Les évolutions démographiques opposées de l’Afrique sub-saharienne et de l’Europe, par René Valette.

FORTE CROISSANCE DEMOGAPHIQUE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE.

La population de l’Afrique va presque doubler et même plus que doubler au cœur du continent d’ici 2050 (voir le premier article de René Valette dans cette série, Parlons démographie). Pourquoi ?

On appelle “transition démographique” le passage d’un faible accroissement d’une population, dû à une forte natalité et à une forte mortalité, à une nouvelle phase de faible accroissement mais dû cette fois à une faible natalité et à une faible mortalité.

En Afrique sub-saharienne, la baisse de la mortalité, de la mortalité des enfants surtout, a été importante et rapide  depuis quelques décennies, même si elles restent élevées, alors que la natalité, elle, ne régresse que lentement et avec un temps plus ou moins long de retard. C’est donc le décalage dans le temps entre ces deux courbes qui explique “l’explosion” démographique persistante.

Pourquoi ? Parce que les sociétés africaines se sont appropriées des techniques médicales venues d’autres continents, quand elles ont constaté qu’elles faisaient reculer la maladie et la mort. Il s’agit en tout premier lieu de la vaccination mais aussi de la médecine et de la pharmacopée dites “modernes” qui se sont ajoutées aux connaissances et aux pratiques médicales “traditionnelles”.

Par contre, la courbe de la natalité a baissé plus lentement et plus modérément parce que les couples ne souhaitaient pas limiter les naissances. Trois raisons à cela :

  1. En Europe l’enfant est perçu par les parents comme une charge financière qui va aller croissante depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte. Devenu autonome, sauf sur les marges, il n’aura pas à “rendre” ce qu’il a reçu de ses parents, car ce sont les organismes sociaux qui assurent la protection, sécurité sociale, retraite vieillesse etc… Le rapport apport sur coût n’encourage donc pas l’accueil des enfants.

En Afrique, l’enfant participe très jeune aux activités productives, en aidant le papa dans les champs, dans les campagnes ou en effectuant du travail informel dans les villes. Ainsi il est perçu davantage comme un apport que comme une charge. A remarquer qu’il en fut ainsi longtemps dans les campagnes européennes. Ce n’est pas un hasard si c’était dans les familles paysannes qu’on trouvait les familles les plus nombreuses.

  1. La deuxième raison découle de ce qui a été dit précédemment. Dans la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne, seul un faible pourcentage de la population bénéficie d’une protection sociale comparable à celle existant en Europe car près de 90% des emplois urbains relèvent encore de l’économie informelle et dans les campagnes, sauf rares exceptions, les paysans ne bénéficient d’aucune assurance. Ce sont donc les enfants devenus adultes qui vont assurer la sécurité quotidienne de leurs parents. Et puis il y a l’espoir que parmi eux, un au moins, aura la réussite économique qui en fera le bienfaiteur de toute la famille. De même nous savons bien que l’argent que les travailleurs immigrés vivant en France envoient à leur famille sert à la santé de tous au pays natal et au financement de la scolarisation des enfants.

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  1. Enfin, troisième raison, en Afrique sub-saharienne et plus globalement dans tous les pays de culture rurale dominante, une femme est reconnue, considérée, par sa fécondité. C’est le fait qu’elle mettra au monde de nombreux enfants qui lui assurera la reconnaissance sociale. Dans ce contexte, la stérilité et même un petit nombre de maternités seront pour elle un lourd handicap social. J’ai en mémoire la remarque attristée faite par la jeune épouse d’un ami burkinabé à son mari qui lui disait que nous n’avions que deux enfants : “Ton ami et sa femme méritaient mieux !”

Un sociologue, Michel Crozier (1), écrivait qu’on ne change pas une société par décret. C’est sans doute pour cela que tant de politiques de contrôle des naissances ont été un échec. Certes il y a l’exception de la Chine avec sa politique de l’enfant unique mais le démographe Gilles Pison (2) fait pertinemment remarquer que bien avant sa mise en œuvre les couples avaient déjà commencé à réduire le nombre de leurs enfants.

Un dernier point d’attention : certes, plus une population augmente, plus il y a des effets sur l’état de la planète mais selon une étude publiée en 2018 par OXFAM, les pays à forte fécondité (3,1 enfants par femme au moins) soit 20 % de la population de la planète émettent ensemble 3,5 % de CO2 alors que les pays à faible natalité (moins de 2,1 enfants par femme) soit 5 % de la population mondiale en émettent eux 78 %. C’est donc bien moins le nombre d’habitants que leur manière de produire et de consommer qui provoque les dérèglements climatiques constatés ainsi que la perte préoccupante de la diversité de la faune et de la flore.

LA DIMINUTION DE LA POPULATION DE L’EUROPE (voir l’article Parlons démographie).

La baisse de la population, actuelle et à venir, dans toute l’Europe est due, on l’a vue précédemment, à la diminution importante du taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme). Dans la totalité des pays du continent (sauf à Monaco !) c’est-à-dire dans 43 pays, le taux de fécondité n’assure pas le renouvellement des générations. On le constate aussi bien dans les pays d’ancienne tradition catholique, 1,3 en Italie et en Espagne, 1,4 au Portugal, 1,5 en Pologne, 1,8 en Irlande et même 1,2 à Malte, que dans ceux où le protestantisme est dominant, 1,6 au Royaume Unis, 1,7 en Suède, 1,5 en Norvège. On fait le même constat dans les pays à majorité orthodoxe, 1,3 en Grèce et en Ukraine, 1,6 en Russie.

