Au moment où le pape Benoît XVI nous adressait son message pour la Journée Mondiale du migrant et du réfugié, dans lequel il nous alertait sur l’enjeu de former une seule famille humaine, des événements importants marquaient la Tunisie. Nousne pouvons y rester indifférents.
Le sentiment d’interdépendance que la mondialisation entretient, nous rend attentifs à ce que vit le peuple tunisien. La solidarité internationale se double pour nous, en Corse, de liens qui nous rendent proches de la Tunisie.Non seulement nous appartenons à l’espace méditerranéen dont nous mesurons de plus en plus notre vocation économique et culturelle commune, mais nous ne pouvons oublier que la Tunisie a donné à l’Eglise en Corse un de ses enfants, en la personne de Monseigneur André COLLINI qui fut évêque d’Ajaccio de 1966 à 1972. Ce qui se passe là-bas, en Tunisie, nous concerne aussi au titre d’une citoyenneté mondiale que Jean Paul II, dans son message pour la paix en janvier 2005, définissait ainsi : « L’appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d’origine et de destinée suprême. […]. La condamnation du racisme, la protection des minorités, l’assistance aux réfugiés, la mobilisation de la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de la citoyenneté mondiale. » Les événements récents de Tunisie, à condition de dépasser l’anecdotique du zapping pour les accueillir dans la réflexion et la prière, sont parlants pour nous, chrétiens. Et cela à plus d’un titre.
Une dynamique pascale
Nous ne pouvons oublier que tout a commencé par le geste de désespoir de Mohamed, un jeune homme de 26 ans. Diplômé sans travail, comme beaucoup de jeunes en Tunisie, il survivait en vendant des fruits et légumes. Pour protester contre son arrestation par la police et la confiscation de son échoppe, il s’est immolé par le feu.
C’est cet événement tragique qui a été à l’origine du soulèvement du peuple. Beaucoup reconnaissent dans le geste désespéré de ce jeune étudiant, l’élément déclencheur du mouvement de pression contre un régime autoritaire qui imposait un ordre injuste depuis plus de vingt ans. Dans cet événement tragique, notre foi chrétienne nous fait discerner la dynamique pascale que le Christ a introduite au cœur de l’humanité et qui ne cesse d’opérer. La mort et la résurrection du Christ nous révèlent la portée du mystère de la mort de Mohamed et sa fécondité : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit en abondance » (Jean 12, 24). Nous mesurons à quel point est fondée l’affirmation du Concile : « En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » (Gaudium et spes n° 22 § 5 )
Un peuple qui refuse le recours à la violence meurtrière
Le peuple tunisien s’est libéré d’un pouvoir autoritaire et corrompu sans recourir à la violence meurtrière. La seule violence qui est à déplorer fut celle qui s’est retournée contre les gens du peuple, et qui a fait plus de 70 morts et une centaine de blessés.
Nous pouvons admirer le sens de la responsabilité de ceux et celles qui, excédés par des années d’un régime injuste et liberticide, ont choisi de manifester sans se réfugier derrière des armes pour semer la terreur et la mort. Ils ont pris conscience que choisir les armes, c’était inéluctablement conduire le pays vers le chaos d’une guerre civile. Celle-ci aurait alimenté la violence et aurait aggravé le processus meurtrier qu’il aurait été bien difficile d’enrayer. La rapidité avec laquelle le régime est tombé manifeste que le peuple a fait le bon choix en refusant de répondre à la violence armée par l’usage des armes. C’est cela qui a fait la force du peuple tunisien.
Chrétiens, cette attitude responsable du peuple tunisien parle à notre foi en Christ. Elle ravive en nous la mémoire de la violence qui s’est aussi déchaînée contre le Christ. Lui aussi a refusé de se laisser entraîner dans cette spirale maudite. Ne pas répondre à la violence, lui opposer une force tranquille et déterminée qui est allée, pour le Christ, jusqu’au pardon, voilà la seule manière de tuer la violence. Si elle ne rencontre pas en l’autre une violence qui l’alimente, elle se perd dans le vide. Cette loi d’humanité que la croix du Christ met en lumière, retrouve aujourd’hui dans l’épreuve du peuple tunisien, toute sa vigueur et son poids de vérité. Le recours aux armes et à la violence est toujours contre-productif ; il est le signe de l’illégitimité d’une position et de la faiblesse des violents.
Un rejet de la corruption
Par leur réaction courageuse suite à l’acte désespéré du jeune Mohamed, les tunisiens ont manifesté leur refus déterminé de l’injustice et de l’iniquité. Ils ont stigmatisé un régime politique qui a laissé s’étendre la corruption. Un tel pouvoir, complice de l’affairisme et asservi à des intérêts particuliers, se révèle incapable de garantir l’intérêt général et le bien commun de tout un peuple qui vit dans la misère et le désespoir. L’expérience vécue en Tunisie, ces derniers jours, révèle qu’un tel déni politique du bien commun est inexorablement voué à l’échec.
Au terme de cette relecture croyante des événements de Tunisie, nous pouvons saluer le combat mené par ce peuple. Il fut préparé depuis longtemps par l’action des militants de la liberté, de la justice et de la démocratie. Beaucoup ont payé le prix de leur engagement par les vexations, la prison et l’exil.
Nous accueillons ce témoignage venu de Tunisie comme une espérance en l’avenir, non seulement de ce peuple et de ce pays proches de nous, mais aussi de l’humanité entière. Merci au peuple tunisien de nous rappeler, au prix du sang pour certains, que la violence et la corruption sont vouées à l’échec. C’est la loi de la vie ! Cette vie nouvelle que le Christ est venu offrir à tous les hommes.
+ Jean-Luc BRUNIN évêque d’Ajaccio