La guerre de Gaza et les intérêts contradictoires des pays concernés, par Christian Lochon.

Ce texte est la version écrite d’un exposé fait par Christian Lochon lors de la rencontre de Chrétiens de la Méditerranée, le 9 décembre 2023, sur la situation actuelle en Israël-Palestine. Christian Lochon a servi en Algérie, en Irak, au Liban, en Iran, en Egypte, au Soudan, en Syrie, comme enseignant et comme attaché culturel. Arabisant, chargé de cours en particulier à l’Université Paris II, il est membre de l’Académie des Sciences d’Outre Mer. Ancien Administrateur de l’Œuvre d’Orient, il est Administrateur de CDM.

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Les Palestiniens ont compris que les dirigeants arabes les ont abandonnés mais pas les peuples arabes, qui profitent de ces manifestations pour s’exprimer, les seules à être autorisées. En fait, la question palestinienne est supranationale, incluant l’ensemble du Moyen-Orient et même au-delà. C’est pourquoi il est nécessaire de comprendre les intérêts propres à chaque pays, avant de croire à leurs déclarations officielles.

ISRAËL

Pour le journaliste libanais Hazem Saghieh : “L’aspect identitaire juif a pris le pas sur le projet démocratique de l’État hébreu. La paix israélo-palestinienne s’est brisée sur l’assassinat de Yitzhak Rabin. La lassitude d’une majorité d’Israéliens face à une guérilla urbaine pérenne, qui renforce les méfiances séculaires, peut-elle influer sur le Gouvernement israélien ?” (quotidien Asharq Al Awsat du 12 mai 2021).

Les Palestiniens ne sont pas seulement sacrifiés sur l’autel de la boulimie croissante des colons mais sont aussi les victimes de la crise politique israélienne.

PALESTINE

La Palestine a bien été élue comme observateur à l’ONU par 137 Etats mais sans effet sur le terrain ! Elle est composée de trois entités territoriales disjointes tandis que deux mouvements politiques y sont irréconciliables : Fatah et Hamas.

Cisjordanie

Des 3,3 millions de Palestiniens qui y vivent, 78% rejettent Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne, qualifiée d’outil aux mains de l’occupation. Beaucoup de jeunes rejoignent le Hamas. Le Fatah, Parti au pouvoir, est divisé entre Barghouti (emprisonné en Israël), Mohamed Dahlan (exclu et résidant aux Emirats) et Mahmoud Abbas (87 ans). La guerre actuelle déconsidère encore davantage l’Autorité Palestinienne, montrant aux yeux du monde la division des Palestiniens. Le Gouvernement israélien a méprisé le gouvernement du Fatah, pourtant l’unique partenaire politique fiable du gouvernement israélien quelle que soit sa composition.

Jérusalem

Le contentieux de Cheikh Jarrah, faubourg de Jérusalem Nord où se sont réfugiés en 1947 les expulsés de 60 villages à l’ouest de Jérusalem est entretenu par les nervis colons qui veulent les expulser une nouvelle fois.

Gaza

Les 362 km2 du territoire de Gaza abritent 2,4 millions d’habitants, soit 6 000 personnes au km2. En 1956, Israël occupe Gaza mais doit l’évacuer sous la pression internationale. En 1967, Israël réoccupe Gaza jusqu’en 2005. En 2007, le Hamas en chasse le Fatah. Israël et l’Egypte imposent un blocus au territoire. En 2008, 2012, 2014, 2021, de lourds affrontements se déroulent avec Israël. L’Iran, qui soutient le Jihad islami comme le Hamas (1), embourbé dans la crise syrienne, a stoppé son aide financière et est relayé par le Qatar, qui envoie 30 millions de dollars par mois pour financer les missions civiles du gouvernement du Hamas avec l’accord d’Israël.

