Nous publions à la suite ces deux textes qui éclairent autrement les événements tragiques qui occupent tous les esprits en ce moment.
Le premier est d’un administrateur de CDM, Maître Maurice Buttin, de longue date défenseur des droits des Palestiniens. Il est avocat honoraire à la Cour, Président par intérim du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient, membre des C.A. de “Pour Jérusalem”, des “Amis de Sabeel-France”, de “Chrétiens de la Méditerranée”. Il est membre de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et du Parti socialiste (depuis juin 1967).
Le second est d’un éminent historien juif israélien, Ilan Pappé, actuellement en exil au Royaume-Uni, qui appelle “à ne pas tergiverser sur le soutien à la Palestine.
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LES PALESTINIENS ONT-ILS LE DROIT DE SE DEFENDRE
POUR LIBERER LEUR PAYS OCCUPE ?
Avant d’aborder les tragiques évènements du [7 octobre 2023], un bref point d’histoire s’impose pour les comprendre.
Sans remonter à la double trahison du monde arabe par la France et la Grande Bretagne en 1916-1917 (les deux pays se partageant le Proche-Orient et la Grande-Bretagne, après la Déclaration Balfour, offrant aux Juifs, dans le cadre de son mandat, la création d’un Foyer National en Palestine), il faut rappeler le partage de la Palestine le 29 novembre 1947 par les Nations Unies, en deux États, l’un juif, l’autre arabe – sans demander quoi que ce soit aux indigènes de ce pays, les Palestiniens, en violation des règles de base de la Charte de l’ONU sur le droit à l’autodétermination. Comme l’a écrit l’écrivain hongrois Arthur Koestler, “les grandes puissances (Etats-Unis, URSS, France etc. qui ont appuyé la partition) ont partagé un territoire qui ne leur appartenait pas et donné, ainsi, à une tierce partie, ce qui appartenait à une autre !”. J’ajouterai non concernée par la Shoah, c’est-à-dire la mort de 6 millions de Juifs.
Après leur révolte contre l’occupant britannique, les Juifs, colonisateurs de la Palestine, proclament, par leur leader David Ben Gourion, leur État, qu’ils nomment Israël, le 14 mai 1948. Les Arabes (Palestiniens), proclament, eux, par le Conseil National Palestinien, leur État, la Palestine, le 15 novembre 1988, mais seulement sur 22 % du mandat britannique. (L’État d’Israël ayant porté sa surface à 78 % du mandat après une première guerre perdue par les États arabes et après la signature de divers armistices en 1949). Cet État de Palestine est aujourd’hui reconnu par 138 États, dont le Vatican, et la Suède en dernier lieu. Il est membre à part entière de l’UNESCO et d’autres organisations de l’ONU. Il a même obtenu le statut d’État observateur à cet organisme depuis le 29 novembre 2012, comme le Vatican antérieurement. Il a reconnu de facto l’Etat d’Israël par sa proclamation.
Mais, ces 22 % sont OCCUPES depuis juin 1967 (la Guerre de six jours) par l’État d’Israël, dont les dirigeants – leur idéologie sioniste, la charte du Likoud, les faits sur le terrain (annexion de facto d’une grande partie de la Cisjordanie par le développement de colonies, de routes de l’apartheid, d’un mur dit de “séparation”, bien au-delà de la “ligne verte” établie lors des armistices de 1949) – affirment qu’il n’y aura jamais d’État palestinien, lorsqu’ils ne nient pas l’existence même des Palestiniens !
Les tragiques évènements du week-end
Le samedi 7 octobre à l’aube, déjouant les célèbres services de renseignements israéliens, cinquante ans après la Guerre du Kippour pour les uns, du Ramadan pour les autres, la branche armée du Hamas, lance l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” (en référence aux violations de plus en plus fréquentes depuis le début de l’année des lieux saints musulmans, l’esplanade des Mosquées par des Juifs radicaux appuyés par l’armée israélienne). 5 000 roquettes sont lancées, touchant diverses villes israéliennes, dont la plus proche, Sdérot. En même temps, des commandos de résistants armés pénètrent en Israël “par la mer, les airs et la terre” selon les déclarations de l’armée israélienne – ou agissent au sein même d’Israël – ce que nul n’indique, comme par hasard. Ils occupent 22 positions. 7 colonies sont attaquées. Près de 900 Israéliens militaires et civils sont tués, plus de 2 000 blessés, 130 à 150 otages enlevés. Il s’agit là, par ces résistants, de représailles de choc à l’OCCUPATION de la Palestine, comme de leur côté les commandos de Jénine, Ramallah ou Naplouse, n’ont cessé d’agir depuis des mois. Les chefs du Hamas le déclarent : “Nous avons décidé de mettre fin à tous les crimes de l’occupation”.
