Les chrétiens de Palestine s’adressent à leurs frères et sœurs de France – III.

Dans cette série nous publions l’entretien avec Omar Haramy, Directeur de Sabeel-World, recueilli par Marilyn Pacouret. A travers elle nous avons souhaité donner particulièrement la parole aux chrétiens de Palestine, communauté désormais très minoritaire de cette région où elle est établie depuis deux millénaires,

Après avoir rappelé le rôle de Sabeel (1) en Palestine – promouvoir une théologie de libération luttant contre l’instrumentalisation des saintes Écritures par certains mouvements pour justifier prétendument l’occupation des territoires palestiniens et plus généralement défendre la justice dans cette région – il fournit une très riche photographie de cette communauté à vrai dire encore bien mal connue parmi nous, en Europe, qui est répartie en quatre principales familles – les Grecs orthodoxes, l’Église catholique, les Églises orientales orthodoxes et les Églises protestantes.

Revenant sur la longue histoire de cette communauté – traversée depuis sa fondation de périodes successives de tolérance et de persécution – il montre qu’elle continue à tenir un rôle conséquent au cœur du peuple palestinien dont elle est une composante très active, par son réseau d’écoles qui dispense un enseignement reconnu par sa qualité et son ouverture à tous, ainsi que par sa participation aux différentes institutions politiques et administratives autour desquels les Palestiniens tentent de gérer l’espace qui ne leur a pas été encore confisqué, malgré l’expansion continue de la colonisation.

Il rappelle que les chrétiens palestiniens, précisément parce qu’ils sont palestiniens, sont soumis exactement aux mêmes contraintes, obligations et formalités qui frappent l’ensemble du peuple palestinien et compliquent durement son existence quotidienne. Quant aux chrétiens d’Israël, ils sont considérés statutairement comme des citoyens de seconde catégorie, à l’instar de tous ceux qui ne sont pas reconnus comme étant d’identité juive.

Il relève que de nombreux chrétiens occidentaux ignorent profondément la réalité de leurs frères palestiniens ainsi que l’histoire fondatrice de ce peuple et déplore que la plupart des visiteurs se consacrent essentiellement à la visite des grands lieux historiques, au détriment d’une rencontre authentique avec une communauté directement héritière d’une foi doublement millénaire et, ajoutons-le, dotée d’une grande tradition d’accueil.

Ceci résonne comme un appel urgent à ne pas oublier ces frères et sœurs avec lesquels nous sommes profondément liés.

(1) Voir une brève présentation de Sabeel dans l’entretien de Jamal Khader, curé de Ramallah, avec Marlène Tuininga, dans l’article précédent, https://www.chretiensdelamediterranee.com/les-chretiens-de-palestine-sadressent-a-leurs-freres-et-soeurs-de-france-ii/ et dans l’article lui-même. Site international : https://sabeel.org, contact sabeel@sabeel.org

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Entretien avec Omar Haramy, directeur de Sabeel-World

Recueilli par Marilyn Pacouret, présidente de CDM

Omar Haramy

Omar Haramy est un Palestinien chrétien de Jérusalem. Il exerce actuellement la fonction de directeur de Sabeel, le centre palestinien de théologie de la Libération.

Sabeel (1) est une organisation de chrétiens de base qui vise à libérer la théologie chrétienne des courants qui manipulent l’Ecriture pour justifier l’oppression du peuple palestinien. Sabeel développe également de manière active une théologie de la libération qui aide notre communauté chrétienne à passer à l’action dans le travail pour la justice et la paix en Terre sainte.

Dans cet article, j’ai l’espoir de pouvoir présenter les dix questions les plus fréquentes à propos des chrétiens palestiniens. Évidemment chaque point pourrait être développé en un article entier, ou même un livre. Mais je crois qu’un article plus court a plus de chance d’être lu.

1- Qui sont les chrétiens palestiniens ?

On utilise le terme de chrétiens palestiniens pour désigner les chrétiens originaires de Terre sainte. Le livre des Actes des Apôtres (2:9-11) nous dit qu’au moment de la Pentecôte, qui marque le commencement de l’Église, Jérusalem était remplie de personnes venant de toutes les nations. Bien que la plupart des chrétiens palestiniens se considèrent eux-mêmes comme Arabes, les chrétiens palestiniens n’en reflètent pas moins la mosaïque de tous les peuples et nations qui ont vécu en Terre sainte pendant de nombreux siècles. Bien que les chrétiens palestiniens constituent, estime-t-on, 10% de tous les Palestiniens vivant à travers la monde, ceux qui vivent en Terre sainte sont moins de 200 000, constituant moins de 1% de l’ensemble de la population.