Hamas

Son aile politique avec Ismaël Haniyé réside à Doha, au Qatar, l’aile militaire avec Yahya Sinwar à Gaza. Le Hamas n’a pas réussi à protéger les habitants de Gaza, ni à assainir l’économie, utilisant les subventions de l’ONU, du Qatar, de l’Iran pour acheter des armes. Contesté par le Jihad Islami, il a voulu s’imposer comme leader palestinien unique. Cette nouvelle guerre de 2023 a été interprétée par une partie de l’opinion mondiale comme instrumentalisée par le Hamas à égalité avec Netanyahou, puisque le Hamas en a bénéficié en transférant l’affrontement à propos de Jérusalem vers Gaza. Il y a substitué une “guerre balistique” (*), répréhensible aux yeux de l’opinion internationale, qui a fait détourner les regards des crimes commis par les colons israéliens. Le Hamas soutenu par l’Iran inquiète les pays du Golfe. Les Palestiniens sont les victimes de cette forme d’affrontement. Au 4 janvier 2024, les bombardements quotidiens du territoire depuis le 8 octobre 2023 ont causé la mort de 21 000 victimes et en ont blessé 55 000 autres.

ETATS ARABES AYANT TRAITE AVEC ISRAEL

En Israël, 2 millions sur 9 millions d’habitants sont des citoyens israéliens musulmans. Dans les années 1990, un discret rapprochement économique avait été opéré par Israël avec Oman et Doha (capitale du Qatar). Toute éventuelle coopération bilatérale avec Israël à l’époque était considérée contre-nature. A partir de 2011, une convergence d’intérêts sécuritaires s’est établie entre Israël, Abou Dabi (capitale fédérale des Emirats arabes unis) et Riyad (capitale de l’Arabie saoudite), qui ont tous les trois deux ennemis communs, les Frères Musulmans et l’Iran.

Etats arabes et Palestine

Comme le fait remarquer le journaliste libanais du quotidien londonien arabophone Al Hayat, Hazem Saghieh : “Dès 1948, la question palestinienne a servi à l’Egypte, à l’Irak, à la Jordanie pour justifier leurs politiques étrangères et régionales. Cette appropriation est devenue un élément essentiel de la légitimité intérieure des régimes autoritaires qui se revendiquaient du nationalisme arabe.”

Avant cette nouvelle guerre de Gaza, les pays arabes ne mentionnaient plus qu’à peine le problème palestinien, la jeunesse arabe s’intéressant davantage aux réformes économiques et politiques qu’à la question palestinienne. Le conflit israélo-arabe s’était réduit au conflit israélo-palestinien. Les jeunes générations, incarnées par Mohamed ben Salman (MBS) ou Mohamed ben Zayed (MBZ) (2), privilégient la realpolitik. Les gouvernements arabes veulent profiter des technologies israéliennes et des achats d’armes américains. Israël compte six mille start-up, 22 incubateurs, 160 accélérateurs, 16 universités dont le Campus Technion avec quinze mille étudiants, reconnu mondialement. Les entreprises israéliennes en cybersécurité disposent d’une expertise reconnue.

Les Accords d’Abraham prévoient que tous les musulmans pourront venir en pèlerinage à la mosquée d’Al Aqsa mais n’abordent pas la question de l’occupation militaire et de la dépossession des terres des Palestiniens. Les pays arabes avaient oublié les Palestiniens. L’initiative du 7 octobre 2023 du Hamas les leur a rappelés.

Arabie Saoudite

En juin 2017, Mohamed Ben Salman devient Prince héritier d’Arabie Saoudite et tisse avec Donald Trump des formes tangibles d’une coopération triangulaire Riyadh-Washington-Tel-Aviv. Abou Dabi et Riyad comme Israël, on l’a vu, ont deux ennemis communs : les Frères Musulmans et l’Iran. Les multiples défaites militaires et diplomatiques de Mohamed ben Salman ont affaibli la monarchie saoudienne face aux ambitions iraniennes. Aussi Riyadh s’est rapproché de Tel Aviv pour ses recherches nucléaires qu’il mène avec des ingénieurs pakistanais. En 2018, Riyadh avait accepté le survol de l’Arabie par des appareils israéliens. Le 14 août 2020, le quotidien saoudien Al Sharq Al Aoussat affirmait : “L’intérêt de chaque Etat arabe est plus important que la cause palestinienne”.