Israël, la surprise passée, comme en octobre 1973, réagit immédiatement et lance dès le samedi, en répression (et non en “représailles”, souvenons-nous de la célèbre phrase prémonitoire du Général De Gaulle, dans sa conférence de presse du 27 novembre 1967: “Maintenant, il (Israël) organise sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme“) d’intenses bombardements aériens – plus de 1630 raids en deux jours – outre l’emploi de l’artillerie, causant les seuls samedi et dimanche, la mort de 416 Palestiniens, dont 79 enfants et 42 femmes, plus de 2 300 blessés, des dégâts considérables (2 jardins d’enfants, 5 cafés et restaurants, 12 grands immeubles détruits, des dizaines de maisons et bâtiments publics, 2 pharmacies) – tous des repaires de “terroristes” selon les dires des dirigeants israéliens. 130 000 Gazaouis ont dû quitter la ville, selon le Bureau de coordination des affaires humaines de l’ONU.
Les bombardements ont repris ce lundi avec une nouvelle opération “Sabre d’acier” lancée par l’armée israélienne. Des dizaines d’avions de chasse ont frappé et frappent Gaza, de même que des chars et de l’artillerie. De son côté, le Hamas continue de lancer des roquettes sur les villes israéliennes. A l’heure où j’écris ces lignes je ne connais pas la triste liste des nouvelles victimes de part et d’autre, notamment de civils, ce que je ne peux que déplorer. Mais à qui la faute ? Qui a expulsé 700 000 palestiniens en 1948-49 ? (La Nakba, la grande catastrophe du peuple palestinien). Qui a tué des milliers de Palestiniens depuis le partage de 1947 ? Qui a refusé la victoire du Hamas lors des élections parfaitement légales en 2006 ? Qui a arrêté 30 parlementaires palestiniens régulièrement élus, quelques semaines après ? Qui depuis 2007 a fait de la bande de Gaza une “prison à ciel ouvert”, affamant deux millions de Palestiniens ?
Je note que fort justement le Premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré : “Nous sommes en guerre, il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre”, ajoutant “L’ennemi payera un prix sans précédent“. Et d’ordonner la coupure du gaz, de l’eau et de l’électricité fournis par Israël aux Gazaouis, en violation une fois de plus du droit international. Oui, il s’agit bien d’une guerre de libération. Forcément elle entraîne la mort de combattants, mais aussi de civils. Qui a oublié les bombardements de Dresde et de Hambourg sur l’Allemagne ou d’Hiroshima et de Nagasaki sur le Japon ?
Le Journal du Dimanche du 8 octobre – tout en critiquant le Hamas par le biais d’un interview de Frédéric Encel, professeur à Sciences Po Paris – reconnait que “le Hamas a replacé la cause palestinienne de façon spectaculaire au premier plan“. Oui, d’abord, pour mettre l’ensemble des États arabes en face de leur responsabilité, ou de leur trahison, quant à la cause palestinienne, qui fut pendant longtemps (du moins dans leurs discours) leur “cause principale”. L’Arabie saoudite, que d’aucuns croyaient proche d’un accord avec Israël l’a bien compris. Elle a immédiatement dénoncé “les forces d’occupation israéliennes” et “les dangers d’une situation explosive résultant d’une occupation continue, de la privation des Palestiniens de leurs droits légitimes“. Bien évidemment, la majorité des dirigeants arabes, et en tout cas la totalité des peuples arabes, ont salué la “fière opération Déluge d’Al Aqsa” engagée par le Hamas, comme l’ont fait, de leur côté, les dirigeants de l’Iran ou ceux du Hezbollah libanais. L’OCI, l’Organisation de la Coopération Islamique, a rappelé que “l’attaque de samedi était le résultat de l’OCCUPATION et de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes“. Certains pays, comme la Chine, la Russie, la Turquie, le Brésil ont simplement appelé à la désescalade, sans condamner un camp ou l’autre.
Ensuite le Hamas a agi pour rappeler aux dirigeants du monde entier, particulièrement occidentaux, responsables de la création de l’État d’Israël, leur devoir quant à la nécessité, sans tarder davantage, d’un juste règlement de la “question palestinienne”.