2- À quelles dénominations appartiennent les chrétiens palestiniens ?

Les chrétiens palestiniens appartiennent aux quatre principales familles chrétiennes, les Grecs orthodoxes, l’Église catholique, les Églises orientales orthodoxes et les Églises protestantes. La majorité des chrétiens palestiniens sont ou bien des Grecs orthodoxes, ou bien des membres de différentes communautés de l’Église catholique, avec un pourcentage important qui appartiennent aux Églises orientales orthodoxes, surtout les Églises arménienne, syrienne orthodoxe et copte. Il y a un nombre croissant de chrétiens appartenant aux différentes Églises protestantes, anglicane, luthérienne, et Églises évangéliques. A Jérusalem il y a un total de treize Églises qui sont reconnues par l’État, et un groupe d’Églises évangéliques.

3- Qui sont les dirigeants des Églises de Terre sainte ?

Il y a officiellement treize Églises en Terre sainte. A part les Églises anglicane et luthérienne, la direction des onze autres est composée de membres non originaires de la Terre sainte. Le caractère international des dirigeants des Églises de Terre sainte s’éloigne de la norme habituelle, selon laquelle les responsables sont issus de la communauté locale. Cela crée un hiatus entre les aspirations de la communauté chrétienne locale et ceux qui la représentent. Durant les dernières décennies, des dirigeants d’Églises chrétiennes ont été impliqués dans des scandales de ventes de terres, ou se sont montrés silencieux face aux violations des droits humains perpétrées contre les Palestiniens par l’État d’Israël

4- Où vivent les chrétiens palestiniens de Terre sainte ?

I- En Palestine. Près de 50 000 chrétiens vivent dans les deux parties séparées de la Palestine.

i- En Cisjordanie

a- Région de Bethléem : 27 000 chrétiens palestiniens vivent à Bethléem et dans les villes voisines (Beit Sahour et Beit Jala)

b- Jérusalem Est : y vivent 9 000 chrétiens

c- Ramallah et les villages environnants : 12 000 chrétiens palestiniens

d- Naplouse et les environs : 1 000 chrétiens palestiniens

e- Jénine et les environs : 3 000 chrétiens palestiniens

f- Jéricho : 800 chrétiens palestiniens

ii- A Gaza. Près de 1 000 chrétiens palestiniens vivent aujourd’hui dans la bande de Gaza

II- En Israël. Près de 140 000 chrétiens palestiniens vivent dans l’État d’Israël et détiennent la citoyenneté israélienne. La majorité des chrétiens palestiniens vivent aujourd’hui au sein d’Israël, dans les villes suivantes et leurs environs :

i- Nazareth

ii- Shafa Amr

iii- Haïfa

iv- Jaffa

v- Akka (Saint Jean d’Acre)

vi- Dans 25 villages différents à l’intérieur d’Israël

5- Au cours de l’histoire, quels sont les défis majeurs auxquels ont dû faire face les chrétiens palestiniens ?

a- La persécution de l’Église primitive. L’Église primitive a connu de nombreuses persécutions, du fait à la fois des dirigeants juifs et de l’Empire romain. Elle a été vue comme un groupe juif hérétique qui introduisait une nouvelle doctrine, n’obéissant plus à la Loi et n’adhérant plus au monothéisme.

b- L’arrivée de l’islam. En arabe il y a un proverbe selon lequel les peuples suivent la religion de leurs rois. A son arrivée en Palestine au 7ème siècle, l’islam est devenu religion d’État. Le peuple de Terre sainte a vécu l’expérience de deux types de dirigeants. Certains ont été très tolérants aux croyances des autres communautés, alors qu’à d’autres périodes les gouvernants ont fait preuve d’une violence extrême et ont fait subir la persécution aux différentes communautés de croyants du pays.

c- Les Croisades. Les Croisades successives ont contribué à élargir la division entre les mondes chrétien et musulman. Le monde musulman a considéré la communauté chrétienne locale comme une menace, du fait que certaines communautés chrétiennes se sont révoltées contre leurs dirigeants musulmans pendant l’époque des Croisades. La relation entre la communauté chrétienne locale et l’islam s’est détériorée à la suite des Croisades.

