d’années, l’ancienne ministre Shulamit Aloni avait dénoncé à plusieurs reprises cette idéologie messianique extrémiste propagée non seulement parmi les colons (‘Ce n’est pas une coïncidence si, dans les colonies, les Palestiniens sont appelés Amalek, et l’intention est évidente pour tout le monde’), mais aussi au sein de l’enseignement scolaire : ‘Beaucoup de nos enfants sont endoctrinés, dans les écoles religieuses, à croire que les Arabes sont Amalek, et que la Bible nous enjoint à détruire Amalek’.

(…) cette logique totalitaire dont l’invocation rhétorique d’Amalek est aujourd’hui le nom s’est infiltrée dans l’ensemble de la société israélienne, touchant aussi bien les soldats que les universitaires et les politiciens ; le génocide actuellement en cours à Gaza en constitue le point culminant. En dépit de tous les avertissements qu’elle a systématiquement ignorés, la communauté internationale a jusqu’ici persévéré dans son soutien aveugle à un régime monstrueux de colonisation et d’apartheid, au prix de profondes contradictions avec les valeurs universelles des droits de l’homme qu’elle prétend défendre. Malgré d’innombrables preuves irréfutables documentant les atrocités insoutenables commises par ce régime et son armée, cet aveuglement a persisté longtemps après le déclenchement du génocide. Aujourd’hui pourtant, le mur de l’impunité commence enfin à se fissurer, grâce au courage de l’Afrique du Sud et d’autres pays du Sud qui ont saisi la Cour internationale de Justice au nom du respect du droit international, et à celui de la jeunesse mondiale qui, dans de nombreuses universités, se mobilise pour dénoncer le génocide en cours et exiger une rupture avec le régime coupable d’un tel crime contre l’humanité.

Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP)

Retour à l’accueil