Comment ceux-ci peuvent-ils “oublier” à ce point que depuis la création de l’État d’Israël ses dirigeants font fi, se moquent, du droit international et des résolutions de l’ONU – condamnant l’OCCUPATION de la Palestine et son annexion peu à peu par le développement de plus d’une centaine de colonies – sachant qu’ils bénéficient d’une totale impunité par l’emploi du droit de veto de leur fidèle allié au Conseil de Sécurité, les Etats-Unis ? Aujourd’hui encore, le président Joë Biden, “condamnant l’organisation terroriste du Hamas, assure que le soutien des USA à l’État d’Israël est gravé dans le marbre et est inébranlable“. Et d’ajouter : “Nous veillerons à ce que les Israéliens reçoivent l’aide dont ils ont besoin pour continuer à se défendre. Israël à droit de se défendre et de défendre son peuple”.
Ce droit d’Israël de se défendre sera repris par tous les dirigeants occidentaux français, italiens, allemands, anglais, etc. ou presque. “C’est le terrorisme sous sa forme la plus méprisable. Israël a le droit de se défendre contre des attaques aussi odieuses” a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. “Je condamne sans équivoque les brutales attaques perpétuées par le Hamas contre des civils israéliens. Le Royaume Uni soutiendra toujours Israël à se défendre” a précisé le ministre des Affaires étrangères britanniques, James Cleverly. Etc.
La classe politique française de l’extrême droite à la gauche socialiste, en passant par les dirigeants de notre pays, n’est pas en reste. Elle évoque le droit d’Israël à se défendre en condamnant la terreur causée par cette brutale et inattendue entrée en guerre du Hamas. “Je condamne fermement les attaques terroristes qui frappent actuellement Israël” a déclaré le président Emmanuel Macron. “Les frappes du groupe terroriste Hamas contre Israël sont un acte de guerre inacceptable. Nous sommes plus que jamais aux côtés de la démocratie israélienne” a affirmé Marine Le Pen. “Je condamne des attaques terroristes d’une violence inouïe” (Aurore Berger, ministre de la Solidarité). “Le terrorisme n’est pas une justice (…) Il décrédite les causes qu’il prétend servir. Je condamne totalement l’attaque lancée par le Hamas” (Olivier Faure, le 1er secrétaire du parti socialiste). Les dirigeants de la France Insoumise, pour leur part, renvoient les belligérants dos à dos, ce qui les fera traiter d’antisémites par la Première ministre Elisabeth Borne, amalgamant une nouvelle fois l’antisémitisme, qui est le crime absolu, et l’antisionisme parfaitement justifiable. Le comble est venu du nouveau Président du CRIF Yonathan Arfi : “Une fois de plus le Hamas rappelle son refus de l’existence de l’Etat d’Israël.” Non, trois fois non ! Le Hamas rappelle une fois de plus le refus par Israël de l’existence de la Palestine.
Ainsi pas un de ces dirigeants internationaux ou nationaux – sauf certains de la NUPES – n’ont évoqué, ni de près ni de loin, le droit aussi des Palestiniens de se défendre contre une OCCUPATION dont ils sont victimes (avec combien de milliers de morts, de blessés, de destructions, d’humiliation) depuis cinquante-six ans.
Souvenons-nous du discours du président Sadate à la Knesset en novembre 1977 : “Il n’y aura jamais la paix au Proche-Orient tant que le problème palestinien ne sera pas résolu“.