d- Le travail missionnaire des Églises protestantes. Quand le monde musulman et le monde chrétien occidental ont établi un nouveau type de relation au cours des deux derniers siècles, de nouvelles Églises occidentales ont été autorisées à établir des églises en Terre sainte. Beaucoup de ces Églises aspiraient à recruter des membres au sein de la communauté locale et se sont mises à promouvoir leur version du christianisme de manière active au sein de la communauté locale. La venue d’Églises en concurrence les unes avec les autres a contribué à susciter la division au sein des Églises locales et a par là affaibli encore nos communautés locales.

e- La création de l’État d’Israël en 1948 – la Nakba palestinienne. En 1948, les deux tiers de la des membres de la communauté palestinienne sont devenus des réfugiés. On estime que 20% des réfugiés palestiniens étaient des chrétiens. Soit ils ont été forcés de quitter leur terre, soit ils ont fui par peur de la violence organisée des milices sionistes. Vider le pays de ses habitants apparaissait comme nécessaire au mouvement sioniste pour établir un pays à population majoritairement juive. (2)

6- Quelle est la contribution des chrétiens palestiniens à la société palestinienne ?

Bien que les chrétiens palestiniens constituent moins de 1% de la population totale, ils sont extrêmement actifs au sein de la société palestinienne. Il y a plus de 120 écoles et universités chrétiennes à la fois en Palestine et en Israël, et plus de 600 organisations en activité, qui rendent des services essentiels à toute la population habitant la Terre sainte.

7- Quel type de relation y a-t-il entre les chrétiens et les musulmans palestiniens ?

En général, les chrétiens et les musulmans palestiniens entretiennent des relations saines. Dans les dernières années il y a eu une montée de l’extrémisme religieux qui a suscité des inquiétudes dans l’une comme l’autre des communautés.

8- Quelle est la relation des chrétiens palestiniens avec l’Autorité palestinienne ?

Les chrétiens palestiniens sont bien représentés dans les organismes gouvernementaux. Le conseil législatif de Palestine prévoit un quota de membres chrétiens. Les maires de multiples villes palestiniennes doivent être chrétiens et les municipalités sont tenues de compter un pourcentage spécifique de chrétiens. Dans les gouvernements palestiniens du passé, une moyenne de 15 à 25% des ministres ont été des chrétiens palestiniens, un pourcentage bien supérieur à leur pourcentage dans l’ensemble de la population. (3)

En dépit de la représentation de la communauté chrétienne dans les différentes instances gouvernementales de Palestine, beaucoup de chrétiens palestiniens estiment que le système éducatif palestinien constitue un défi majeur en ce qui concerne la promotion de la tolérance et de la coexistence.

Beaucoup de chrétiens palestiniens plaident ardemment pour une constitution qui soit davantage fondée sur des principes séculiers, alors que beaucoup, dans la communauté palestinienne, tiennent pour une constitution fondée sur la loi islamique. (4)

9- Quel est le mode de relation des chrétiens palestiniens avec le monde chrétien?

Leur mode de relation avec le monde chrétien, particulièrement celui d’Occident, est affecté par les circonstances suivantes.

a- La plus grande partie du monde chrétien n’a pas conscience de l’existence des chrétiens palestiniens. Bien des chrétiens supposent que les chrétiens palestiniens sont de nouveaux convertis de l’islam, et non une communauté autochtone, enracinée dans la primitive Église. Alors même que des millions de chrétiens viennent en pèlerinage vers la Terre sainte, ils portent plus d’intérêt aux hauts-lieux historiques et aux sites religieux qu’à l’existence d’une communauté chrétienne vivante.

b- Le monde chrétien est conditionné par les données suivantes à propos de la Palestine.

i- L’antisémitisme. Après la fin de la deuxième Guerre mondiale, et à juste titre, le monde chrétien occidental s’est engagé dans une révision de la relation entre le christianisme et le judaïsme. Du fait de cette révision, les chrétiens et les Églises se sont efforcés de prendre de la distance par rapport à toute critique de l’État d’Israël, de peur que la critique d’Israël soit perçue comme une forme d’antisémitisme.

ii- Le développement d’une théologie de la fin des temps. Au 19ème siècle un certain nombre de théologiens ont commencé à développer une théologie de la fin des temps selon laquelle le rassemblement des Juifs en Terre sainte était une condition essentielle pour que survienne le second avènement du Christ. A la suite de la fondation de l’État d’Israël en 1948, contre toute attente, à travers un certain nombre de films, de séries TV et de romans, cette théologie a gagné en popularité en Amérique du Nord et dans une bonne partie de l’Europe. On s’y réfère comme au sionisme chrétien.