Le 24 novembre 2020, Netanyahou s’est rendu à Riyad pour rencontrer MBS en présence de Mike Pompeo, alors secrétaire d’Etat américain. Un accord saoudo-iranien a été conclu sous l’égide de la Chine, le 10 mars 2023 à Pékin, mais Riyad ne veut pas laisser le monopole de la défense des Palestiniens à l’Iran. Des mesurettes de soutien au Hamas ont été adoptées en novembre 2023 à Riyad avec la Ligue Arabe puis avec l’Organisation de la Coopération Iislamique (3), ne dépassant pas la protestation platonique et en présence de Raïssi (4).

Bahreïn

Ce petit Etat de 762 km2 a signé un traité de paix avec Israël en 2020.

Egypte

Le traité de paix égypto-israélien date de 1979. Le Caire intervient en mars 2019 pour réduire les affrontements Hamas-Israël. Actuellement, l’Egypte est ferme vis à vis d’Israël mais ne veut pas laisser entrer les Palestiniens au Sinaï, par peur du Hamas et des Frères Musulmans. Le Caire avait prévenu les Israéliens de l’imminence d’une attaque du Hamas au début d’octobre 2023

Emirats arabes unis

Dès 1971, 500 000 Palestiniens contribuent au développement des pays du Golfe, soutenus par les élites locales. Ils sont appréciés pour leur savoir-faire (médecins, journalistes, enseignants). Depuis 2013, une société israélienne, NSO, a fourni un logiciel espion appelé Pegasus aux autorités émiratiennes qui surveillent ainsi leur adversaire du Qatar, leurs alliés saoudiens ainsi que tous les opposants urbi et orbi à leur régime.

Le 13 août 2020, une déclaration conjointe émirato-israélienne est négociée sous la houlette de Donald Trump. Les Emirats et Israël ont la même prudence sur le dossier syrien (sauvegarder le pouvoir de Bashar el Assad), la même approche sur l’Iran, la même crainte des Frères Musulmans. L’Exposition Universelle de Dubaï en octobre accueillit un pavillon israélien consacré au développement durable et à l’innovation. MBZ (2), le 16 octobre 2023, téléphona à Netanyahu pour lui demander l’installation de couloirs humanitaires à Gaza.

Jordanie

Le traité de paix avec Israël date de 1994. Amman ne veut pas que l’Accord israélo-arabe entérine l’installation de 5 millions de Palestiniens en Jordanie et renoncerait à la tutelle qui lui est reconnue sur la mosquée d’Al Aqsa. Amman veut récupérer deux zones frontalières, Baqoura et Ghoumar, prêtées à Israël lors de l’Accord de 1994 pour 25 ans. Amman a rappelé son Ambassadeur à Tel Aviv en octobre 2023 mais craint le Hamas et les Frères Musulmans davantage qu’Israël.

Maroc

Rabat ferme le Bureau de Liaison Maroc-Israël en octobre 2023.

Oman

Mascate reste neutre dans tous les conflits impliquant Israël ou l’Iran avec lequel il partage le contrôle du détroit d’Ormuz. Dans les années 1990, Mascate et Tel Aviv avaient ouvert un bureau de représentation commerciale avant que le Sultanat ne le ferme en 2000 (deuxième intifada) et conclue un accord universitaire entre l’Université Ben Gourion et le Centre de Recherche sur l’Eau de Mascate.

En février 2018, le Ministre des Affaires Etrangères omanais Youssef ben Alaoui s’était rendu à Jérusalem où il avait visité la Mosquée Al Aqsa. En octobre 2018, Mahmoud Abbas se rendit à Mascate. En juillet 2019, les relations bilatérales ont été reprises et Mascate a l’intention d’ouvrir une ambassade à Ramallah auprès de l’Autorité palestinienne.