Des déclarations maintes fois répétées de Mgr Sabbah, patriarche latin émérite de Terre sainte : “Il n’y aura jamais la Paix dans la région tant que l’OCCUPATION de la Palestine perdurera“. Et des interventions de tous les papes. Paul VI, le 13 février 1978, lors de la visite du Président Sadate : “Il faut reconnaître une prospective de justice et de sécurité pour toutes les populations du Moyen-Orient (…) Il faut aussi donner satisfaction aux légitimes aspirations du peuple palestinien“. Jean-Paul II, lors de son voyage en Palestine occupée d’abord, puis en Israël en mars 2000, lors de sa journée à Bethléem, au camp de Deheishé : “Personne ne peut ignorer combien le peuple palestinien a dû endurer de souffrances au cours des dernières décennies. Votre tourment est sous les yeux du monde et il a duré trop longtemps (…) Mes prédécesseurs et moi-même avons toujours répété qu’il n’y aurait pas de fin au triste conflit en Terre sainte sans que soient garantis tous les droits des peuples impliqués sur la base des lois internationales, résolutions et déclaration des Nations Unies (…). C’est seulement dans le cadre d’une paix juste et durable – non pas imposée mais obtenue par la négociation – que les légitimes aspirations palestiniennes seront satisfaites” (Souligné par moi-même). Le pape François, lors de la 5ème guerre contre les Gazaouis en mai 2021 : “L’augmentation de haine et de violence (…) est une grave blessure à la fraternité et à la cohabitation entre citoyens”, “Vraiment, pense-ton construire la paix en détruisant l’autre ?“
Je n’oublie pas le drame vécu par les otages, leur dilemme. L’armée israélienne doit-elle y penser ou se lancer à l’assaut de la bande de Gaza ? Non, selon moi, ils doivent être libérés, mais dans la cadre d’un accord, non seulement de libération de quelques centaines de prisonniers palestiniens dont au premier chef Marwan Beghouti – qui seront réincarcérés quelques semaines après – mais dans un accord de réconciliation avec échange de la terre (libération de la Palestine) et de la paix.
En conclusion, je partage le point de vue du professeur Thomas Vescovi, cité par le journal La Croix du 9 octobre, quant il affirme que “la disproportion des forces est telle que cela va finir dans un bain de sang“. Oui, hélas, aujourd’hui. Mais demain ou après-demain ? Ou de nouveaux dirigeants en Israël et en Palestine, – comme Frederic de Klerk, dernier président blanc d’Afrique du Sud durant l’apartheid et Nelson Mandela, tous deux prix Nobel de la Paix en 1993 ; comme le général De Gaulle et les dirigeants du FLN pour l’Algérie en 1962 – signeront un accord pour mettre fin à l’OCCUPATION de la Palestine, ou Israël se retrouvera à veille de sa destruction par la faute de ses dirigeants animés d’une idéologie nationale sioniste radicale.
Me Maurice Buttin, avocat honoraire à la Cour.
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“NE PAS TERGIVERSER” SUR LE SOUTIEN À LA PALESTINE
“Il n’est pas toujours facile de s’en tenir à sa boussole morale, mais si elle pointe vers le nord – vers la décolonisation et la libération – elle vous guidera très probablement à travers le brouillard de la propagande empoisonnée.
Il est difficile de garder son sens moral lorsque la société à laquelle on appartient – dirigeants et médias confondus – prend le dessus et attend de vous que vous partagiez avec elle la même fureur vertueuse avec laquelle elle a réagi aux événements de samedi dernier, le 7 octobre 2023.
Il n’y a qu’une seule façon de résister à la tentation de se joindre à eux : si vous avez compris, à un moment de votre vie – même en tant que citoyen juif d’Israël – la nature coloniale du sionisme et si vous avez été horrifié par ses politiques à l’encontre du peuple autochtone de Palestine.
Si vous avez pris conscience de cela, vous ne tergiverserez pas, même si les messages empoisonnés décrivent les Palestiniens comme des animaux ou des “animaux humains”. Ces mêmes personnes insistent pour décrire ce qui s’est passé samedi dernier comme étant un “Holocauste”, abusant ainsi de la mémoire d’une grande tragédie.
Ces sentiments sont véhiculés, jour et nuit, par les médias et les hommes politiques israéliens.
C’est ce sens moral qui m’a conduit, ainsi que d’autres membres de notre société, à soutenir le peuple palestinien par tous les moyens possibles ; et qui nous permet, en même temps, d’admirer le courage des combattants palestiniens qui se sont emparés d’une douzaine de bases militaires, surmontant l’armée la plus puissante du Moyen-Orient.
Par ailleurs, des personnes comme moi ne peuvent s’empêcher de poser des questions sur la valeur morale ou stratégique de certaines des actions qui ont accompagné cette opération. Parce que nous avons toujours soutenu la décolonisation de la Palestine, nous savions que plus l’oppression israélienne se poursuivrait, moins la lutte de libération aurait de chances d’être “stérilisée” – comme cela a été le cas dans toutes les luttes de libération justes du passé, partout dans le monde.
Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas garder un œil sur le tableau d’ensemble, ne serait-ce qu’une minute. Ce tableau est celui d’un peuple colonisé luttant pour sa survie, à un moment où ses oppresseurs ont élu un gouvernement déterminé à accélérer la destruction, voire l’élimination du peuple palestinien – ou même de sa revendication à être un peuple.
