Richard Lebeau, historien, membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée et spécialiste du monde arabe. Article écrit le 03 mars 2011 dans la revue Projet
Le monde arabe est mort. Vive le monde arabe !
Tunisiens, Égyptiens, qui ont précipité le départ de leurs présidents éternellement « réélus » depuis trente ans,
peut-être suivis par les Libyens au prix de leur sang, et sans doute par les Yéménites et les Bahreïnis, qui dans la
foulée pourraient entraîner l’Arabie saoudite dans le grand plongeon démocratique, n’exigent pas seulement la
mise au placard de l’Histoire de régimes autoritaires, iniques, corrompus et oppressants. Ils ne se sont pas levés
seulement pour mettre un terme à des privations, à un chômage important et au mépris dans lequel les tenaient
leurs élites politiques, économiques et intellectuelles. Cela fait trop longtemps qu’ils souffrent de la faim [1] et
d’une parole interdite. Ils se battent donc autrement que les Anciens, ceux qui ont construit l’indépendance. Leur
combat est plus viscéral. Ils signent enfin le constat de décès du « monde arabe ». Les héros de l’indépendance
étaient animés d’un sentiment de fierté – ils avaient bouté hors de chez eux les Anglais et les Français – et
pensaient être chargés d’une mission, celle de construire des nations jeunes et indépendantes, tout en luttant
contre le jeune État israélien, porté sur les fonds baptismaux par ses parrains occidentaux. Bref, eux avaient
l’avenir devant eux ! En 2011, les manifestants de la place Tahrir partent, en revanche, à la conquête d’une dignité
perdue.
De l’arabisme à la révolution palestinienne
Sous la houlette du colonel Nasser, l’Égypte avait retrouvé, en 1956 – date de l’expédition de Suez – sa gloire
pharaonique. Pour la perdre une décennie plus tard ! Le 5 juin 1967, Israël passait à l’offensive : en une semaine,
les chasses égyptienne et syrienne étaient clouées au sol. Les chars de Tsahal bousculaient leurs adversaires sur
tous les fronts. Et l’État hébreu de tripler sa superficie : en moins d’une semaine de combats, l’Égypte perdait Gaza
et le Sinaï, la Syrie était amputée du Golan et la Jordanie de la Cisjordanie. L’échec militaire valait constat de
faillite. Discrédité, l’arabisme sombrait dans la déroute des armées. Désormais l’islamisme, le pétrole et la
résistance palestinienne seraient le moteur du monde arabe. Mais l’arabisme devenait un discours creux, qui
perdait donc de sa virulence. Lire la suite de l’article