Soudan

Le Traité de paix soudano-israélien a été signé en octobre 2020.

IRAN ET ETATS LIES A L’IRAN

Iran

Jusqu’en 1979, Israël et Iran étaient les alliés non-arabes de Washington. Puis Israël vit son ambassade à Téhéran offerte aux Palestiniens en 1979. La rivalité entre les deux pays vient de leur compétition dans la technologie nucléaire.

L’Iran est aussi en opposition avec la plupart des pays arabes, à part la Syrie, peut-être malgré elle. Son allié libanais, le Hezbollah, est contesté par 60% de ses compatriotes. Au Yémen, Téhéran entretient la guerre civile entre Chiites Houthis (40%) qu’il soutient et Sunnites (60%). En essayant de créer un axe chiite de Téhéran à Beyrouth en passant par Bagdad et Damas, Téhéran s’oppose à Tel-Aviv mais aussi à Ankara. L’Iran utilise des miliciens au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen ainsi que le Hamas en Palestine, mais en cas de revers, Téhéran sacrifierait le Hamas au bénéfice du Hezbollah libanais, beaucoup mieux équipé et chiite. D’autre part, l’attentat meurtrier du 4 janvier à Kerman, qui a causé 65 morts, montre le danger constat des milices de Daech, antichiites, sur le territoire iranien.

Irak

Une communauté juive habitait le Kurdistan irakien depuis l’antiquité. Parmi ses membres partis en Israël à partir de 1948, certains sont revenus faire des affaires. La sécurité de l’aéroport d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, semble confiée à des Israéliens. Israël soutient les Kurdes d’Irak, ce qui arrange les Américains (5).

Des commandos irakiens pro-iraniens attaquent les bases américaines locales, piliers de la coalition anti-Daech, en représailles de la guerre menée contre le Hamas.

Liban

Les Palestiniens, en grande partie sunnites, avaient participé à la guerre civile libanaise (1975-1990). Actuellement le Hezbollah (6) contrôle leurs camps, dont l’un d’eux abrite le Quartier Général d’Al Qaïda (7), ce qui pèse sur les relations palestino-libanaises. En 2020, ils étaient encore 175 000 à y résider.

L’accord israélo-libanais de délimitation des eaux territoriales (2000) n’a pas été voté par le Parlement libanais. L’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 sur Israël a été planifiée à Beyrouth par Saleh al Arouri, Numéro 2 du Bureau Politique du Hamas, avec le Hezbollah, des représentants iraniens, le Jihad Islami. Israël s’est vengé en tuant Al Arouri et six Palestiniens par un tir de drone sur le bureau du Hamas dans la banlieue sud chiite de Beyrouth le 2 janvier 2024.

Des groupes de la Jamaa Islamiyya (8), les Brigades Al Qassam se pressent à la frontière libano-israélienne pour tirer des missiles sur Israël, sans coordination avec le Hezbollah. Les agriculteurs libanais voient leurs vergers d’oliviers brûlés par les bombes incendiaires israéliennes. Dans un discours de novembre 2023, Hassan Nasrallah, au nom du Hezbollah, avait essayé de mettre en valeur le rapprochement chiito-sunnite dans la défense de la Palestine. Dans son discours du 3 janvier 2024, à la suite de l’assassinat d’Al Arouri, il menace Israël mais laisse au Hamas la plus grande responsabilité dans les combats contre les Israéliens. Poujrtant l’Iran et le Hezbollah ont besoin du Hamas pour prouver qu’ils défendent la cause palestinienne. Les Libanais évoquent les destructions israéliennes de 2006 et ne voudraient plus de semblables bombardements. Le Premier Ministre par intérim Miqati a appelé tous les protagonistes à la retenue, soulignant le rôle de l’armée nationale.

