La trajectoire en rupture du Hamas. Un article d’Antoine Fleyfel dans le Bulletin de l’Œuvre d’Orient.

Dans cet article, publié dans le Bulletin de l’Œuvre d’Orient, Antoine Fleyfel, analyste expérimenté des courants de pensée et des évolutions sociales au Moyen-Orient, suit le devenir du Hamas comme celui d’un “acteur en rupture”.

Au-delà de l’effet de sidération créé par l’attaque brutale du 7 octobre 2023 contre des implantations israéliennes proches de Gaza, Antoine Fleyfel, professeur à l’université Saint-Joseph de Beyrouth et directeur de l’institut Chrétiens d’Orient à Paris, résume en quelques pages lumineuses le devenir d’un acteur qui, malgré sa notoriété et la détestation dont il est l’objet en Israël et en Occident, n’en reste pas moins très mal connu.

Bulletin de l’Œuvre d’Orient,
n°819, avril-juin 2025, p. 24-33

Cet article fait l’histoire du Hamas à partir des ruptures qu’il a constamment opérées par rapport à ses origines puis à plusieurs reprises par rapport à ce qui semblait ses axes idéologiques. Suivons les étapes qu’Antoine Fleyfel reconnaît dans son évolution.

1. L’islamisme palestinien dans le sillage des Frères musulmans (1940-1987).

Le mouvement des Frères musulmans est apparu en Egypte dans les années 1920. Il vise à répondre aux crises modernes par la réislamisation de la société. Il s’implante en Palestine dès 1940. D’abord de tendance piétiste et sociale, sa branche palestinienne évolue, avec la première Intifada, vers l’engagement politique au cours des années 1980. Le Hamas apparaît en 1987 comme mouvement de résistance islamique, à l’initiative de Ahmed Yassine, cheikh originaire de Gaza.

2. De l’Intifada à la radicalisation, naissance et affirmation du Hamas (1987-2000)

Sa charte publiée en 1988 s’inscrit dans la dynamique de l’Intifada, voyant le conflit avec Israël comme une menace religieuse existentielle pour les musulmans. Sa radicalité le mène à vouloir remplacer l’Organisation de Libération de la Palestine comme moteur du mouvement palestinien. Et il se lance dans des actions de guérilla, refusant toute participation au “processus d’Oslo” qui tentait alors de jeter les bases d’une paix entre Israël et les Palestiniens, pour échouer et déboucher sur la seconde Intifada.

3. De la lutte à la gouvernance, élections et guerre civile (2000-2007)

Un cycle de violences s’installe alors, attentats palestiniens et assassinats ciblés israéliens. L’Autorité palestinienne est ébranlée par la mort de son fondateur Yasser Arafat en 2004. Lors des élections de 2006, le Hamas fait le choix inattendu de présenter une liste, et il remporte ces élections. Israël, les Etats-Unis et l’Union Européenne refusent de reconnaître le gouvernement qui en est issu, qualifiant le Hamas de mouvement terroriste.

C’est en 2007 qu’une guerre civile éclate entre les deux courants majeurs du nationalisme palestinien, le Fatah dirigé par Mahmoud Abbas et le Hamas, qui prend le contrôle de Gaza. L’Autorité palestinienne, issue du Fatah, n’exerce plus d’influence qu’en Cisjordanie, sous un contrôle israélien de plus en plus étroit. Et le Hamas connaît ce paradoxe stratégique d’avoir à administrer une population tout en se revendiquant comme mouvement de résistance et de confrontation. Cela, au moment où le gouvernement qu’il dirige se trouve soumis à un blocus encore jamais connu de la part d’Israël et de la “communauté internationale”.

4 Le Hamas au pouvoir, blocus, conflits et survie politique (2007-2022)

Le blocus israélo-égyptien instauré dès la victoire du Hamas est d’une sévérité implacable. Face à cela, le Hamas à la fois renforce sa branche militaire, et, Etat de facto à Gaza, se donne de nouvelles orientations susceptibles de guider sa diplomatie. Une nouvelle charte est rédigée en 2017, qui gomme en partie la radicalité de la charte de 1987. La distinction est affirmée entre le judaïsme et le sionisme et le mouvement accepte la  perspective d’un État palestinien coexistant avec l’État d’Israël.

Le gouvernement de Gaza n’est pas sans soutiens internationaux : à un moment la Syrie et l’Iran, puis également la Turquie et le Qatar, qui assurent un soutien politique et financier. Le Hamas réussit à se réinventer et à survivre, mais dans une “mentalité de siège”.

5 L’enfer de Gaza, la guerre (2023-2025) et ses conséquences

Le 7 octobre 2023, l’action brutale menée à partir de Gaza donne au Hamas une importance qui va désormais bien au-delà de la Palestine.  Face à la réaction israélienne, tout un ensemble se déploie, plus ou moins proche du Hamas : Hezbollah libanais, Iran, Houthis du Yémen, Syrie de Bachar El Assad. Il s’agissait de replacer la question palestinienne au centre des préoccupations mondiales. Mais sur le terrain, le Hamas voit la population de Gaza frappée de manière indifférenciée par les bombardements israéliens, qui saccagent le pays et le laissent en ruines. Les trêves instaurées autour de la question des otages israéliens n’ont pu déboucher sur aucun accord à ce jour.

Antoine Fleyfel reste sur une question : cette violence destructrice signe-t-elle le déclin et la disparition programmée du Hamas ? Il ne faut pas l’affirmer trop vite, au vu des capacités qu’il a montrées de changer de politique et de se réinventer : “une étonnante capacité de résilience, dans l’ombre ou sous le feu”.

Sa remarque finale demande à être entendue : “Tant qu’il y aura de l’injustice et de la misère, de l’occupation et de la répression, tous les ingrédients pour alimenter le Hamas ou n’importe quelle autre organisation semblable seront toujours à disposition.” Car la confrontation militaire n’est qu’une solution temporaire. Il y a une transformation de tous les acteurs qui est nécessaire pour aller au-delà. “Nous n’en sommes malheureusement pas là pour le moment, mais il faudra être prêt à accueillir un jour ce rendez-vous de l’histoire”.

L’article est accompagné de cartes montrant au cours de l’histoire récente la réduction du territoire attribuable  aux Palestiniens, et d’une chronologie de quelques dates-repères.

Il cite comme source intéressante un ouvrage de 2015, “Le Hamas et le monde”, par Leïla Seurat, préface de Bertrand Badie (éditions du CNRS, 344 pages). Il vise à aller au-delà d’une vision simplificatrice qui considère le Hamas dans sa coloration religieuse, avec pour seul but politique la destruction de l’Etat d’Israël. En fait, les décisions qu’il prend sont le résultat de liens complexes entre un soubassement idéologico-religieux et des “intérêts bien compris”.

JBJ

Retour à l’accueil