Bien chers amis,
C’est sur un fond de morosité générale et d’inquiétude devant les risques de spirale de la violence en Syrie que nous vivons ce démarrage d’après l’été, une rentrée déjà bien entamée pour beaucoup. Nous avons eu droit à une guerre médiatique et à une riposte parfois sanglantesuite à la diffusion du film plein de haine et de dérision sur le Prophète de l’Islam, Mohamed. Puis ce sont des caricatures, de lui encore, qui ont fait l’actualité, issues d’un journal « bête et méchant » diffusé dans un pays qui inscrit sur ses façades officielles les mots d’Egalité et de Fraternité à côté de celui de Liberté. Mais que devient la Fraternité devant une Liberté qui la tue ?
Les répressions incontrôlées et parfois sanguinaires qui ont suivi ces deux agressions médiatiques ont été démesurées et insoutenables. Elles ont souvent atteint des victimes innocentes et entraîné le pillage de lieux de culte chrétiens. Des journalistes et des responsables musulmans n’ont pas craint de dénoncer ces débordements.
Quelle main invisible guide tout cela ? Sûrement pas celle de Dieu ! Sûrement pas celle du respect des droits humains qui consisteraient à pouvoir tout faire au nom de la sacro-sainte Liberté ! Nous sommes devant l’injustifiable.
Mais il ne s’agit pas seulement de renvoyer les adversaires dos à dos. Nous sommes devant des conflits qui durent et semblent ne pas trouver d’issue : guerre civile en Syrie, guerre au Mali, et combien de remous qui secouent diversement à la fois les pays musulmans et les nations occidentales ? Le danger serait d’avoir des réactions de défense qui mettraient face à face bloc « arabo-musulman » et bloc « christiano-occidental ». Ce sont nos sociétés et nos communautés de foi qui, à l’intérieur d’elles-mêmes, sont en crise. Une analyse trop facile et primaire nous conduirait directement vers « le choc des civilisations » imaginé par Samuel Huntington en 1997 dans le livre qui en porte le titre : « Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit sont culturelles… Les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur ».
Serions-nous donc irrémédiablement entraînés dans cette spirale infernale ? Tout en prenant en compte cette réflexion, quelle attitude la plus évangélique suivre dans ce qui paraît à beaucoup comme irrémédiable, voir même apocalyptique ? Où l’Eglise doit-elle être présente aujourd’hui sinon sur ces lignes de fracture ? D’ailleurs elle y est déjà, tantôt victime, tantôt actrice et manifestant l’inlassable charité du Christ.
Dans un de ses nombreux écrits, Pierre Claverie écrivait : « Jésus n’est pas seulement le prophète de l’amour divin, mais il a donné sa vie pour le manifester. Il l’a fait en plaçant sa vie et son œuvre sur les lignes de fracture de l’humanité blessée : fracture de l’homme désorienté parce qu’il a perdu le sens de sa vie, fractures entre les humains qui s’excluent les uns les autres ou s’exploitent et s’écrasent… » (Lettres et messages d’Algérie – Ed Karthala – p. 22).
Au moment où il écrivait ces lignes, nous étions déjà sur cette ligne de fracture. Et nous y sommes encore. La crédibilité et de l’Eglise et du message qu’elle porte se joue sur sa façon d’être présente là où notre monde est en souffrance. Bientôt va s’ouvrir leSynode sur la « Nouvelle Evangélisation ». Ce que nous attendons n’est pas la définition de nouveaux dogmes, l’établissement de nouvelles stratégies pastorales, maisl’engagement de l’Eglise à réduire la distance entre ce qu’elle annonce et ce qu’elle vit. Là, nous sommes tous directement impliqués.
« Par-dessus tout nous redécouvrons l’évidence que notre foi nous tenait de tenir avec Jésus-Christ : sans le respect de la personne humaine, aucun projet moral, social, politique ou religieux ne peut emporter notre adhésion. Le test de l’authenticité de nos professions de foi réside dans notre attitude à l’égard des personnes concrètes » (P. Claverie – Op. cité.- p. 180).
+ Claude, votre frère évêque.