Les Palestiniens ont-ils le droit de se défendre pour libérer leur pays occupé ? Par Maître Maurice Buttin.

Ce texte, écrit courant octobre 2023, ne nous est parvenu que récemment. Comme il replace les événements actuels à Gaza et en Cisjordanie dans leur histoire longue, il garde aujourd’hui toute sa raison d’être. Il pose de manière instante la question de la survie, non pas d’Israël, dont l’existence est garantie par le soutien sans faille de la plus grande puissance du monde, mais des Palestiniens dont l’existence même comme peuple est ouvertement niée par des ministres israéliens, et leurs déclarations n’ont jamais été contredites par leur gouvernement.

Me Maurice Buttin est membre du Conseil d’administration de CDM.

Avant d’aborder les tragiques événements du week-end [des 7-8 octobre 2023], un bref point d’histoire s’impose pour les comprendre.

Sans remonter à la double trahison du monde arabe par la France et la Grande-Bretagne en 1916-1917 (les deux pays se partageant le Proche-Orient et la Grande-Bretagne, après la Déclaration Balfour, offrant aux Juifs, dans le cadre de son mandat, la création d’un Foyer National en Palestine), il faut rappeler le partage de la Palestine le 29 novembre 1947 par les Nations Unies, en deux États, l’un juif, l’autre arabe – sans demander quoi que ce soit aux indigènes de ce pays, les Palestiniens, en violation des règles de base de la Charte de l’ONU sur le droit à l’autodétermination. Comme l’a écrit l’écrivain hongrois Arthur Koestler,

« les grandes puissances (Etats-Unis, URSS, France etc. qui ont appuyé la partition) ont partagé un territoire qui ne leur appartenait pas et donné, ainsi, à une tierce partie, ce qui appartenait à une autre ». J’ajouterai non concernée par la Shoah, c’est-à-dire la mort de 6 millions de Juifs.

Après leur révolte contre !’occupant britannique, les Juifs, colonisateurs de la Palestine, proclament, par leur leader David Ben Gourion, leur État, qu’ils nomment Israël, le 14 mai 1948. Les Arabes (Palestiniens), proclament, eux, par le Conseil National Palestinien, leur État, la Palestine, le 15 novembre 1988, mais seulement sur 22 % du mandat britannique, l’État d’Israël ayant porté sa surface à 78 % du mandat après une première guerre perdue par les États arabes et après la signature de divers armistices en 1949. Cet État de Palestine est aujourd’hui reconnu par 138 États, dont le Vatican, et la Suède en dernier lieu. Il est membre à part entière de l’UNESCO et d’autres organisations de l’ONU. Il a même obtenu le statut d’État observateur à cet organisme depuis le 29 novembre 2012, comme le Vatican antérieurement. Il a reconnu de facto l’État d’Israël par sa proclamation.

Mais, ces 22 % sont OCCUPES depuis juin 1967 (la Guerre de six jours) par l’État d’Israël, dont les dirigeants – leur idéologie sioniste, la charte du Likoud, les faits sur le terrain (annexion de facto d’une grande partie de la Cisjordanie par le développement de colonies, de routes de !’apartheid, d’un mur dit de ‘séparation’, bien au-delà de la ‘ligne verte’ établie lors des armistices de 1949) – affirment qu’il n’y aura jamais d’État palestinien, lorsqu’ils ne nient pas l’existence même des Palestiniens !