La France avec 1,8 se situe parmi les plus natalistes du continent.

Dans plusieurs pays d’Europe la baisse de la population serait encore plus forte s’il n’y avait pas eu l’apport de l’immigration.

La transition démographique en Europe ne s’est pas produite de la même façon qu’en Afrique notamment. Les courbes d’évolution de la mortalité puis de la natalité, ne se ressemblent pas.

A partir de la fin du 18ème siècle la mort a reculé lentement, progressivement, pour des raisons diverses mais toutes dues à des facteurs internes au continent, contrairement, on l’a vu, à ce qui s’est produit en Afrique. Quelles sont-elles ?

En premier lieu des progrès dans l’alimentation et aussi dans les échanges de vivres entre régions, quand le déficit de production de l’une pouvait être comblé par les excédents d’une autre. A cela s’ajoutent les progrès dans l’hygiène, tant dans les maisons que dans les rues. Merci Monsieur Poubelle qui a imposé que les déchets ménagers soient stockés dans des sacs et non déposés dans les rues. Enfin il y eut bien sûr les progrès de la science, de la médecine et de la pharmacopée. Merci monsieur Pasteur, notamment, qui a découvert les bienfaits de la vaccination. De même l’école gratuite et obligatoire à partir de 1881 a contribué à changer le regard que les femmes et les hommes portaient sur leur vie et sur le monde.

Dès les dernières décennies du 18ème siècle, les Français ont commencé à réduire volontairement le nombre de leurs enfants. Ils furent suivis par les autres Européens quand les uns et les autres ont constaté que le nombre de leurs enfants influait sur leurs conditions de vie. Pas de stérilets, pas de préservatifs, pas de pilules, bien sûr à cette période, c’étaient l’interruption du coït et le mariage relativement tardif qui tenaient lieu de contraception.

Certes l’Europe connut une période d’accroissement de sa population ce qui explique l’émigration non négligeable d’habitants proches de la France, Irlande, Italie, Espagne, Portugal, Belgique, Pologne mais elle n’eut jamais l’ampleur constatée sur d’autres continents.

CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE ET MOUVEMENTS MIGRATOIRES

Dans cette dernière partie du texte ne seront pas examinés les mouvements migratoires dus aux guerres et aux persécutions de divers ordres que connaissent trop d’habitants de notre planète. La demande d’asile est d’une autre nature bien sûr.

La différence d’évolution démographique de l’Afrique et de l’Europe ne peuvent que conduire à des migrations du Sud vers le Nord mais il est difficile à ce jour d’en évaluer d’intensité.

De plus il est hautement probable que le dérèglement climatique va contraindre plusieurs millions, peut-être même plusieurs centaines de millions d’habitants des zones les plus vulnérables, pas seulement en Afrique, à quitter leur lieu d’habitat, dans les décennies à venir. Autant que possible Ils resteront près de chez eux mais beaucoup sans doute s’expatrieront.

Déjà les principales villes africaines voient arriver en grand nombre des migrants venus des zones du Sahel et de la savane touchées par la sècheresse. En Asie, ce sont les inondations elles aussi dues au climat qui provoquent ces mouvements migratoires, internes aujourd’hui, internationaux sans doute demain.

Contrairement à l’idée trop souvent véhiculée que ce sont les plus pauvres qui quittent leur pays, les études convergent pour montrer que ce sont les personnes que le Programme ds Nations Unies pour le Développement (PNUD) classe comme disposant d’un revenu moyen et non pas faible qui ont le plus d’aspiration à migrer.

Une conclusion s’impose, l’Europe dont la population baisse et qui aura sans doute besoin de femmes et d’hommes venus d’ailleurs, devrait avoir la sagesse et le réalisme nécessaires pour que ces populations à la recherche d’une vie meilleure, soient accueillies dignement. Il est évident que les décisions ne relèvent pas de la seule initiative d’un des 27 pays de l’Union Européenne mais bien de l’Union comme entité. Il faudra marier éthique et réalisme politique. “Vaste programme” dirait peut-être le général De Gaulle qui avait eu cette formule en son temps dans un autre débat.

René Valette
Lyon le 16.12.2022

(1) Michel Crozier (1922-2013), sociologue, est le pionnier de l’analyse stratégique et de la sociologie des organisations. Il a écrit entre autres Le Phénomène bureaucratique (Seuil, 1963) et L’Acteur et le Système, Les contraintes de l’action collective (Seuil, 1977), coécrit avec Erhard Friedberg.

(2) Gilles Pison est Professeur au Muséum national d’histoire naturelle
– Enseignant à l’Ecole des Ponts Paris Tech
– Rédacteur en chef de Population et Sociétés, revue de l’Institut National d’Etudes Démographiques.
Il est le premier auteur de l’ouvrage collectif Tous les pays du monde, publié par “Population & Sociétés”, 2022/8, n°603, cité au début de l’article Parlons démographie.

 

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