Le Hamas se devait d’agir, et rapidement.
Il est difficile d’exprimer ces contre-arguments parce que les médias et les politiciens occidentaux se sont ralliés au discours israélien et à sa narration, aussi problématique soit-elle.
Je me demande combien de ceux qui ont décidé de revêtir le Parlement de Londres et la tour Eiffel de Paris des couleurs du drapeau israélien comprennent vraiment comment ce geste apparemment symbolique est reçu en Israël.
Même les sionistes libéraux, dotés d’un minimum de décence, ont interprété cet acte comme une absolution totale de tous les crimes commis par les Israéliens contre le peuple palestinien depuis 1948, et donc comme une carte blanche pour poursuivre le génocide qu’Israël est en train de perpétrer contre la population de Gaza.
Heureusement, les événements de ces derniers jours ont suscité des réactions différentes.
Comme par le passé, de larges pans des sociétés civiles occidentales ne se laissent pas facilement duper par cette hypocrisie, qui s’est déjà manifestée dans le cas de l’Ukraine.
Nombreux sont ceux qui savent que depuis juin 1967, un million de Palestiniens ont été emprisonnés au moins une fois dans leur vie. Et avec l’emprisonnement, viennent les abus, la torture et la détention permanente sans procès.
Ces mêmes personnes connaissent également l’horrible réalité qu’Israël a créée dans la bande de Gaza lorsqu’il a bouclé la région, imposant un siège hermétique, à partir de 2007, accompagné du meurtre incessant d’enfants en Cisjordanie occupée.
Cette violence n’est pas un phénomène nouveau, puisqu’elle est le visage permanent du sionisme depuis la création d’Israël en 1948.
Grâce à cette même société civile, mes chers amis israéliens, votre gouvernement et vos médias finiront par se tromper, car ils ne pourront pas revendiquer le rôle de victimes, recevoir un soutien inconditionnel et s’en tirer avec leurs crimes.
Le tableau d’ensemble finira par apparaître, en dépit de la partialité inhérente aux médias occidentaux.
La grande question, cependant, est la suivante : mes amis israéliens, serez-vous en mesure de voir clairement ce même tableau d’ensemble ? Malgré des années d’endoctrinement et de manipulation à grande échelle ?
Et, ce qui n’est pas moins important, serez-vous capables d’apprendre l’autre leçon importante – celle que l’on peut tirer des événements récents – à savoir que la force seule ne peut pas trouver l’équilibre entre un régime juste d’une part et un projet politique immoral d’autre part ?
Mais il existe une alternative. En fait, il y en a toujours eu une :
Une Palestine dé-sionisée, libérée et démocratique, du fleuve à la mer ; une Palestine qui accueillera les réfugiés et construira une société qui ne discrimine pas sur la base de la culture, de la religion ou de l’appartenance ethnique.
Ce nouvel État s’efforcerait de corriger, dans la mesure du possible, les maux du passé, en termes d’inégalité économique, de vol de propriété et de déni de droits. Cela pourrait annoncer une nouvelle ère pour l’ensemble du Moyen-Orient.
Il n’est pas toujours facile de s’en tenir à sa boussole morale, mais si elle pointe vers le nord – vers la décolonisation et la libération – alors elle vous guidera très probablement à travers le brouillard de la propagande empoisonnée, des politiques hypocrites et de l’inhumanité, souvent perpétrées au nom de “nos valeurs occidentales communes”.
Ilan Pappé
Sources :
Né en 1954 à Haïfa, Ilan Pappé fait partie des « nouveaux historiens » israéliens qui ont réexaminé de façon critique l’histoire d’Israël et du sionisme. Auparavant maître de conférences en sciences politiques à l’université de Haïfa, il s’est exilé en Grande-Bretagne en 2007. Il est aujourd’hui professeur d’histoire à l’université d’Exeter et directeur du Centre européen d’études sur la Palestine.
Parmi ses ouvrages traduits en français :
- Une terre pour deux peuples. Histoire de la Palestine moderne (Fayard, 2004)
- La Guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit israélo-palestinien (10/18, 2005)
- Le nettoyage ethnique de la Palestine (Fayard, 2008)
- Les Dix légendes structurantes d’Israël (Les Nuits rouges, 2021)
Document communiqué par Laurent Baudoin.