L’actualité donne un relief dramatique aux efforts vers la paix auxquels “Chrétiens de la Méditerranée” entend contribuer, et dont doit témoigner la visioconférence en préparation sur “Les Palestiniens, les récents accords arabo-israéliens et le droit international”. La violence revenue montre encore une fois qu’il n’y a pas de paix sans justice, et la justice inclut la reconnaissance des droits des Palestiniens.
Un concours de circonstances malheureux.
-L’impasse des élections aussi bien palestiniennes qu’israéliennes* a fragilisé les institutions des deux protagonistes. La jeunesse palestinienne critique une Autorité palestinienne dont elle condamne l’inaction intéressée, la voyant repousser sine die les élections annoncées sans beaucoup de regrets (1). L’actuel Premier ministre israélien n’a pas été investi par la Knesset, il est seulement chargé d’expédier les affaires courantes. Il est ainsi tenté par une fuite en avant qui renforcerait sa position et retarderait indéfiniment sa traduction en justice pour corruption.
-Dans la même semaine du 10 au 17 mai, plusieurs éléments de tension se sont superposés : les manifestations de l’extrême droite israélienne célébrant la “réunification de Jérusalem” (2) ; la célébration par les musulmans de la “Nuit du destin” pendant laquelle ils rendent grâce du don de la révélation au prophète et de la fin du Ramadan ; la commémoration par les Palestiniens de l’anniversaire de la Nakba, la grande expulsion de 1948. Cela s’ajoute aux vexations de l’occupation qui s’accumulent au quotidien.
-Les premières expulsions de familles palestiniennes à Jérusalem Est ont été mises à exécution début mai, sur des décisions de justice contestables et contestées, car elles se fondent sur l’application d’une législation purement israélienne, en contradiction avec le droit international s’appliquant aux territoires occupés (3). Le fond en est démographique car la vieille ville voit s’accroître sa population arabe, au point qu’elle y est maintenant largement majoritaire (4), à l’encontre de la volonté d’Israël d’en faire un bastion juif.
Les vexations de l’occupation militaire en toile de fond.
La Palestine entière est concernée par les restrictions aux déplacements, y compris pour le culte, chrétien comme musulman. Des chrétiens ont été agressés lors de la célébration de la Pâque au Saint-Sépulcre comme des musulmans dans la mosquée Al Aqsa lors de la prière du dernier vendredi de Ramadan (5). Mais c’est surtout Gaza qui est concerné dans son blocus interminable (6). Au moment où nous publions une escalade y est en cours. Aux roquettes palestiniennes lancées en représailles, après les exactions commises à Jérusalem répondent les frappes massives de l’armée israélienne, avec les pertes en vies humaines innocentes que cela implique. Le Hamas se sent en position de force face aux faiblesses des dirigeants de l’Autorité palestinienne. Le souvenir de la guerre de 2014 est dans toutes les mémoires. Il y a là une dimension au moins autant politique que confessionnelle.
Quelles réactions à l’international.
L’environnement international apparaît “embarrassé” par des événements auxquels il ne peut cependant pas ne pas réagir. L’ONU a condamné les expulsions par son Haut-Comité sur la Palestine (7), mais sans résolution du Conseil de sécurité, sur vote opposé des États-Unis. La condamnation des “violences”, dont les expulsions, du côté de l’Europe et des États-Unis, porte atteinte à l’image d’Israël mais ses implications réelles restent problématiques. Les États arabes sont pris dans un dilemme, mettre fin ou non, au-delà de déclarations de pure forme, à leur politique de rapprochement avec Israël. Les positions des grands “acteurs régionaux” sont peu lisibles. L’Iran se voit justifié dans son hostilité à Israël et peut faire intervenir des relais comme le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien, mais quel est son poids dans la recherche d’une solution juste ? La Turquie, a-priori proche d’Israël, reste toujours sujette aux revirements brutaux de son imprévisible président. Et derrière eux la Russie joue un jeu complexe avec l’une comme avec l’autre. Elle reste tiraillée manifestement entre son soutien de principe au mouvement palestinien et les liens qu’elle entend garder avec Israël, confortés par l’importante minorité russophone qui y vit.
L’avenir des Palestiniens.
