Appel de “Kairos Global for Justice” aux Églises d’Europe et appel inédit de 200 chrétiens européens pour la paix en Terre sainte.

Cet appel de Kairos Global for Justice est adressé  prioritairement aux Églises d’Europe : “Pourquoi gardez-vous le silence face au génocide ?” Nous le reproduisons. Nous publions aussi l’appel pour la paix en Terre sainte de 200 chrétiens européens, de toutes confessions, et parmi eux 50 évêques. On peut y lire comme une réponse à la détresse des Églises de Palestine dont témoigne l’appel de Kairos Global for Justice.

Appel aux Églises d’Europe
Pourquoi gardez-vous le silence face au génocide ?
Heureux ceux qui observent la justice, et qui font en tout temps ce qui est juste.” Psaume 106.3.

Les soussignés, membres de la coalition mondiale Kairos pour la justice, vous envoient cette lettre en ce temps où nous nous souvenons de l’intervention de Dieu dans l’histoire pour apporter la justice et la paix à toutes les nations et à la création entière. Le message de l’envoyé céleste aux bergers qui souffraient sous le joug de l’occupation romaine était bien : “Paix sur la terre !” (Luc 2.14). Et pourtant, là-même où la paix a été promise, c’est une catastrophe qui est en train de s’étendre, car ce que le gouvernement israélien met en place contre les Palestiniens est une tentative d’établir une fausse paix à travers l’élimination de ceux-ci, en se servant de ce qu’a fait le Hamas le 7 octobre 2023 – et qui, de toute évidence, était une violation du droit humanitaire international – comme d’un prétexte pour un génocide.

En effet de nombreuses institutions judiciaires internationales, dont la Cour internationale de justice, sont arrivées à la conclusion que l’accusation de génocide envers Israël était bien “plausible”. Et d’éminentes organisations de défense des droits de l’homme comme le University Network of Human Rights, Amnesty International, et le Lemkin Institute ont fourni une documentation détaillée sur l’intention et l’action génocidaires d’Israël dans la bande de Gaza. De même, de nombreux spécialistes respectés du génocide, dont les historiens israéliens du génocide et de l’holocauste Omar Bartov et Amos Goldberg, ont démontré de manière irréfutable que les actions du gouvernement israélien à Gaza constituent des crimes de guerre,
des crimes contre l’humanité, et un génocide. De leur côté, Kairos Palestine et Kairos mondial pour la justice n’ont cessé d’appeler les Églises du monde entier à reconnaître la souffrance du peuple palestinien et la réalité de l’apartheid dont il est victime.

Comme chrétiens qui partageons des valeurs d’égalité et de compassion et comme citoyens d’États qui prétendent défendre les principes des droits de l’homme, nous avons l’obligation morale de prendre des mesures fermes et directes quand ces principes sont violés. C’est pourquoi notre obligation d’être témoins du Christ exige de nos institutions d’Églises qu’elles déclarent un status confessionis face à des pratiques qui violent les principes fondamentaux de notre foi. C’est l’intégrité-même de notre foi, la cause du Christ qui sont en jeu. Comme l’a dit Dietrich Bonhoeffer : “Remettre des décisions à plus tard ou éviter de les prendre pourrait bien être un péché plus grand encore que de prendre de mauvaises décisions pour des raisons
de foi ou d’amour… Dans ce cas précis, c’est vraiment maintenant qu’il nous faut agir, sinon ce sera jamais. Car ‘trop tard’ veut dire ‘jamais’… Secouons donc la peur que nous fait ce monde. C’est la cause-même du Christ qui est en jeu. Serons-nous trouvés en train de dormir ?

Les membres de Kairos Palestine et de la coalition mondiale Kairos pour la justice se sont adressés à plusieurs reprises déjà aux Églises du monde entier, à commencer par “Un Moment de vérité” en 2009, et plus tard par le document “Un Cri pour de l’espoir” en 2020. Les deux mouvements ont appelé, dans une situation d’urgence de plus en plus grande et avec une grande clarté théologique, à un témoignage et à une solidarité fermes avec la lutte des Palestiniens pour la liberté et la justice. Mais peu nombreuses sont à ce jour les Églises qui ont donné une réponse claire. Nous sommes reconnaissants aux quelques Églises qui, en Europe, aux États-Unis et en Afrique du Sud ont fait exception à l’attitude majoritaire et ont clairement et courageusement pris position avec une grande clarté théologique. Nous citons comme exemple l’Église Unie du Christ aux États-Unis qui a publié une Confession de foi sur le modèle de la Déclaration théologique de Barmen contre le national-socialisme dans l’Église et la société. Voici ce que déclare le premier article de la Déclaration de l’Église Unie du Christ :

Nous affirmons que l’oppression du peuple palestinien qui se poursuit depuis plus de cinquante ans reste une question d’urgence théologique et constitue un péché en ce qu’elle viole le message des prophètes de la Bible tout comme celui de l’Évangile, et que tous les efforts pour justifier l’oppression du peuple palestinien ou lui donner une légitimation par la communauté chrétienne, que ce soit passivement ou activement, par le silence, la parole
ou l’action, constituent une violation fondamentale de l’Évangile.

