Le devoir d’humanité. Les migrants d’Afrique en sont-ils exclus?

A la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla, le 24 juin 2022, 23 morts ont été comptés parmi les centaines de migrants qui ont tenté de franchir les barrages entourant le territoire espagnol. Ces jours-ci, une enquête de la BBC montre que les responsabilités sont partagées entre les garde-frontière espagnols et marocains. Voir l’article de RFI (Radio France International) et celui de l’hedomadaire La Vie du 30 juin 2022.

Melilla, frontière terestre entre le Maroc et l’Espagne

Santiago Agrelo, franciscain, archevêque émérite de Tanger, avait réagi au massacre dès le 27 juin 2022. Sa protestation revient dans l’actualité et le site de Nous Sommes aussi l’Eglise (Nsae) la publie. C’est là que nous la reprenons.

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Ne demandez pas combien ont été tués, ne demandez pas combien ont été blessés. “Des centaines”, on dit. Une centaine à la hausse, une centaine à la baisse, qui s’en soucie ?

Ne demandez pas comment ils sont morts. Ne demandez pas si ces décès étaient évitables. Ne demandez pas la responsabilité de ce crime contre de jeunes Africains sans droits et sans pain.

Ne demandez pas.

Les morts sont à blâmer. Les violents sont les morts. Les responsables sont les morts. Les autorités dans les villages ne peuvent que se féliciter d’avoir fait en sorte que les violents soient morts, que les sans droits soient morts, que les sans pain soient morts.

Et ils se félicitent, et s’applaudissent, et s’encouragent à continuer à tuer de jeunes Africains sans droits et sans pain.

Et le journalisme se tait : il ne dénonce pas, il n’informe même pas.

Et la conscience se tait : comme si Allah bénissait ceux qui tuent les pauvres; comme si Dieu ne se souciait pas des pauvres que nous tuons; comme si les propriétaires du pouvoir qui nous opprime étaient aussi les propriétaires de nos droits, de notre pain, de nos vies.

Je ne peux pas dire que les gouvernements espagnol et marocain sont responsables de ces décès ; je ne peux pas dire que les gouvernements espagnol et marocain ont du sang sur les mains; je ne peux pas dire que les gouvernements espagnol et marocain remplissent de victimes un couloir de la mort froid, cruel, prolongé et inique. Je ne peux pas le dire, mais je peux le penser, et c’est ce que je pense.

Des adorateurs de l’argent des deux côtés de la frontière. Des adorateurs du pouvoir des deux côtés de la frontière. Des adorateurs de mensonges des deux côtés de la frontière. Violeurs des pauvres des deux côtés de la frontière. Hérode et Pilate se sont mis d’accord pour tuer Jésus. Des deux côtés de la frontière, Hérode et Pilate se sont mis d’accord pour tuer ce “Dieu pour Dieu” que sont les pauvres.

Nsae a tiré ce texte du blog du théologien basque José Arregi.
https://josearregi.com/fr/ne-demandez-pas/

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Nous avons suivi l’errance de l’Ocean Viking, le navire de SOS Méditerranée, nous relayons l’inquiétude de l’association sur le devenir incertain de ses passagers migrants. Nous diffusons ainsi cet rappel urgent de Jacques Gaillot, évêque de Partenia après avoir été démis de sa charge d’évêque d’Evreux, au respect du “devoir d’humanité”.

Le devoir d’humanité

L’humanité n‘a jamais été assignée à résidence. Au cours des siècles, des mouvements migratoires n’ont cessé de traverser nos pays. Avec le réchauffement climatique, ils ne pourront que s’amplifier.

Aujourd’hui, il y a une humanité qui vient vers nous. Inutile de faire des murs, de se barricader, de renforcer les contrôles aux frontières. Les migrants qui mettent leur vie en jeu continueront de franchir tous les obstacles.

Cette année, malgré les mesures sécuritaires et les contrôles policiers établis entre la France et la Grande Bretagne, 40 000 migrants ont réussi à traverser la Manche et à prendre pied au pays de leur rêve.

Ces migrants ne nous agressent pas, ils ne nous envahissent pas, ils ne font qu’exercer un droit humain fondamental : se déplacer, se libérer de la misère et de la violence pour vivre ailleurs, une vie qui soit digne.

Quand des Ukrainiens sont arrivés en France, je me suis réjoui de voir qu’en peu de temps, ils ont pu travailler et obtenir un titre de séjour. Mais quel contraste avec des migrants africains mal accueillis, humiliés, harcelés, avec des campements de fortune détruits par la police. L’expulsion prend le pas sur l’accueil. Il y a deux poids, deux mesures.

Les 234 migrants d’un bateau qui n‘en finissait plus d’attendre en Méditerranée, ont été finalement accueillis par la France. C’est un devoir d’humanité. Ces migrants sont des êtres humains comme nous. Ils ont une famille comme nous. Ils font partie de la famille humaine comme les Ukrainiens. Il y a une crise de l’accueil, mais pas une crise des migrants. L’humain avant tout.

Cette humanité qui vient vers nous avec son courage, sa culture, sa volonté de vivre est une chance pour notre pays.

Elle nous met en garde contre une Europe forteresse.

Cette humanité qui vient vers nous appelle à construire un monde où chacun(e) existe pour l’autre.

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris 15/11/2022

L’Ocean Viking

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Photos, RFI, Flavio Gasperini/SOS Méditerranée

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