Les jeunes d’Afrique subsaharienne continuent à fuir leurs pays, malgré les expulsions.

Nous reproduisons des extraits d’une lettre d’Armel Duteil, spiritain, sur la situation au Sénégal et en Mauritanie. Il travaille avec la Commission Justice et Paix de l’épiscopat catholique sénégalais. Ces remarques  éclairent en particulier la dynamique qui pousse de si nombreux jeunes d’Afrique subsaharienne à fuir leurs pays pour tenter le passage vers l’Europe, alors que des efforts sont faits pour les dissuader de partir dans leur pays d’origine. Au même moment, ceux d’entre eux qui ont abouti en Tunisie font l’objet de poursuites et d’expulsions accompagnées de violences.

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Nous sommes entrés dans le carême, qui sera bientôt suivi du ramadan des musulmans. C’est toujours un temps très fort dans la société, et un moment d’union, de partage et également de prières communes entre chrétiens et musulmans.

Au niveau international

Le Président du Sénégal a été pendant un an le Président de l’Union Africaine. Il a essayé d’intervenir dans les grandes rencontres internationales, aussi bien pour le développement que pour la paix. En particulier il a demandé qu’il y ait au moins un pays africain membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies, car jusqu’à maintenant il n’y en a pas. Il a demandé également à ce que les pays occidentaux aussi bien que les grandes sociétés multinationales aient davantage de respect pour la culture et le développement des pays africains. Et cherchent des solutions vraiment viables pour ces pays à tous les niveaux, pas seulement économique, et pas seulement leur propre intérêt et leur propre enrichissement.

Cela demande bien sûr une plus grande prise en compte de la pauvreté et des problèmes de ces différents pays, et également de la question de l’écologie et de l’environnement. Les pays africains sont ceux qui polluent le moins, et pourtant ce sont eux qui souffrent le plus de la pollution et du réchauffement de la terre et de ses conséquences, en particulier les tornades, les inondations et tous les autres problèmes que nous avons subis cette année en Afrique.

Nous-mêmes nous suivons avec soin et intérêt les conférences internationales actuelles sur le soin des forêts et le respect des fonds marins. Pour pouvoir former les gens et agir à ce niveau. Sinon ces grandes conférences ne serviront à rien.

Les visites du Pape au Congo, où il est intervenu très fortement pour que l’on arrête de dépouiller Afrique, et au Soudan où il est intervenu vigoureusement pour la paix, nous ont beaucoup marqués aussi cette année.

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Au niveau du Sénégal

Nous avons la chance de ne pas subir d’attaques terroristes, et cela est vraiment une grande bénédiction. Et nous faisons tout notre possible pour éduquer à la paix afin de la préserver.

Nos deux principaux problèmes sont celui de la pauvreté qui grandit, en particulier chez les plus pauvres, et celui de la paix civile, à cause des élections présidentielles qui vont avoir lieu dans un an.

Dès maintenant les campagnes électorales et les manifestations ont commencé, avec souvent beaucoup de violences. Normalement, d’après la Constitution, le président n’a pas le droit de se représenter, puisqu’il a fait deux mandats. Mais lui-même ne se prononce pas à ce sujet ; ce qui entraîne un sentiment d’incertitude, d’inquiétude et de manque de confiance (…). En mars 2021, il y a déjà eu 14 morts suite à ces manifestations.

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Au niveau économique

Le gouvernement a fait un certain nombre de grandes réalisations : des stades de sport, en particulier pour le sport national, la lutte traditionnelle, un train rapide et maintenant un bus rapide dans la ville de Dakar. Il y a de nombreuses constructions de bâtiments. Mais cela se fait surtout dans la ville de Dakar et ce sont souvent des réalisations de prestige qui coûtent très cher, mais qui ne profitent pas à la population. On dit que beaucoup de ces grands bâtiments sont construits avec l’argent de la drogue. Car le Sénégal est une voie de passage de la drogue depuis l’Amérique du Sud vers l’Europe

Le PIB (produit intérieur brut) du pays a beaucoup baissé, et de toutes façons ce produit ne profite pas à la population de la base, ni aux gens des villages. Les fonctionnaires et les militaires ont vu leur salaire augmenter de 40%, mais les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, alors que, eux aussi, ils font vivre le pays, et même de façon importante.

De nombreux projets de développement sont lancés, mais souvent ils ne durent pas et n’aboutissent pas. Bien que le Sénégal, grâce à sa bonne réputation internationale et son savoir -faire, reçoive beaucoup d’aide et de nombreux dons de l’extérieur.

Le Covid est maintenant terminé, mais il a entrainé de nombreuses conséquences. Les élèves ont perdu une années scolaire, car les écoles étaient arrêtées, et il n’y avait pas d’enseignement à distance par informatique.

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La pêche

Elle est affectée par de nombreux problèmes. Les fonds marins sont pillés par les gros navires étrangers. Il y a de plus en plus d’usines de farine de poisson pour nourrir les animaux à l’étranger, alors que les habitants ont de moins en moins de poisson pour manger eux-mêmes, et donc moins de protéines ; ce qui entraine sous-alimentation, faiblesse et maladies.