Les tragiques événements du week-end des 7 et 8 octobre 2023

Le samedi 7 octobre à l’aube, déjouant les célèbres services de renseignement israéliens, cinquante ans après la Guerre du Kippour pour les uns, du Ramadan pour les autres, la branche armée du Hamas, lance !’opération «Déluge d’Al-Aqsa» (en référence aux violations de plus en plus fréquentes depuis le début de l’année des lieux saints musulmans, !’esplanade des Mosquées, par des Juifs radicaux appuyés par l’armée israélienne). 5 000 roquettes sont lancées, touchant diverses villes israéliennes, dont la plus proche, Sderot. En même temps, des commandos de résistants armés pénètrent en Israël « par la mer, les airs et la terre », selon les déclarations de l’armée israélienne – ou agissent au sein même d’Israël – ce que nul n’indique, comme par hasard. Ils occupent 22 positions. 7 colonies sont attaquées. Pres de 900 Israéliens (1) militaires et civils sont tués, plus de deux mille blessés, 130 à 150 otages enlevés (2). Il s’agit là, par ces résistants, de représailles de choc à l’OCCUPATION de la Palestine, comme de leur côté les commandos de Jenine, Ramallah ou Naplouse, n’ont cessé d’agir depuis des mois. Les chefs du Hamas le déclarent : « Nous avons décidé de mettre fin à tous les crimes de l ‘occupation ».

Israël, la surprise passée, comme en octobre 1973, réagit immédiatement et lance dès le samedi, en répression (et non en « représailles », souvenons-nous de la célèbre phrase prémonitoire du général De Gaulle, dans sa conférence de presse du 27 novembre 1967, « Maintenant, il (Israël) organise, sur les territoires qu ‘il a pris, !’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme ») d’intensifs bombardements aériens – plus de 1 630 raids en deux jours outre l’emploi de l’artillerie, causant les seuls samedi et dimanche, la mort de 416 Palestiniens, dont 79 enfants et 42 femmes, plus de 2 300 blessés, des dégâts considérables (deux jardins d’enfants, cinq cafés et restaurants, douze grands immeubles détruits, des dizaines de maisons et bâtiments publics, deux pharmacies) – tous des repaires de « terroristes » selon les dires des dirigeants israéliens ! 130 000 Gazaouis ont dû quitter la ville, selon le Bureau de coordination des affaires humaines de l’ONU.

Les bombardements ont repris le lundi 9 avec une nouvelle opération « Sabre d’acier » lancée par l’armée israélienne. Des dizaines d’avions de chasse ont frappé et frappent Gaza, de même des chars et de l’artillerie. De son côté, le Hamas continue de lancer des roquettes sur les villes israéliennes. A l’heure où j’écris ces lignes, je ne connais pas la triste liste des nouvelles victimes de part et d’autre, notamment de civils, ce que je ne peux que déplorer. Mais à qui la faute ? Qui a expulsé 700 000 Palestiniens en 1948-49 (la Nakba, la grande catastrophe du peuple palestinien) ? Qui a tué des milliers de Palestiniens depuis le partage de 1947 ? Qui a refusé la victoire du Hamas lors d’élections parfaitement légales en 2006 ? Qui a arrêté 30 parlementaires palestiniens régulièrement élus, quelques semaines après ? Qui depuis 2007 a fait de la bande de Gaza une « prison à ciel ouvert », affamant deux millions de Palestiniens ?

Je note que fort justement le Premier min1stre Benyamin Netanyahou a déclaré :

« Nous sommes en guerre, il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre », ajoutant : « L’ennemi payera un prix sans précédent ».

Et d’ordonner la coupure du gaz, de l’eau et de l’électricité roumis par Israël aux Gazaouis, en violation une fois de plus du droit international… Oui, il s’agit bien d’une guerre de libération. Forcément elle entraîne la mort de combattants, mais aussi de civils. Qui a oublié les bombardements de Dresde et de Hambourg sur l’Allemagne ou d’Hiroshima et de Nagasaki sur le Japon ?

Le JDD (Journal du Dimanche) du 8 octobre – tout en critiquant le Hamas par le biais d’un interview de Frédéric Encel, professeur à Sciences Po Paris – reconnaît que « le Hamas a replacé la cause palestinienne de façon spectaculaire au premier plan ». Oui, d’abord, pour mettre !’ensemble des États arabes en face de leur responsabilité, ou de leur trahison, quant à la cause palestinienne, qui fut pendant longtemps (du moins dans leurs discours) leur « cause principale ». L’ Arabie saoudite, que d’aucuns croyaient proche d’un accord avec Israël, l’a bien compris. Elle a immédiatement dénoncé « les forces d’occupation israéliennes » et « les dangers d’une situation explosive résultant d’une occupation continue, de la privation des Palestiniens de leurs droits légitimes ». Bien évidemment, la majorité des dirigeants arabes, et en tout cas la totalité des peuples arabes, ont salué la « fière opération Déluge d’Al Aqsa » engagée par le Hamas, comme l’ont fait, de leur côté, les dirigeants de l’Iran ou ceux du Hezbollah libanais.

