Hommage à Jacques Gaillot, décédé à Paris le 12 avril 2023.

CDM se joint à la vague d’hommages qui a salué le décès de Jacques Gaillot. Il a écrit : “Je voudrais que l’Église manifeste sa solidarité au peuple palestinien qui est un pays occupé et qui subit l’injustice au quotidien”. Ancien évêque catholique d’Evreux, il a été transféré au siège virtuel de Partenia en 1995 par Jean-Paul II en raison de prises de positions jugées hétérodoxes. Partenia est devenu pour beaucoup ce lieu où se retrouvent les exclus de la société, au plus près desquels Jacques Gaillot s’est alors voulu, non plus comme responsable d’Eglise, mais comme solidaire en humanité. Il s’est engagé en faveur des mal-logés (Droit au Logement, DAL) et des migrants sans-papiers, en fondant l’association “Droits devant” avec Léon Schwartzenberg et Albert Jacquard. Et il a été de longue date un militant pour la paix et la non-violence, s’élevant dès les années 1980 contre l’armement nucléaire.

Mettons en exergue cette phrase d’un entretien qu’il a donné en 2016 à la Conférence chrétienne des Baptisés de France, repris par le site “Nous sommes aussi l’Eglise” :

Mon rêve : construire un monde où chacun existe pour l’autre. Quand je dis “chacun existe pour l’autre”, j’inclus aussi des peuples opprimés : le peuple palestinien, le peuple sahraoui, le peuple kurde… Demain est à faire.

Voici un plus long extrait de cet entretien, qui montre aussi combien la manière d’être de Jacques Gaillot a été faite des histoires de la vie quotidienne, là où s’écrit l’évangile en notre temps :

(…) Comment voyez-vous l’évolution de la société ?

Une société humaine se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles, ceux qui sont au chômage, sans logement, sans papiers, dans la rue… Une société qui s’avère incapable de respecter les plus faibles ne pourra pas connaître la paix. Prenez le cas des Roms : ils ont autant besoin de respect que de secours. L’homme n’est pas réduit à ce qu’il produit ni à ce qu’il consomme.

La société française, comme l’Europe d’ailleurs, est vouée au métissage.

Je trouve qu’il y a beaucoup d’indifférence aujourd’hui. On ferme son cœur ainsi que les frontières. Le pape François a dit : “Il faut passer de la mondialisation de l’indifférence à la mondialisation de la solidarité.” Dans l’association “Droits devant” dont je suis président, la devise est : “Pas de murs entre les peuples. Pas de peuples entre les murs.”

Le vivre ensemble reste difficile car il y a un déficit du lien social. Parmi les trois valeurs de la devise républicaine, la plus malmenée est l’égalité. “Il y a des gens qui sont plus égaux que d’autres.”

Comment voyez-vous l’avenir de l’Église, à partir de votre cheminement ?

L’Église est un ferment d’humanité pour le monde. Je souhaite qu’elle fasse le choix des pauvres. Quand on est solidaire des plus démunis, l’avenir est ouvert.

J’aimerais que mon Église dénonce le scandale des ventes d’armes. Ce commerce est intolérable. Qu’elle s’oppose à l’arme nucléaire qui est un danger pour l’humanité.

Je voudrais que l’Église manifeste sa solidarité au peuple palestinien qui est un pays occupé et qui subit l’injustice au quotidien.

Cela n’est-il pas une exigence humaine avant tout ?

La route de l’homme, c’est la route de l’Église. Il n’y en a pas d’autre. Le seul combat qui vaille, c’est le combat de l’homme. Comment annoncer l’Évangile sans passion pour la justice !

Plus que l’Église ?

L’Église n’est pas faite pour elle-même. Si elle ne sert pas, elle ne sert à rien. Dom Helder Camara disait : “Je ne serai pas le prêtre de Jésus-Christ si je ne suis pas une espérance pour les pauvres.”

Mon rêve : construire un monde où chacun existe pour l’autre. Quand je dis “chacun existe pour l’autre”, j’inclus aussi des peuples opprimés : le peuple palestinien, le peuple sahraoui, le peuple kurde… Demain est à faire.

On peut dire un mot de votre rencontre avec le pape François ?

Le pape François reste lui-même : un homme libre. Il n’est pas un homme d’appareil. Quel homme étonnant ! Je lui ai dit qu’il était un cadeau de Dieu pour le monde et les Églises.

“J’aime, m’a-t-il dit, cette image du Christ qui frappe à la porte de l’Église. On croit toujours que le Christ est dehors et qu’il frappe pour qu’on le laisse entrer. Mais le Christ n’est pas à l’extérieur, il est à l’intérieur de l’Église. Il frappe pour qu’on lui ouvre les portes afin d’aller vers les périphéries du monde. Il veut sortir.”

Je me suis permis d’ajouter : “N’enfermons pas Celui qui est venu nous libérer.”