C’est pourquoi nous rejetons l’idée que l’occupation de la Palestine par Israël est un problème purement politique étranger aux préoccupations de l’Église, ou que l’oppression du peuple palestinien est une conséquence inéluctable d’intérêts géopolitiques à l’échelle
mondiale ou régionale.

C’est pour cela que nous vous appelons à :

a. participer à un processus intensif de réponse à l’appel “Un cri pour de l’espoir” et à la résolution de l’Assemblée du Conseil Œcuménique des Églises de 2022 sur la paix au Moyen-Orient qui appelait à étudier les récents rapports d’organisations de défense des droits humains apportant des preuves sur le système d’apartheid mis en place par
Israël, à prendre d’urgence des décisions adéquates, et à interpeller les Églises qui ne se joignent pas à ce processus, en gardant à l’esprit ces paroles de Bonhoeffer : “Remettre à plus tard des décisions ou éviter de les prendre pourrait bien être un péché plus grand encore que de prendre de mauvaises décisions pour des raisons de foi ou d’amour” ;
b. mettre en route des missions de solidarité et de recherche d’informations dans la bande de Gaza et en Cisjordanie pour mettre en évidence les crimes de guerre israéliens et évaluer les faits à la lumière des jugements récents d’institutions judiciaires internationales ;
c. vous repentir publiquement de votre inaction et de votre silence jusqu’à ce jour, pour avoir accepté des théologies qui soutiennent l’apartheid, la discrimination et même le
génocide, et à révoquer des déclarations antérieures allant dans ce sens ;
d. faire mention de l’apartheid et du génocide israéliens dans vos déclarations ;
e. demander à votre gouvernement de conditionner immédiatement et publiquement toute coopération avec l’État d’Israël au respect de ses obligations selon le droit
international :

i. demander à votre gouvernement de suspendre toute vente d’armes à l’État d’Israël et d’imposer des sanctions aux ministres du gouvernement israélien et à tout commerce avec l’État d’Israël,
ii. demander aux Églises de se désinvestir de toute entreprise commerciale qui tirerait profit de l’occupation illégale de la bande de Gaza et de la guerre qui y est menée,
iii. demander à tous les membres des Églises de boycotter Israël dans les domaines
économique, académique et culturel.

Il y a 51 ans, le pasteur Martin Luther King écrivait à ses collègues : “L’Église est exposée aujourd’hui au jugement de Dieu comme jamais auparavant”. La force juridique et morale du droit international et les exigences bibliques de justice se rejoignent aujourd’hui avec puissance. L’histoire vous jugera sur votre refus de répondre à l’urgence d’un tel appel. Ne rien faire signifiera que vous êtes directement complices de crimes avérés contre l’humanité et
vous mettra clairement en opposition et en contradiction avec le droit international et les arrêts de la Cour internationale de justice, de la Cour pénale internationale, et avec les impératifs bibliques disant ce que le Seigneur attend de vous.

Le monde entier est témoin des actes génocidaires de l’État d’Israël. Il n’est plus possible aujourd’hui de nier son intention de prendre possession de toute la Palestine historique à travers l’accaparement des biens du peuple palestinien et le nettoyage ethnique à son
encontre. Cela fait près de 80 ans qu’Israël poursuit cet objectif sans relâche, avec le soutien politique, militaire et économique des grandes puissances occidentales.

Où sont donc les voix des Églises en ce moment charnière de l’histoire ? Quelles actions entreprendront-elles en réponse à un tel crime contre l’humanité ? Vos Églises seront-elles à la hauteur de leur héritage historique alors qu’elles sont appelées, aujourd’hui, à
agir de manière décisive dans des affaires humanitaires ?

La délivrance s’est retirée et le salut se tient éloigné, car la vérité trébuche sur la place publique et la droiture ne peut approcher. Mais voici mon alliance avec eux, dit l’Eternel : Mon esprit qui repose sur toi et mes paroles que j’ai mises dans ta bouche ne se retireront point de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants ni de la bouche des enfants de tes enfants, dit l’Eternel, dès maintenant et à jamais. Ésaïe 59,14.21

Kairos mondial pour la justice

Patriarche Michel Sabbah, Président de Kairos Palestine

Bethléem, le 16 décembre 2024

Kairos mondial pour la justice est une coalition mondiale de chrétiens engagés et membres de diverses Églises, dénominations et organisations liées aux Églises dans divers pays, née en réponse à l’appel “Un Moment de vérité : Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne” lancé en 2009. Kairos mondial pour la justice s’engage à ne recourir à aucune violence, appelle à la fin de la colonisation de la Palestine par Israël, et appelle au droit à l’autodétermination du peuple palestinien et à la paix dans la justice pour tous les habitants de la Terre sainte.