Qatar

Doha en 1996 accepta l’ouverture d’un Bureau Economique israélien qui sera fermé en 2000 (deuxième intifada). Doha paie les salaires des fonctionnaires de Gaza. L’alliance Qatar-Gaza s’appuie sur leur proximité idéologique avec les Frères Musulmans. Des leaders du Hamas se sont réfugiés au Qatar, comme Khaled Meschaal. 100 000 Palestiniens y résident.

Le Qatar partage avec l’Iran le plus grand chantier gazier maritime du monde, mais, allié discret de l’OTAN, il accueille aussi deux bases, américaine et turque. Il demeure le négociateur idéal pour les contacts entre ennemis, en partiuclier pour la libération des otages.

Syrie

De ses 23 millions d’habitants, la Syrie en compte 7 millions réfugiés à l’étranger et 7 millions déplacés internes. Une nouvelle génération se radicalise. L’éthique n’existe plus. Israël soutient la milice islamiste Al Nasra dans le Nord-Est du pays. Les hôpitaux du Golan occupé par Israël soignent de jeunes Syriens de la zone frontalière contrôlée par des miliciens anti-Assad de l’Armée du Liban du Sud. Les Palestiniens ont été réduits au silence par les Assad ou sont passés aux mouvements islamistes extrémistes. Bachar a détruit de fond en comble le faubourg damascène palestinien de Yarmouk, défendu par le Hamas et attaqué par l’armée syrienne et le Hezbollah.

Tunisie

Le Parlement prépare une loi criminalisant tout acte de normalisation avec Israël.

Yémen

Les Chiites Houthis qui tiennent la capitale, armés par l’Iran,  avaient traumatisé les Saoudiens et les Emiratiens en bombardant leurs pays en 2019. Aujourd’hui ils bombardent les navires israéliens ou occidentaux passant par le Canal de Suez et naviguant à proximité des côtes yéménites, qu’ils contrôlent Les Egyptiens, inquiets de l‘impact sur les revenus du Canal de Suez, n’ont pas pourtant osé se joindre à la coalition internationale luttant contre les agressions houthies . L’Iran ainsi n’engage machiavéliquement que ses miliciens arabes, le Hamas d’abord en Palestine, puis le Hezbollah au Liban, puis les milices chiites en Irak, enfin les Chiites zaïdites houthis sur la Mer Rouge.

ETATS NON ARABES

Chine

Pékin veut conserver ses bonnes relations avec Israël dans le domaine technologique. Elle se sait contestée par les Sunnites pour sa répression impitoyable des Ouïghours musulmans.

Etats-Unis

Les Etats-Unis se dégagent lentement du Moyen-Orient. 50 000 de leurs soldats y sont encore présents. Israël n’est pas une grande puissance mais le devient quand il est adossé aux Etats-Unis. L’administration Obama a accordé à Israël l’aide la plus importante de toute l’histoire américaine (38 milliards de dollars). Par contre, la préoccupation numéro un de l’administration Biden est la Chine. Le dossier israélo-palestinien n’est plus inscrit dans ses priorités et il soutient le cessez-le-feu. Vis-à-vis de l’Iran, les USA n’adhèrent pas aux vues d’Israël mais ils ont perdu de leur influence sur ce pays. Ils ne voient plus comment faire cesser la progression de l’Iran vers la possession de l’arme atomique.

France

Le Consulat Général français à Jérusalem qui ne dépend pas de l’ambassade de France à Tel Aviv soutient tous les établissements religieux, écoles, hospices, hôpitaux dépêndant de la France dans les territoires palestiniens. Paris a envoyé un navire-hôpital au large de Gaza, montrant l’exemple aux dirigeants arabes, qui ont les moyens de le faire.

Russie

Moscou entretient de bons rapports avec Israël qui compte sur Moscou pour limiter la puissance iranienne en Syrie. Un million d’immigrés russes résident en Israël. Beaucoup s’étaient fait passer pour des Juifs mais en fait ils étaient chrétiens orthodoxes. L’Eglise Orthodoxe russe rachète en Israël les églises et couvents grecs-orthodoxes.

