Fr. Gabriel Nissim op, administrateur de Chrétiens de la Méditerranée, signale ces prises de position de Jacques Mourad, archevêque syriaque-catholique de Homs en Syrie, à propos des incertitudes qui entourent le devenir de son pays. On rappelle qu’il a été retenu comme otage pendant cinq mois par Daesh, l’État islamique, en 2015, avant de parvenir à s’enfuir. Voici des extraits de l’entretien qu’il a donné à Vatican News.
Mgr Mourad : “On est encore loin de la démocratie et de la liberté en Syrie”
Olivier Bonnel, le 25 mars 2025, pour Vatican News.
“De passage à Rome, l’archevêque syriaque catholique de Homs revient sur le climat de défiance qui règne en Syrie, après les récents massacres qui ont visé la communauté alaouite sur la côte ouest, ainsi que sur les craintes des chrétiens quant à l’avenir institutionnel du pays.
(…)
Près de 1 600 personnes ont été massacrées dans l’ouest du pays, dans les bastions alaouites essentiellement, par les forces armées du gouvernement de transition, appuyées par des factions islamistes radicales. Une flambée de violence qui ramène le pays à ses fractures confessionnelles et hypothèque les promesses du gouvernement de transition d’une nouvelle Syrie ‘inclusive’.”
Mgr Jacques Mourad répond d’abord à propos de ces violences.
“Les actes violents, les massacres ne sont pas finis. Cela met vraiment en question le gouvernement actuel et, avant tout, la sincérité de ce gouvernement. Car pour tout le peuple syrien, il y a une grande différence entre les discours tenus et la réalité. (…) Si l’islamophobie existe dans le monde aujourd’hui, ce n’est pas à cause des peuples qui ont de la haine (…), mais c’est à cause de ces actes violents, de ces massacres, de ces visages qui présentent l’islam d’une façon négative. (…) Je suis triste quand on parle des massacres des alaouites sur la côte, car on se concentre sur le côté négatif, mais personne n’a parlé du peuple sunnite, des habitants de ces régions qui ont accueilli, qui ont protégé les alaouites, leurs voisins, leurs amis.”
Puis il parle de la future Constitution du pays, notamment du fait que la loi islamique resterait et devrait rester son inspiration.
“(…) L’islam signifie l’abandon en Dieu. Si l’on présente l’islam de cette façon, je suis tout à fait d’accord et j’en suis fier. Mais la réalité est complètement différente. On ne peut pas accepter que le pays soit dirigé par la loi islamique. Ce n’est pas acceptable, ça. Car la loi islamique n’a pas de respect pour la liberté individuelle.”
Il est ensuite interrogé sur l’attitude des chrétiens syriens face à une nouvelle Constitution.
“(…) Ils ont tous peur, sont préoccupés et n’ont aucune confiance dans ce gouvernement. (…) On est donc très loin de la démocratie et de la liberté. Je ne peux pas dire que nous voulons que dès demain la Syrie devienne un pays démocratique et libre, mais le problème est qu’il n’y a aucun signe qui nous aide à avoir de l’espoir.”
Il souligne la difficulté des chrétiens à parler d’une seule voix :
“(…) On a essayé d’organiser un congrès pour les chrétiens sur le modèle du synode, comme dans le reste de l’Église dans le monde. Dans ce cadre, on a voulu que nous tous, avec les orthodoxes et les protestants, organisions ce congrès avec des laïcs qui peuvent s’exprimer (…). Malheureusement, cela n’a pas été possible jusqu’à maintenant, parce qu’il n’y a pas un vrai désir commun chez nous de parler d’une seule voix. Et ça, c’est très triste, surtout que nous sommes devenus une petite communauté.”
Il rappelle encore la situation économique désespérée dans laquelle se trouve le pays et l’impact ds sanctions internationales :
“(…) Je n’ai pas tellement confiance face aux choix politiques de la communauté internationale. Parce qu’après tout ce qui se passe à Gaza, en Palestine, comme au Yémen, en Libye, au Nigeria, etc., qu’a fait la communauté internationale pour arrêter les morts, les massacres, les guerres ? Ce que nous vivons aujourd’hui en Syrie, c’est à cause du manque de responsabilité de la communauté internationale. (…) Il faut protéger la Syrie et son peuple parce que sinon, nous deviendrons comme l’Afghanistan.
(…)
Les sanctions ont été prises contre la famille et le régime Assad, qui a dominé la Syrie et qui a amené le pays à cette misère. (…) Maintenant, c’est fini, Assad est parti. Donc pour quelle raison les sanctions sont-elles maintenues ? (…) Lever les sanctions, cela veut dire reprendre les travaux, les chantiers, cela garantit aux gens de vivre de leur travail. (…) Tout le monde sait que les sanctions ont été l’une des raisons principales de la misère dans laquelle vit le peuple syrien.”
Mgr Mourad termine sur ce dont la Syrie, et les Syriens, ont le plus besoin aujourd’hui.
“(…) La nourriture, les soins médicaux et l’éducation sont les trois principaux besoins (…) des Syriens. Le quatrième est celui de résoudre le problème du logement.” Mais il faut que les projets de reconstruction soient bien étudiés : “Qu’ils aident à nous faire avoir un pays bien développé, et pas à moitié comme c’est le cas aujourd’hui.”
Écouter la totalité de l’entretien avec Mgr Mourad :
Familles alaouites réfugiées au Liban – Vatican News
Écouter sur Vatican News un autre entretien avec Mgr Mourad, “La Syrie au croisement des chemins”, daté du 25 février 2025.