iii- L’islamophobie. Au 20ème siècle, l’idée est apparue que l’affrontement des civilisations est un fait majeur, et qu’il y a une division profonde entre un monde régi par les valeurs judéo-chrétiennes et un monde fondé sur les valeurs de l’Islam. L’Islam est ainsi devenu l’ennemi du monde occidental. L’État d’Israël en plein développement a été vu comme un allié important, qui se dressait pour se confronter au monde musulman et le garder sous contrôle. Beaucoup de chrétiens à travers le monde, qui ont adopté cette théorie, se sont mis aux côtés d’Israël par peur et par haine des musulmans.

10- Les chrétiens palestiniens sont-ils traités d’une manière particulière par le gouvernement israélien ?

Sans considération de croyance, nous sommes tous vus par l’État d’Israël comme appartenant à l’autre groupe de population qui habite la Terre sainte. Tous les Palestiniens sont traités d’une manière discriminatoire qui dépend de la zone géographique de la Terre sainte dont ils sont originaires, bien plus que de leur tradition de foi.

A- Les Palestiniens citoyens d’Israël. Ils sont traités comme des citoyens de seconde zone. Israël se définit lui-même comme un État juif, il en découle qu’il met en place une législation discriminatoire à l’encontre des citoyens non-juifs. (5)

B- Les Palestiniens de Jérusalem Est. Les Palestiniens qui vivent dans l’enceinte de Jérusalem sont considérés comme des résidents permanents de l’État d’Israël. Ils sont détenteurs d’une carte d’identité spécifique qui leur permet de voyager librement à l’intérieur des frontières d’Israël mais limite leur accès à l’ensemble des services publics.

C- Les Palestiniens qui habitent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza vivent sous l’occupation militaire israélienne, bien que l’Autorité palestinienne, dans certaines zones de la Cisjordanie, ait un contrôle limité sur les services administratifs et les forces de sécurité, l’armée israélienne ayant seule le contrôle total sur les Palestiniens. (6)

Dans tout ce qui précède, j’ai fait de mon mieux pour répondre aux questions les plus courantes sur les chrétiens palestiniens. A travers ces questions, j’espère donner aux lecteurs de cet article une introduction à la communauté chrétienne palestinienne. J’ai conscience que chaque réponse aux questions pourrait être davantage élaborée. Cependant j’espère que le lecteur pourra apprendre quelque chose de notre petite communauté, qui a vécu et rendu un culte fidèle à notre bon Seigneur pendant des siècles sur la Terre sainte.

 

Entretien réalisé par Marilyn Pacouret, présidente de CDM.
Traduction de Jean-B. Jolly, membre du bureau du CDM.

Voir ici le texte original en anglais.

NDLR

(1) Sabeel veut dire en arabe : le chemin.

(2) Pouvons-nous ajouter une courte explication sur les réfugiés palestiniens ? Les camps de réfugiés existent encore en Palestine, à Gaza, en Syrie, en Jordanie et au Liban, gérés par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees). Ils accueilleraient actuellement plus de 5 millions de personnes, en comptant aussi les réfugiés de 1967. Le droit au retour des réfugiés sur leur terre est reconnu dans la résolution 3236 de l’ONU du 22 novembre 1974, ainsi que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

(3) Par exemple les maires de Ramallah et de Bethléem sont chrétiens.

(4) Il existe depuis quelques années, auprès de l’autorité palestinienne, une responsable des relations avec les cultes et les religions. C’est actuellement Amira Hanania, qui est chrétienne. Nous l’avions reçue lors de l’université d’hiver de CDM à Annecy en 2018. Vous pouvez retrouver son intervention dans notre ouvrage Jérusalem au cœur de la Méditerranée, p. 14-17. Actes à commander auprès de CDM.

(5) Et notamment depuis le vote de la loi sur l’État nation adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset, le parlement israélien. Elle définit l’État d’Israël comme l’État du peuple juif et stipule que l’hébreu devient la seule langue officielle. Les députés arabes d’Israël (les Palestiniens d’Israël) ont contesté cette loi.

(6) Depuis les accords d’Oslo, la Cisjordanie a été divisée en trois zones, A, B et C. Voir aussi notre université d’hiver de 2018 et les Actes de cette rencontre. Voir en particulier l’article de Abdallah Abu Rahma sur l’avancée de la colonisation dans les zones A, B et C de Cisjordanie, ibid. p. 132-138.

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