Turquie

La Turquie fut le premier pays musulman à reconnaître Israël (1949) et à signer un accord de coopération avec l’Etat hébreu. Lors de sa visite à Ankara, à la mi-février 2008, le ministre de la Défense israélien Ehud Barak proposa la coopération de ses Services secrets dans les opérations de l’armée turque contre les Kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et le renforcement de leurs échanges d’informations sur l’Iran.

Le 13 décembre 2017, le Président turc Erdogan invite les dirigeants des pays membres de l’OCI (3) à Istanbul avec l’intention de se mettre à la tête de l’Umma, la communauté des croyants de l’Islam, pour la défense de la Palestine. La déclaration “Nous proclamons Jérusalem-Est capitale de l’Etat de Palestine” se trouve dans le communiqué final de la conférence. Mais les Etats de l’OCI sont pour la plupart des alliés de Washington. La situation récente de la Syrie, soutenue par l’Iran, a replacé Ankara dans un axe anti-iranien. Sur un autre plan, l’antagonisme entre Mohamed ben Zayed, Président des Emirats, et Erdogan, soutien des islamistes, est grand. Les Emirats accusent la Turquie de soutenir le Qatar pour renforcer l’islam politique. En 2019, la Turquie a achevé la construction d’une base de 5 000 soldats au Qatar. D’où le rapprochement des Etats du Golfe avec Israël. Marquant le centième anniversaire de la fondation de la République turque, Erdogan voit s’étendre le domaine turc à l’ancien Empire ottoman : Irak, Syrie, Kurdistan irakien, Caucase, Balkans. Erdogan voudrait ainsi diriger le monde sunnite à la place de l’Arabie Saoudite.

Les 20 000 juifs citoyens turcs sont inquiets. Une synagogue a été vandalisée et en janvier 2024, des agents du Mossad ont été arrêtés en Turquie. Néanmoins, si Erdogan soutient le Hamas officiellement, il a fait expulser des responsables des Frères Musulmans et du Hamas après le 7 octobre dans son intention de se rapprocher des Emirats.

LES RESOLUTIONS DU CONSEIL DE SECURITE DE L’ONU

N° 242, après la guerre de 6 jours, 22 novembre 1967. Sa doctrine “la terre contre la paix” devait pousser Israël à abandonner des territoires occupés.

N° 1397, après le début de le seconde intifada, 12 mars 2002. C’est l’invitation à concevoir deux Etats vivant côte à côte dans des frontières définies.

Le 7 février 2021, la Cour Pénale Internationale est déclarée compétente pour les faits survenus dans les Territoires palestiniens occupés.

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La guerre de Gaza a propulsé l’or à 2000 dollars l’once, ce qui ne satisfera que les spéculateurs. Depuis le 8 octobre 2023, aucune aide officielle militaire ni même humanitaire n’est parvenue à Gaza de la part des Gouvernements arabes. Pour la journaliste Amira Hass : “Les Palestiniens se battent pour leur vie, Israël se bat pour l’occupation de la Palestine.” Mais la nature de la Résistance palestinienne devra changer, pour réaliser l’unité entre les Palestiniens, adopter une résistance non-violente, et choisir. Ou de constituer une communauté agissante dans un Etat unifié où le poids de la démographie jouera en faveur des Palestiniens. Ou d’envisager la coexistence de deux Etats. En tout cas, il lui faudra ne plus compter sur les pays arabes, ni sur l’Iran, qui ne propose que la voie du martyre.

De l’autre côté, l’axe israélo-saoudo-américain ne peut pas brader la question palestinienne, même pour mieux se défendre contre l’Iran. L’alliance entre l’Arabie Saoudite et Israël exige des avancées sur la cause palestinienne. Il faudra bien revenir à la déclaration de l’ancien Premier ministre israélien Shimon Peres : “Le prix de la paix peut sembler prohibitif ; celui de la guerre a un coût infiniment supérieur”.

