En Italie, les migrants sont à la rue 

L’Italie peine à faire face aux flux de migrants qui se dirigent des côtes du sud vers Rome puis Milan, Côme ou Vintimille.

Par milliers, ces hommes, femmes et enfants, originaires en grande partie de la Corne d’Afrique, dorment à même la rue, assistés par des bénévoles.

Imaginez une rue étroite longue de 200 mètres, jalonnée de grilles et portes en bois donnant sur d’anciens ateliers et de dépôts industriels avec jardins et arbres séculaires. À Rome, la via Cupa près de la gare ferroviaire et routière Tiburtina est le principal point de chute des migrants en transit, originaires de la Corne d’Afrique.

C’est aussi l’emblème des camps de fortune de migrants qui se multiplient dans les villes italiennes.

Depuis le début de l’année, 100 000 personnes – dont près de 15 000 mineurs isolés – ont embarqué sur des rafiots au péril de leur vie pour traverser la Méditerranée et poser un pied sur le sol italien, avec pour unique but gagner le nord de l’Europe.

Comme en 2015, l’afflux s’est considérablement intensifié au cours de l’été : près de 46 000 sont arrivés pendant les seuls mois de juin et juillet selon le Haut-Commissariat aux réfugiés. Et la plupart finissent par échouer là, sur la via Cupa, avant de reprendre leur route pour le Nord.

Une précarité extrême

Malgré les élans de générosité des Romains qui chaque jour apportent nourriture, vêtements, chaussures ou articles de toilette, malgré les aides du Vatican et le soutien de plusieurs associations, l’extrême précarité des conditions de vie des centaines de migrants qui vivent dans la rue choque les visiteurs du camp.

Il n’y a ni eau courante ni électricité et ce sont les branches d’arbres qui servent de sèche-linges, porte-habits et parasols.

Le matin, on peut observer des Africains – Érythréens, Éthiopiens, Nigérians, Somaliens ou Soudanais – et des Italiens munis de balais et pelles qui nettoient soigneusement les quelques tentes de bivouac, les tables de camping et les six WC chimiques, loués par l’association Baobab Expérience.

Les tentes sont prioritairement réservées aux enfants. Les matelas aux femmes. La majorité des 300 à 450 migrants n’ont pour lit qu’un coin d’asphalte.

Rencontrée sous un auvent en toile, Rosaria, bibliothécaire à la retraite, s’inquiète des conditions d’hygiène de cette rue où courent rats et souris. « Un centre sportif nous a mis à disposition ses douches le dimanche, mais il faut d’autres solutions. »

L’inertie des institutions

Alberto Barbieri, chirurgien urgentiste, coordinateur de l’association des médecins pour les droits humains (Medu), lui fait écho. « Ces jeunes personnes sont passées du désert à la Libye et des côtes libyennes à la Sicile en surmontant des épreuves dantesques. Nous avons beau être présents, s’ils ne peuvent se laver régulièrement, tous les soins prodigués seront inutiles », regrette-t-il.

Le docteur Barbieri pointe particulièrement du doigt « l’incapacité des institutions à mettre en place des centres humanitaires pour ceux qui ne demandent pas l’asile ou ne peuvent l’obtenir. »

Les représentants de Baobab Experience et de Medu font pression sur la Ville de Rome qui n’a jusqu’à présent octroyé aucun financement mais qui promet de trouver un lieu plus décent, y compris pour calmer l’exaspération de certains riverains.

Cette inertie ne date pas d’hier. La première association Baobab avait, pendant onze ans, investi les locaux d’une fabrique de vitres abandonnée jusqu’à ce qu’une décision de justice ne ferme le siège fin 2015 pour restituer les locaux à la société immobilière propriétaire des lieux. Début 2016, Baobab expérience a vu le jour et installé son centre d’accueil dans une tente via Cupa.

Le ministère de l’intérieur, empêtré dans les problèmes de gestion des centres d’accueil institutionnels pour demandeurs d’asile, tous saturés, fait profil bas sur la via Cupa, même si deux voitures de police stationnent à l’entrée de la rue.

Quitter l’Italie

De temps à autre, des équipes plus musclées procèdent à des vérifications, comme au lendemain de l’attentat de Nice, pour une opération de « contrôle anti-terrorisme ».

