Décès de Jawdat Said, le héraut syrien de la non-violence selon l’islam.

Jawdat Said a pu être appelé le Gandhi syrien. Il est pratiquement inconnu dans le monde occidental. Nous faisons mémoire de sa vie et de son action en préambule au dossier syrien que nous préparons. Ce surnom est rappelé par Juliette Paquier, avec Anne-Bénédicte Hoffner, dans l’article du journal La Croix du 31 janvier 2022, qui annonce son décès à Istambul, où il était exilé depuis le début de la guerre de Syrie en 2011.

L’article de La Croix note justement “son opposition à la violence de certaines des manifestations qui avaient éclaté dans le pays en 2011. Il craignait notamment que cette violence ne contribue à ‘justifier celle du régime et finalement à créer une confusion entre victimes et bourreaux’, selon Viviana Schiavo”.

Cette universitaire Italienne engagée dans le dialogue islamo-chrétien a étudié la figure et l’œuvre de Jawdat Saïd dans le cadre de ses travaux à l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai) de Rome. Elle en a tiré un long article sur le site italien de dialogue interreligieux Oasis. En voici l’introduction:

“Violence et religion. Ces dernières années, cette combinaison fait l’objet d’une attention croissante. Dans les journaux, à la télévision, dans les débats publics et les cercles académiques, on s’interroge davantage sur le lien entre l’appartenance religieuse et le climat de terreur et de méfiance réciproque qui s’est répandu mondialement. L’Islam est devenu l’objet principal de ces réflexions, surtout après les attentats de 2001. En revanche, on a très peu parlé de l’autre côté de la médaille, c’est-à-dire la non-violence dans l’Islam. C’est pourtant un sujet réel qui pourrait contribuer à animer un débat qui tend à être unilatéral. Le pape François lui-même, à l’occasion de la 50e Journée mondiale pour la Paix, a rappelé le rôle joué par le musulman Abdul Ghaffar Khan et son action non violente pour la libération de l’Inde. En outre, les rares études existant sur le rapport entre l’Islam et la non-violence impliquent principalement des acteurs asiatiques, alors qu’on trouve très peu d’écrits sur le monde arabo-musulman.

C’est précisément dans le contexte arabe que se forme l’expérience de Jawdat Said, intellectuel syrien contemporain, auteur d’une théorie sur la non-violence radicale basée sur l’exégèse coranique, la tradition islamique et la lecture des phénomènes historiques. Il s’agit d’un auteur presque inconnu en Europe et relativement peu connu dans le monde musulman, malgré l’importance de sa réflexion. Une importance liée à de nombreux facteurs. Le premier réside dans sa capacité à conjuguer, dans la pensée et l’action, une nouveauté interprétative avec un sens profond de l’appartenance à sa propre religion et tradition, sans aucune diminution ni adaptation. La réflexion de Jawdat Said plonge ses racines dans les fondements de la religion islamique, surtout dans le Coran et la Sunna. Il ne veut pas lire l’Écriture dans une optique occidentale, mais plutôt élaborer une pensée théologico-sociale à la lumière d’une relecture spirituelle, historique et linguistique du texte sacré et du monde, la première œuvre de Dieu. (…)”

L’un des arguments-clés de Jawdat Saïd est que l’ignorance est la cause de la violence. Il en vient jusqu’à l’amour de l’ennemi, selon une perspective qui rappelle le bouddhisme autant que l’Evangile. Le conclusion de Viviana Schiavo vaut ainsi la peine d’être citée :

“Said va encore plus loin, en affirmant que le changement est possible uniquement si on parvient à aimer la diversité. En ouvrant son intériorité à l’amour, on aura en effet la possibilité de le répandre et de produire un changement réel, parce que « tu ne résoudras pas le problème si tu n’aimeras pas celui qui est différent de toi »[14]. Comment est-il possible d’en arriver là ? Pour Said, il s’agit de séparer la maladie du malade, l’erreur de celui qui la commet. “Une personne avec des idées malades n’est-elle pas une personne malade ?”[1]. Les maladies de l’âme sont donc à considérer comme les maladies physiques. Lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie physique, nous rappelle Said, nous continuons à l’aimer tandis que nous haïssons sa maladie et nous la combattons. ‘Une personne malade d’ignorance et de haine a aussi un terrible besoin d’amour et de connaissance, parce que la connaissance est amour et l’amour est connaissance'[2]. C’est dans cette séparation entre le malade et la maladie qu’il parvient au concept de l’amour de l’ennemi, en citant aussi l’Évangile (Mt 5,44), qui nous élève encore davantage. ‘L’action bonne n’est pas semblable à la mauvaise. Repousse celle-ci par ce qu’il y a de meilleur. Celui qu’une inimitié séparait de toi deviendra alors pour toi un ami chaleureux’ (Cor. 41,34). C’est donc à travers le bien et l’amour donnés au monde que nous avons l’occasion de le transformer, en faisant de l’ennemi un ami intime.”

(1) Jawdat Said, Prophetic Disobedience.

(2) Ibid.

On peut voir aussi l’article que lui consacre le site d’information sur l’islam Saphir News.

Images Oasis et AED/Œuvre d’Orient

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