Christian Lochon
Janvier 2024

(*) Note de l’auteur :

“Balistique” est une expression citée dans la presse et qui signifie en ce sens “entre deux armées”. On passe de la guérilla de rue à l’affrontement entre deux armées représentant deux peuples, c’est-à-dire, dans l’esprit de Hamas, Palestiniens contre Israéliens.

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ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

ACHKAR Gilbert, La Guerre de 33 jours, Liban. Textuel, 2006

ANDRE-DESSORNES Carole, 1915-2015 Un siècle de tragédies et de traumatismes au Moyen-Orient. Paris, L’Harmattan, 2016

AVON Dominique, Guerre de Gaza 2023, le dilemme du Hezbollah face à Israël, article sous presse.

DJALILI Mohamed-Reza et KELLNER Thierry, L’Iran et la Turquie face au “Printemps arabe”. Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient. Bruxelles, GRIP, 2012

GOUDROT Jacques, Une seule terre en partage, Histoire des Juifs et des Palestiniens. Strasbourg, Jérôme Do. Bentzinger éditeur, 2019

JABBOUR Jana, La Turquie, l’invention d’une diplomatie émergente. Paris, CNRS, 2017

MARTEU Elisabeth, Israël et les pays du Golfe, les enjeux d’un rapprochement stratégique. Paris, IFRI, janvier 2018

PRAZAN Michael, Les Frères Musulmans, enquête sur la dernière idéologie totalitaire. Paris, Grasset, 2014

SAGHIEH Hazem, Ceci n’est pas une autobiographie. Paris, L’Harmattan, 2019

TAVARDON Paul, Trappistes en Terre Sainte, 2 tomes. Domuni Press, 2016

THERME Claude (directeur), L’Iran et ses rivaux, Paris, Passés Composés, 2020

Notes de la rédaction

(1) Les deux partis qui gouvernent le territoire de Gaza.

(2) Mohamed ben Salmane (MBS), Prince héritier d’Arabie Saoudite et Premier ministre depuis 2022. Mohamed ben Zayed (MBZ), Emir d’Abou Dabi et Président du conseil des Emirats arabes unis.

(3) L’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), fondée en  1969, a son siège à Djeddah (Arabie saoudite). Elle compte 57 Etats membres sur quatre continents. L’Organisation est “le porte-voix du monde musulman dont elle assure la sauvegarde et la protection des intérêts dans l’esprit de promouvoir la paix internationale”.

(4) Ebrahim Raïssi, Président de la République islamique d’Iran.

(5) Le Kurdistan irakien a acquis une autonomie de fait par rapport à l’Etat central irakien, à la faveur de la guerre qui a ravagé l’Irak depuis 2003.

(6) Le Hezbollah est à la fois un parti politique libanais et une milice armée aux ordres de l’Iran. On sait que le système politique libanais repose sur des affiliations religieuses. Le Hezbollah, principal parti chiite, est ainsi un acteur de poids dans la politique libanaise. Son secrétaire général et guide religieux est Hassan Nasrallah.

(7) On rappelle qu’Al Qaïda est l’organisation montée par le Saoudien Oussama Ben Laden, qui s’est fait connaître par les attentats du 11  septembre 2001 aux Etats-Unis. Islamiste sunnite, radicalement hostile à l’Occident, elle a survécu aux opérations militaires menées contre elle sous la forme de groupes dispersés, implantés jusqu’au coeur de l’Afrique, réduits, mais très actifs. Daech est le sigle arabe de l’Etat islamique, organisation sunnite qui s’est développée en Irak et en Syrie au cours de la guerre d’Irak, allant jusqu’à contrôler un territoire important autour de Mossoul et de Raqqa. Elle est caractérisée par un fanatisme religieux impitoyable. Une coalition anti-Daech dirigée par les Etats-Unis a détruit son organisation territoriale mais des groupes liés à Daech sont toujours actifs en Syrie et en Irak, et mènent aujourd’hui une lutte anti-chiite significative.

(8) Jamaa Islamiyya, Groupe islamique en français, parti politique libanais, islamiste sunnite, de la mouvance des Frères musulmans.

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