L’Italie regorge aujourd’hui de tels campements sommaires. Pour tous ces migrants, elle reste un pays de passage. « J’ai fui la guerre, les persécutions… Je suis prêt à mourir pour vivre libre. Mes contacts m’ont promis que je quitterai Rome dans quelques jours, je voyagerai en autocar et j’irai en Angleterre. This is my dream ! ».

Pour rien au monde, Erfan, 26 ans, originaire du Soudan du Sud n’est prêt à renoncer à son projet. Tous comme lui rêvent du Royaume-Uni, de la Suède, de l’Allemagne, parfois de la France.

Les frontières ont beau être fermées, après leur halte romaine, ils mettent le cap vers les villes proches de la Suisse et de la France. De là, ils guettent l’ouverture, le chemin escarpé, par lequel ils pourraient quitter l’Italie.

À chaque tentative avortée, ils s’en retournent vers les camps sauvages de Vintimille, de Côme ou de Milan. À Côme, des centaines d’Africains, bloqués après avoir été refoulés à la frontière suisse, dorment depuis des semaines dans un parc, à proximité de la gare. Le maire, Mario Lucini, n’a pas encore trouvé une structure pour les héberger.

Avec près de 20 000 migrants, la région de Lombardie accueille le plus grand nombre de réfugiés et demandeurs d’asile en Italie. La situation y est devenue critique, notamment à Milan. Et les autorités régionales se divisent face à l’urgence.

Entre indifférence et répression

Le gouverneur de la région Roberto Maroni (Ligue du Nord) prône l’expulsion de « tous ces illégaux ». Mais, à force d’insistance, le maire démocrate de Milan, Giuseppe Sala, vient d’obtenir l’accord du ministère de la défense pour aménager une ancienne caserne militaire.

Quant à la ville frontière de Vintimille (en Ligurie), des autocars, sous escorte policière, transportent, de nuit, des migrants – majoritairement soudanais – vers des centres d’identification et d’expulsion installés au sud de l’Italie.

Les forces de l’ordre y ont dernièrement renforcé les contrôles depuis les manifestations des militants radicaux « No Borders » venus, le 5 août, soutenir 140 migrants qui voulaient entrer en France.

Face à la multiplication des camps sauvages, les autorités italiennes oscillent entre politique de l’autruche et répression. La plupart des migrants, livrés à eux-mêmes, errent dans les villes et les campagnes.

Via Cupa a été vidée en février avant de se reconstituer peu après sans que la police n’intervienne. L’Italie ne renvoie qu’un petit nombre de ceux qui n’ont pas droit à la ville mais accélère l’expulsion d’étrangers installés en Italie et catalogués comme radicaux.

En guise de prévention, le ministère de l’intérieur a dépensé 1,5 million d’euros pour une campagne d’information à destination des migrants sur les réseaux sociaux et les radios locales dans une quinzaine de pays pour avertir les Africains des dangers de la traversée du désert et de la Méditerranée.

Et surtout le gouvernement tempête contre ses homologues européens qui traînent des pieds pour appliquer les accords de relocalisation. À peine 850 réfugiés venant d’Italie ont été accueillis par un autre pays de l’Union depuis les accords de septembre 2015…

L’Italie, la porte d’entrée européenne

– Cent mille migrants sont arrivés en Italie depuis le début de l’année. En 2015, le total avait atteint 150 000.

– Parmi eux les mineurs étaient 16 000, dont 14 500 non accompagnés. En 2045, ils étaient 12 000. En moyenne ils sont âgés de 15 à 17 ans.

– Les migrants viennent tous ou presque du continent africain. En 2016, 17 % sont Nigérians et 13 % Érythréens, les deux premières nationalités. Arrivent ensuite, les Gambiens, Ivoiriens, Guinéens, Soudanais, Somaliens, Sénégalais et Maliens (6 à 8 % des effectifs pour chacune des nationalités).

– Le programme temporaire européen de relocalisation d’urgence adopté par les États membres de l’UE en septembre 2015, prévoit de relocaliser 160 000 personnes depuis l’Italie et la Grèce d’ici au mois de septembre 2017. À la mi-juillet, 843 avaient été relocalisées depuis l’Italie et 2213 depuis la Grèce.

Filippo Monteforte/Afp