Le dialogue qui transporte : de Jérusalem à Gaza

La Newsletter de Pax Christi, membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée, nous livre une nouvelle pépite dans son numero 15 daté de juin 2011 avec ce témoignage du rabbin Gideon D. Sylvester intitulé “le dialogue qui transporte : de Jérusalem à Gaza”. A retrouver sur le cherchonslapaix.fr.

 

Jérusalem – Il y a quelques semaines encore, je faisais un voyage dans les campus universitaires britanniques. Arrivé à la gare d’Oxford, n’ayant aucune idée de l’emplacement de la synagogue, il me fallut faire appel à un passant pour savoir comment y arriver. Je pris donc le bus, et le chauffeur me promit gentiment de m’indiquer quand je serais arrivé. Vingt minutes plus tard, je me trouvais devant un grand parc, et le chauffeur m’invita à descendre. “Mais, pour la synagogue, où est-elle?”, lui ai-je demandé.

“Mais… vous êtes devant”, dit-il, en m’indiquant la plus grande mosquée que j’ai jamais vue.

“Je vous ai demandé une synagogue, pas une mosquée !”

Le conducteur hocha la tête en s’excusant : “Désolé, Monsieur … Pourquoi ? C’est pas la même chose? ”

Dans le taxi qui me conduisait à la synagogue, je méditai ma conversation avec le chauffeur d’autobus. Le rabbin orthodoxe que je suis est un passionné de judaïsme, je passerais des heures à démêler les énigmes théologiques les plus subtiles. L’Israélien que je suis suit de près le débat sur le Moyen-Orient, les prétentions contradictoires des Israéliens et des Palestiniens à cette terre. Mais ce jour-là, c’est un Anglais ordinaire, ignorant des différences entre judaïsme et islam et royalement indifférent aux problèmes qui dominent mes pensées. Je suppose que ces gens trouvent incompréhensibles les conflits violents qui opposent ces peuples.

Jérusalem est la ville des passions religieuses. C’est un privilège que d’y habiter, mais je suis quand même sensible aux tensions qui s’expriment autour de moi. Nous en savons long sur nos propres croyances er pratiques, bien peu sur celles des gens d’à côté. A notre manière, nous sommes aussi inconscients que mon chauffeur s’autobus.

C’est quand nous sommes ignorants des gens qui nous entourent que le conflit devient inévitable. La Bible (Lévitique 19:17) me prescrit, lorsque je vois un compatriote mal agir, de le réprimander. Nos commentateurs expliquent que, par cette réprimande, nous entamerons une conversation, nous apprendrons à mieux connaître la situation et pourrons ainsi mieux résoudre notre malentendu.

Le dialogue est le meilleur moyen de parvenir à la réconciliation; la rupture de la communication est le premier pas vers la méfiance et la violence. Le premier meurtre de la Bible survient lorsque les tensions explosent entre les deux frères, Abel et Caïn. Ils se parlent brièvement, mais lorsque le dialogue échoue, le premier meurtre est commis.

Nous qui vivons au Proche-Orient souffrons terriblement du conflit et des tueries, mais ceux qui croient au dialogue croient cependant aux possibilités de changement. “Imaginez-vous que nous réussissions à organiser des rencontres régulières entre un million de juifs et un million d’Arabes. Est-ce que ça ne transformerait pas la vie en Israël?” Lorsque Yehuda Stolov, directeur de l’Interfaith Encounter Association, organisation qui se consacre à l’édification de la paix dans la région par le dialogue interconfessionnel et les études culturelles croisées, m’a parlé de cette vue de l’esprit, mon cœur a bondi. Quand il a précisé que ça pourrait prendre 15 ans, mon enthousiasme s’est refroidi. Vu l’urgence du problème, 15 ans, c’est long. Puis il m’a fait observer que, même si cet horizon peut paraître lointain, nous y serions déjà si nous avions commencé à l’époque des accords d’Oslo au début des années 1990!

Le dialogue est nécessaire, urgent et efficace. Nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller nos chances de réussite. Pour reprendre les termes du rabbin Lord Jonathan Sacks, chef spirituel de la United Hebrew Congregation du Commonwealth, nous ne sommes pas obligés de partager les mêmes opinions, mais nous sommes bien obligés de partager la même planète “et nous devrons vivre ensemble si nous voulons survivre”.

Le Dr Izzeldin Abuelaish est le premier Palestinien à avoir fait son stage d’internat et à exercer dans un hôpital israélien. C’est aussi un pacifiste militant, qui s’est construit une philosophie de tolérance à travers des rencontres avec des familles israéliennes dans son enfance. Lors de la guerre de Gaza d’il y a deux ans, un missile israélien a transpercé une fenêtre de sa maison, tuant trois de ses filles et une de ses nièces.

En dépit de cette tragédie, le docteur Abuelaish continue son travail de réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Son livre, Je ne haïrai point m’a transporté virtuellement de l’autre côté de la frontière de Gaza, me donnant un aperçu de la vie là-bas. Il m’a fait connaître des familles palestiniennes, m’a fait entrer chez elles et m’a révélé leurs craintes, leurs souffrances, leurs aspirations.

La lecture de ce livre est un acte de dialogue. Il m’a laissé des questions sans réponse, mais il m’a aussi convaincu de continuer la conversation, de faire un pas de plus vers mes voisins et de faire tout mon possible pour favoriser la coexistence pacifique.

 

_________

Gideon Sylvester, rabbin de Tribe Israel United Synagogue, dirige la beit midrash (centre d’études religieuses) Judaïsme et Droits de l’Homme à l’Université hébraïque de Jérusalem. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).