Introduction au dossier sur la crise du Liban. La crise bancaire. Par Xavier Godard.

L’explosion spectaculaire et dramatique d’un entrepôt sur le port de Beyrouth le 4 août 2021 a rappelé et amplifié l’état de crise majeure que traverse le pays. Le Liban offrait dans le passé l’image d’un pays réussissant à faire vivre ensemble ses communautés religieuses diverses, avec un équilibre politique calqué sur celles-ci, malgré une guerre civile ravageuse (1975-1990). Il offrait aussi l’image d’un pays accueillant les réfugiés syriens dans des proportions extraordinaires depuis 2011. Mais ces images laissent la place à un spectacle désolant de crise du système politique du pays, incapable de se réformer et laissant une grande partie de sa population dans une grande misère.

Pour comprendre les raisons de cette situation, nous avons sélectionné et résumé quelques sources documentaires, qui sont restituées de façon forcément réductrices mais nous l’espérons fidèles. A travers les diverses manifestations de la crise, il apparaît que les racines de celle-ci se trouvent dans le système politique clientéliste et corrompu qui repose sur la défense des intérêts communautaires. La règle institutionnelle établie lors des accords de Taef (1989) matérialisant la fin de la guerre civile accorde la présidence du pays à un chrétien (maronite), la direction du gouvernement à un sunnite et la présidence de l’assemblée à un chiite. Cette structure communautariste s’est infiltrée dans tout l’appareil d’État. C’est alors l’aspiration de la société civile à sortir de ce communautarisme, que l’on observe au Liban comme d’ailleurs sans doute en Irak ou en Iran, qui pourrait être la seule issue à sortir de l’impasse. Mais le temps nécessaire pour cette émergence sera-t-il suffisant ?

Le dossier est structuré autour de courtes notes sur les thèmes suivants, qui seront présentés successivement durant plusieurs semaines sur notre site :

  • Crise bancaire et économique
  • Corruption et clientélisme
  • Crise des ordures ménagères
  • Crise de l’électricité
  • Poids de l’accueil des réfugiés
  • Point de vue de Amine Maalouf (tiré de “Le naufrage des Nations”)
  • Point de vue de Charles Al Hayek

Xavier Godard, membre du CA de Chrétiens de la Méditerranée, 20 avril 2021

 

Crise bancaire au Liban

La crise économique et financière du Liban était bien antérieure à l’explosion au port de Beyrouth en août 2020 qui l’a révélée à l’opinion publique. Par exemple dès le 10 juillet la commissaire aux droits de l’homme de l’ONU tirait la sonnette d’alarme, évoquant des risques de famine.

Les déposants de liquidités ne peuvent plus retirer leur argent en dépôt dans les banques qui sont en crise structurelle depuis des années, alors que l’inflation très importante diminue leur pouvoir d’achat de façon drastique : le taux d’inflation annuel est de 56% en mai 2020

Le système bancaire repose depuis 1990, à la fin de la guerre civile, sur une indexation au dollar US au taux de 1500 livres pour 1 dollar. Pour attirer les capitaux, les banques proposaient des taux d’intérêt annuels délirants, de l’ordre de 15%, alors que l’économie réelle ne produisait que peu de richesses. C’était une énorme machine spéculative ressemblant à la fameuse pyramide de Ponzi qui a fait plonger d’autres empires financiers tel celui de Bernard Madoff (on paye les intérêts avec les apports des nouveaux investisseurs).

La bascule s’est opérée en 2019 lorsque la dette s’est gonflée trop fortement et les transferts de la diaspora libanaise se sont ralentis, les investissements arabes ou iraniens étant réduits par la crise géopolitique. La pandémie a encore fragilisé un peu plus le système économique et financier. Face à la pénurie de devises l’Association des Banques du Liban a décrété en novembre 2019 l’interdiction de transférer ses avoirs à l’étranger, et une possibilité très limitée de retraits au taux de 3900 livres pour 1 dollar (le taux du marché noir était de l’ordre de 10 000 à l’été 2020, il est de 13 000 début 2021).

Mais des arrangements ont pu bénéficier à certains clients privilégiés, tandis que certains partis voulaient s’opposer à ces mesures qui officialisaient la faillite du système bancaire (c’est le cas du Président du Parlement). L’impuissance du gouvernement technocratique Diab n’a fait que poursuivre la crise. Le plan d’apurement auquel sont opposées l’ABL et la BDL, ferait peser le renflouement des banques sur les gros déposants et actionnaires qui ont bien profité du système…

Le pourrissement de la situation fait peser en revanche le poids de cette crise sur les petits épargnants, malgré les dénégations des responsables bancaires. On estime que plus de 50% de la population ne peut plus satisfaire ses besoins essentiels. Par réaction en chaine, la situation des réfugiés et des travailleurs étrangers (notamment employées de maison) devient dramatique. Les dirigeants ne parviennent pas à s’accorder sur les populations éligibles à l’aide alimentaire, en raison de leurs réflexes communautaristes et clientélistes. Comme l’explique Agnès Levallois, les aides internationales sont captées et réparties par ceux-ci de façon à ce que chacun aide sa propre communauté, sans oublier de s’enrichir au passage…

Le mouvement de contestation populaire à l’automne 2019 n’a pu se transformer en poids politique face au système en place. Selon les opposants de la société civile la seule issue est un État laïque sortant du système communautaire. Mais outre la classe politique en place, l’influence d’acteurs extérieurs comme l’Iran entrave l’adoption des réformes réclamées notamment par le FMI.

C’est dans ce contexte que de nombreuses actions en justice ont alors été engagées contre les banques, notamment pour bloquer leurs avoirs à l’étranger, mais avec de faibles chances d’aboutir.

Sources :

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/03/le-braquage-du-siecle-des-banques-au-liban_6075475_3210.html?xtor&&M_BT=61860158511456#x3D;EPR-33280936-[international]-20210409-[_titre_9]

https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/l-article-a-lire-pour-comprendre-la-crise-economique-et-humanitaire-qui-ebranle-le-liban_4046953.html

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