L’OCI (Organisation de la Coopération Islamique) a rappelé que « l’attaque de samedi était le résultat de l’OCCUPATION et de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes ». Certains pays, comme la Chine, la Russie, la Turquie, le Brésil ont simplement appelé à la désescalade, sans condamner un camp ou l’autre.

Ensuite le Hamas a agi pour rappeler aux dirigeants du monde entier, particulièrement occidentaux, responsables de la création de l’État d’Israël, leur devoir quant à la nécessité, sans tarder davantage, d’un juste règlement de la « question palestinienne ».

Comment ceux-ci peuvent-ils « oublier » à ce point que depuis la création de l’Etat d’Israël ses dirigeants font fi, se moquent, du droit international et des résolutions de l’ONU condamnant l’OCCUPATION de la Palestine et son annexion, peu à peu, par le développement de plus d’une centaine de colonies – sachant qu’ils bénéficient d’une totale impunité, par l’emploi du droit de veto de leur fidèle allié au Conseil de Sécurité, les États-Unis ? Aujourd’hui encore, le président Joe Biden, « condamnant !’organisation terroriste du Hamas, assure que le soutien des USA à l’État d’Israël est gravé dans le marbre et est inébranlable ». Et d’ajouter : « Nous veillerons à ce que les Israéliens reçoivent !’aide dont ils ont besoin pour continuer à se défendre. Israël a le droit de se défendre et de défendre son peuple ».

Ce droit d’Israël à se défendre sera repris par tous les dirigeants occidentaux, français, italiens, allemands, anglais, etc. ou presque. « C’est le terrorisme sous sa forme la plus méprisable. Israël a le droit de se défendre contre des attaques aussi odieuses », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. « Je condamne sans équivoque les brutales attaques perpétrées par le Hamas contre des civils israéliens. Le Royaume Uni soutiendra toujours [le droit d’] Israël à se défendre ,» a précisé le ministre des Affaires étrangères britanniques, James Cleverly. Etc.

La classe politique française, de ]’extrême droite à la gauche socialiste, en passant par les dirigeants de notre pays, n’est pas en reste. Elle évoque le droit d’Israël à se défendre en condamnant la terreur causée par cette brutale et inattendue entrée en guerre du Hamas. « Je condamne fermement les attaques terroristes qui frappent actuellement Israël » a déclaré le président Emmanuel Macron. «Les frappes du groupe terroriste Hamas contre Israël sont un acte de guerre inacceptable. Nous sommes plus que jamais aux côtés de la démocratie israélienne» a affirmé Marine Le Pen. « Je condamne des attaques terroristes d’une violence inouïe » (Aurore Berger, ministre de la Solidarité). «Le terrorisme n’est pas une justice (. ..) il discrédite les causes qu ‘il prétend servir. Je condamne totalement l’attaque lancée par le Hamas» (Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste). Les dirigeants de la France Insoumise, pour leur part, renvoient les belligérants dos à dos, ce qui les fera traiter d’antisémites par la Première ministre Élisabeth Borne, amalgamant une nouvelle fois l’antisémitisme, qui est le crime absolu, et l’antisionisme parfaitement justifiable. Le comble est venu du nouveau Président du CRIF (3) Yonathan Arfi : « Une fois de plus le Hamas rappelle son refus de !’existence de l’État d’Israël ». Non, trois fois non ! Le Hamas rappelle une fois de plus le refus par Israël de l’existence de la Palestine.