Avant le synode sur la famille qui allait se tenir prochainement, le pape François était intéressé par l’expérience des familles. Je lui ai parlé de deux couples : un couple de divorcés désire se marier civilement après 20 années de vie commune. Étant croyants pratiquants, ils souhaitent une bénédiction mais ne trouvent pas de prêtre qui accepte. Ils m’écrivent. On se rencontre, on mange ensemble. Ils sont sympathiques au possible : “Nous avons une résidence secondaire dans un village de la région parisienne. Après le passage à la mairie, on pourrait faire la bénédiction dans notre grand jardin.”

Ils sont 100 personnes ! Tout le monde était invité de ces familles recomposées. Après la musique et les chants, le couple dit pourquoi il tient à une bénédiction. Un témoin prend également la parole. Après un texte de saint Paul que je commente, viennent des intentions de prière et je fais la bénédiction si attendue. Tout le monde applaudit et vient féliciter les mariés. La cérémonie était vraie et donnait du sens.

Le pape écoutait attentivement.

J’ai béni également un couple d’homosexuels. Deux hommes de 29 et 30 ans vivent ensemble depuis 9 ans ; ils désirent se marier civilement. Chrétiens pratiquants, ils souhaitent vivement une bénédiction. C’est un refus de la part des prêtres contactés. Ils m’écrivent une belle lettre qui me touche. J’irai les bénir. Leur joie est grande.

Dans un domaine qu’ils ont loué pour le week-end, 80 personnes se retrouvent pour la cérémonie au son de la musique et des chants. Les deux mariés prennent la parole pour donner sens à leur démarche. Un témoin explique les difficultés de parcours que peuvent connaître des homosexuels dans leur vie de famille et de travail. Je commente un texte d’évangile et les bénis. Tout le monde applaudit.

Que dit François?

“La bénédiction, c’est dire la bonté de Dieu à tout le monde sans exclure personne.” J’ajoute : “On bénit des maisons, on peut bénir les personnes !”

Quelle parole d’Évangile vous parle le plus ?

“Demeurez dans mon amour.”

Jésus m’habite. Il est là, où que j’aille, quoique je fasse. Je lui parle comme on parle à un ami. Je me sens dans la main du Père et comme le dit le psalmiste : “Passerais-je un ravin de ténèbres, je ne craindrai aucun mal.”

Un matin, je me rendais en banlieue, à Montreuil. Je prenais le métro ; en sortant de la station, il pleuvait à verse. Je me précipite sous une porte cochère en attendant que les cieux soient plus cléments. Et voici qu’un homme vient vers moi.

“Voulez-vous mon imperméable ?

– Je suis très touché, mais vous avez besoin de votre imperméable autant que moi. Je ne veux pas vous en priver ! Je ne sais pas comment saint Martin a fait.”

On échange quelques paroles ; j’apprends que cet homme est juif. Il poursuit son chemin avec son imperméable. Une minute se passe, une femme vient vers moi avec son parapluie :

“Monseigneur, venez sous mon parapluie.”

Cette fois-ci, je ne pouvais pas refuser. On peut être deux sous un parapluie. Me voilà donc au bras de cette femme ; on se serrait fort parce qu’il pleuvait toujours à verse. Chemin faisant, la femme me dit : “Je vous conduis là où vous voulez aller. Vous savez, celle qui tient ce parapluie, c’est une musulmane.”

Je me disais en moi-même : belle promenade œcuménique dès le matin ! Un juif, une musulmane… puis je me suis dit : j’ai bien fait de ne pas prendre d’imperméable ni de parapluie. Quand on a ce qu’il faut, on n’a pas besoin des autres, mais quand on est en manque, on est bien content d’être aidé.

Si l’Église a tout ce qu’il faut pour vivre, pourquoi se tourner vers les autres ? Si elle a la vérité, pourquoi perdre son temps à aller dialoguer avec les autres et chercher ce qu’elle a déjà ? Mais si l’Église est en manque, si elle accepte humblement d’être aidée par des étrangers, des non croyants, des malades, des petites gens, alors elle retrouve un souffle évangélique et les pauvres la sentent à elle.

Source : https://nsae.fr/2016/11/09/jacques-gaillot-un-eveque-au-plus-pres-des-pauvres-et-des-opprimes/

Un hommage laïque a été rendu à Jacques Gaillot à l’initiative de “Droits devant” le samedi 15 avril 2023, place de la Bastille.

Ses funérailles sont célébrées par l’archevêque de Paris le 19 avril 2023 à 15h en l’église Saint-Médard (5ème).

CDM

Photo : site Nsae https://nsae.fr/2019/03/23/mgr-jacques-gaillot-leglise-est-appelee-a-renaitre/

On trouvera une biographie de Jacques Gaillot dans l’article de Claire Lesegrétain et Malo Tresca paru dans le journal La Croix du 12 avril 2023,Mort de Jacques Gaillot, ‘l’évêque rebelle’

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