Dans la mer on note aussi des piratages et des trafics clandestins de drogue. Dans le pays, on cultive du yamba (cannabis, marijuana) que l’on retrouve dans les quartiers et même dans les écoles. Le nombre de personnes droguées augmente, avec toutes les conséquences au niveau social. Sans doute plus grave encore que la drogue, il y a le problème des faux médicaments. 60% des médicaments qui sont vendus sont des faux, des imitations ou encore des médicaments inefficaces, ce qui augmente le nombre de maladies et de morts.

L’agriculture

Il y a aussi de nombreux problèmes dans l’agriculture. Comme on le sait, la guerre de la Russie contre l’Ukraine n’a rien arrangé. [Le pain s’est fait plus rare]. Ensuite il y a eu le manque d’engrais, ce qui va entrainer une production agricole beaucoup plus faible, cette année et les années suivantes. Car les sols exploités par des siècles de monocultures sont épuisés. Le Sénégal a bien commencé à s’engager vers une autosuffisance en riz, mais on ne peut pas y arriver d’un seul coup. Il y a également de plus en plus d’études pour revaloriser les connaissances traditionnelles des paysans, et la recherche pour l’utilisation de nouvelles semences, mieux adaptées, avec le soutien de pays étrangers comme la Corée du Sud. Et aussi la protection de la biodiversité, l’agroécologie, la permaculture et la recherche d’autres moyens que les engrais chimiques, qui ont des conséquences graves pour la terre. Mais il faut beaucoup de temps pour mettre tout cela en place et les résultats ne sont pas pour demain.

Il faudrait parler aussi des problèmes et des efforts faits pour l’élevage et du projet de plantation d’une ceinture d’arbres à travers toute l’Afrique pour bloquer l’avancée du désert au Sahel. Mais les attaques terroristes ont arrêté tout cela.

Les huileries sénégalaises tournent à vide, car les arachides produites partent en Chine, les Chinois achetant les arachides à un prix plus élevé que celui fixé par le gouvernement. Des difficultés se posent aussi pour la production et la commercialisation par exemple de la tomate et des oignons.

La santé

Le pays manque gravement d’hôpitaux et de dispensaires, et surtout de médecins malgré la qualité de la formation donnée. La politique française, cherchant à attirer les médecins sénégalais pour combler le manque de médecins en France ne va rien arranger. Il ne s’agit pas là d’une aide au développement mais bien d’une forme de néo-colonialime. Ce qui explique, entre autres raisons, le rejet de la France par une partie de la population, spécialement les jeunes. Et aussi l’arrogance et le manque de respect d’un certain nombre de responsables français.

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Les services sociaux

Le gouvernement a lancé un certain nombre d’actions positives : soutien à de petits projets économiques en particulier pour les jeunes et les femmes, une CMU (Couverture Médicale Universelle) qui devrait s’étendre à tous, des bourses familiales pour les familles nécessiteuses, des soutiens pour les handicapés et personnes âgées, des soins gratuits pour les enfants de 0 à 5 ans, gratuité des césariennes que l’on voudrait voudrait étendre aux frais de tout le temps de la grossesse. Mais les moyens sont trop limités, et malgré les efforts fournis cela ne fonctionne pas toujours efficacement.

A cause de tout cela, l’émigration continue

Elle est dirigée vers l’Europe et le Canada. D’autant plus plus que les réseaux sociaux continuent à présenter les pays occidentaux comme un paradis où la vie est facile, où tout le monde a du travail et la satisfaction de tous ses besoins.

[Les spiritains ont trois équipes sur la route des migrants, une à Saint Louis au Nord du Sénégal et deux autres en Mauritanie, à Rosso et à Nouadhibou au Nord.]

Ce sont des points de départ des migrants et pour Nouadhibou un lieu d’accueil pour les immigrants expulsés d’Afrique du Nord ou des pays européens, quand ils ne sont pas morts dans la mer ou dans le désert, ou réduits en esclavage en Libye. En 2017, on a compté plus de six mille  morts venant d’Afrique de l’Ouest, dans le désert.  Les migrants arrêtés ou refoulés font preuve de courage, alors qu’ils sont sans espérance de solution.

Bien sûr il faut agir sur les causes, à l’intérieur du pays, en particulier lutter contre la pauvreté et le chômage. Et conscientiser les jeunes mais aussi leurs familles qui souvent les poussent à partir, en faisant de gros sacrifices financiers pour cela. Nous  cherchons à augmenter le sens civique et l’amour du pays chez les jeunes, mais aussi à leur donner les moyens de vivre en restant au pays.

Un certain nombre d’ONG s’y attèlent, mais c’est une action très difficile et pour laquelle, là encore, on ne peut pas trouver de solutions en un  jour. Les Nations Unies affirment que l’extrême pauvreté augmente dans dans nos pays. Et malgré tout, les populations gardent courage, espoir et même joie de vivre.

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Armel Duteil

Image SOS Méditeranée, l’Ocean Viking

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