Ainsi pas un de ces dirigeants internationaux ou nationaux sauf certains de la NUPES – n’ont évoqué, ni de près ni de loin, le droit aussi des Palestiniens de se défendre contre une OCCUPATION dont ils sont victimes (avec combien de milliers de morts, de blessés, de destructions, d’humiliations) depuis cinquante-six ans.

Souvenons-nous du discours du président Sadate à la Knesset en novembre 1977 : «Il n’y aura jamais la paix au Proche-Orient tant que le problème palestinien ne sera pas résolu».

Des déclarations maintes fois répétées de Mgr Sabbah, patriarche latin émérite de Terre sainte : « Il n’y aura jamais la paix dans la région tant que !’OCCUPATION de la Palestine perdurera ». Et des interventions de tous les papes. Paul VI, le 13 février 1978, lors de la visite du Président Sadate : «fl faut reconnaître une perspective de justice et de sécurité pour toutes les populations du Mayen-Orient (. ..) fl faut aussi donner satisfaction aux légitimes aspirations du peuple palestinien». Jean-Paul II, lors de son voyage en Palestine occupée d’abord, puis en Israël en mars 2000, lors de sa journée à Bethléem, au camp de Deheishe : « Personne ne peut ignorer combien le peuple palestinien a du endurer de souffrances au cours des dernières décennies. Votre tourment est sous les yeux du monde et il a dure trop longtemps (. ..) Mes prédécesseurs et moi-même avons toujours répété qu ‘il n’y aurait pas de fin au triste conflit en Terre sainte sans que soient garantis tous les droits des peuples impliqués sur la base des lois internationales, résolutions et déclarations des Nations Unies (. ..). C’est seulement dans le cadre d’une paix juste et durable – non pas imposée mais obtenue par la négociation – que les légitimes aspirations palestiniennes seront satisfaites » (souligné par moi-même). Le pape François, lors de la 5ème guerre contre les Gazaouis en mai 2021 : « L’augmentation de haine et de violence (…) est une grave blessure à la fraternité et à la cohabitation entre citoyens » « Vraiment, pense-t-on construire la paix en détruisant l’autre ?».

Je n’oublie pas le drame vécu par les otages, leur dilemme. L’armée israélienne doit-elle y penser ou se lancer à l’assaut de la bande de Gaza ? Non, selon moi, ils doivent être libérés, mais dans la cadre d’un accord, non seulement de libération de quelques centaines de prisonniers palestiniens dont au premier chef Marwan Beghouti, qui seront réincarcérés quelques semaines après – dans un accord de réconciliation avec échange de la terre (libération de la Palestine) et de la paix.

En conclusion, je partage le point de vue du professeur Thomas Vescovi, cité par le journal La Croix du 9 octobre, quand il affirme que « la disproportion des forces est telle que cela va finir dans un bain de sang ». Oui, hélas, aujourd’hui. Mais demain ou après-demain ? Ou de nouveaux dirigeants en Israël et en Palestine, – comme Frederick de Klerk, dernier président blanc d’Afrique du Sud durant !’apartheid, et Nelson Mandela, tous deux prix Nobel de la Paix en 1993 ; comme le général De Gaulle et les dirigeants du FLN pour l’Algérie en 1962 signeront un accord pour mettre fin à l‘OCCUPATION de la Palestine, ou Israël se retrouvera à la veille de sa destruction par la faute de ses dirigeants animés d’une idéologie nationale sioniste radicale.

Me Maurice Buttin, avocat honoraire a la Cour.

President par interim du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient.

Membre des C.A. de «Pour Jérusalem», des «Amis de Sabeel-France», de «Chrétiens de la Mediterranee».

Membre de l’ AFPS (Association France-Palestine Solidarité) et du Parti socialiste (depuis juin 1967)

NdlR

(1) Ce décompte a été plusieurs fois modifié par les officiels israéliens, montant jusqu’à 1500 tués à un certain moment et réévalué à 1140 en dernier lieu.

(2) Le nombre des otages n’a jamais été précisément connu, mais il a été estimé à 250.

(3) Conseil représentatif des institutions juives de France.

Photo Maître Maurice Buttin

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