Les Palestiniens entendent remettre à l’ordre du jour la question de leur avenir, au lieu de la voir enterrée à bas bruit dans une annexion de facto de toute la Palestine, à commencer par Jérusalem Est. Ils veulent rester acteurs de leur destin, avec la revendication, ou bien d’un retour à la solution à deux États, ou bien de l’établissement d’un État unique non confessionnel où l’égalité de tous les citoyens soit garantie. C’est toute une jeunesse palestinienne qui exprime son impatience et sa détermination, bousculant les partis, et qui trouve de l’espoir dans quelques mini-victoires (8) : le déplacement du défilé célébrant l’annexion de Jérusalem Est, l’accès de nouveau possible au lieu de rassemblement qu’est la Porte de Damas, le report de la décision de justice sur les expulsions de Jérusalem Est… La violence provocatrice se fait jour avec les lancements de roquettes létales à partir de Gaza. Elle apparaît aussi en diverses villes d’Israël, les Arabes israéliens répondant à l’hostilité dont ils sont l’objet : “Mort aux Arabes”, a crié l’extrême-droite à la Porte de Damas, sans grande réaction des “forces de l’ordre”. Mais le fond n’en reste pas moins une non-violence active, à la manière de Gandhi, qui n’exclut pas la violence puisque sa logique est de révéler la violence de l’injuste oppresseur (9).
CDM
- Billet en ligne de Marilyn Pacouret, Présidente de CDM, https://www.chretiensdelamediterranee.com/elections-en-israel-et-en-palestine/
(1) Voir en particulier René Backmann sur Médiapart, 11 mai 2021, “Jérusalem, la crainte que l’escalade commence seulement”. https://www.mediapart.fr/journal/international/110521/jerusalem-la-crainte-que-l-escalade-commence-seulement
(2) Article de Louis Imbert, 10 mai 2021, dans “Le Monde”, https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/10/en-pleine-crise-politique-jerusalem-s-embrase_6079729_3210.html
(3) UN Human rights, Office of the High Commissioner, May 10th, 2021: “Israel’s forced eviction in Sheikh Jarrah could amount to war crimes”. Cité sur le site Independant Catholic News,
https://www.indcatholicnews.com/news/42171
(4) Entretien avec Vincent Lemire, historien spécialiste de Jérusalem, lundi 10 mai 2021 sur France-Info : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/a-jerusalem-c-est-a-la-fois-un-conflit-immobilier-un-conflit-juridique-et-un-conflit-politique-explique-l-historien-vincent-lemire_4618615.html
(5) Déclaration du patriarcat latin de Jérusalem en accord avec les chefs de toutes les Eglises de Jérusalem. Traduction par le Ccfd Terre-solidaire. Texte anglais, May 10th, 2021: “Churches call for world to intervene to stop violent attacks on Palestinians in Jerusalem”. Cité sur le site Independant Catholic News, https://www.indcatholicnews.com/news/42169
(6) Entretien avec Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et président de l’Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo), le 10 mai 2021, sur France-Info,
https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-palestine-on-peut-craindre-le-pire-dans-les-prochains-jours-selon-un-specialiste_4618989.html
(7) ONU Info. 10 mai 2021 “Jérusalem. Préoccupée par les violences, l’ONU exhorte Israël à cesser les expulsions de familles palestiniennes”, https://news.un.org/fr/story/2021/05/1095692
10 mai 2021. “Violences à la mosquée Al-Aqsa, le Comité des droits palestiniens [de l’Assemblée Générale des Nations-Unies] condamne les actes d’agression et de provocation contre les fidèles”, https://www.un.org/press/fr/2021/agpal1437.doc.htm
(8) The Guardian, 11 mai 2021, “Defiance in the face of Israeli aggression gives Palestinians everywhere hope”. Opinion, Ziad al-Qattan, témoin, résidant en Palestine.
https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/may/11/israeli-palestinians-violence-jerusalem
(9) Voir la “Vague de prière” de Sabeel pour le jeudi 13 mai 2021, sur le site des Amis de Sabeel France, partenaire de CDM. Sabeel est un mouvement œcuménique palestinien de théologie de la libération. https://amisdesabeelfrance.blogspot.com/2021/05/vague-de-priere-pour-le-jeudi-13-mai.html