Traduit par les Amis de Sabeel France

On peut télécharger ici cet appel.

-o-

Appel pour la paix en Terre sainte de 200 chrétiens européens
de toutes confessions

Cet appel, dont le premier signataire est le patriarche latin émérite de Jérusalem, Michel Sabbah, ancien président de Pax Christi International, a été publié en français sous la forme d’une tribune du périodique La Croix-hebdo en date du 24 décembre 2024. Parmi les signataires catholiques on note entre autres les responsables du mouvement Pax Christi International de plusieurs pays d’Europe. Y figure du côté protestant celle de notre ami Ernest Reichert, ancien présdident des Amis de Sabeel France.

“Au cours de l’année écoulée, nous avons été témoins de l’escalade tragique d’une grave crise humanitaire qui continue d’affecter d’innombrables vies. Le 7 octobre 2023, plus d’un millier d’Israéliens ont été tués lors d’une attaque menée par des factions dirigées par le Hamas, et plus de 250 personnes ont été prises en otages. En réponse, Israël a lancé une opération militaire qui a fait de nombreuses victimes, avec près de 42 000 morts à Gaza.

Les deux communautés souffrent profondément. La crise humanitaire dans la bande de Gaza s’aggrave, la famine et les maladies entraînant de nouvelles pertes en vies humaines. En Cisjordanie, les colonies illégales continuent de s’étendre et la violence des colons a considérablement augmenté depuis le 7 octobre, créant un environnement coercitif qui rend la vie impossible aux communautés palestiniennes et les force à quitter leurs foyers.

Le risque d’une guerre régionale

En janvier 2024, la Cour internationale de justice a estimé qu’il existait des motifs plausibles de croire qu’Israël violait la convention sur le génocide à Gaza. La situation au Moyen-Orient s’aggrave rapidement, avec des violations continues du droit international au Liban qui conduisent progressivement à une guerre régionale plus vaste. Ces tensions ont des racines profondes, issues d’un conflit qui a débuté il y a plus d’un siècle. Il est donc urgent d’instaurer une paix juste et durable qui tienne compte de la situation dans sa complexité, tout en garantissant le respect des besoins et des droits de toutes les parties concernées.

En tant que chefs religieux et communautés de foi, nous avons un rôle essentiel à jouer dans la prévention des atrocités et dans la défense d’une paix durable en Terre sainte. De plus, c’est notre responsabilité morale pour défendre les personnes qui souffrent et pour condamner les atrocités. Nous pouvons établir un chemin vers une paix durable en combinant les efforts locaux avec les négociations de la communauté internationale.

Appel à l’action

Cessez-le-feu immédiat et accès humanitaire

Nous appelons de toute urgence à un cessez-le-feu immédiat et permanent pour mettre un terme aux violences en cours, qui continuent de coûter la vie à des civils palestiniens, israéliens et libanais innocents. Un cessez-le-feu est essentiel pour faciliter l’accès sans entrave de l’aide humanitaire à la bande de Gaza, où la situation est plus que désastreuse. Il est essentiel de veiller à ce que les organisations humanitaires puissent atteindre les personnes dans le besoin sans entrave pour faire face à la crise humanitaire, respecter les principes humanitaires internationaux et valoriser la vie humaine.

Libération des otages et protection des civils

Nous appelons également à la libération immédiate de tous les otages et détenus illégaux, sous la protection du droit international. Un cessez-le-feu créera les conditions nécessaires aux efforts diplomatiques visant à obtenir leur libération et à garantir que les civils soient protégés contre de nouveaux préjudices.

Des enquêtes indépendantes et neutres sur les violations des droits de l’homme et une protection solide des civils sont essentielles pour instaurer la confiance et prévenir une nouvelle escalade.

S’attaquer aux causes profondes de la violence

Au-delà de la crise immédiate, nous devons nous attaquer aux causes sous-jacentes de ces souffrances persistantes. L’occupation israélienne du territoire palestinien doit cesser. Les obstacles à la circulation et à l’accès aux services essentiels doivent être supprimés pour permettre aux populations de subvenir à leurs besoins fondamentaux et de reconstruire leur vie.

La violence en cours, notamment les confiscations de terres et la montée de la peur, doit cesser et faire l’objet d’enquêtes neutres et de mesures visant à garantir la sécurité des civils. Les droits de l’homme et le droit à l’autodétermination doivent être respectés et placés au cœur de toute solution politique.

Respecter le statu quo sur les lieux saints de Jérusalem

Nous plaidons également pour un accès sécurisé aux lieux saints partout dans le territoire palestinien occupé et pour le respect du droit de culte. Le statut et le caractère uniques de Jérusalem et de sa vieille ville, le caractère sacré de ses espaces sacrés et la pérennité de toutes ses communautés doivent être préservés et respectés par tous.

Action gouvernementale et droit international

Nous exhortons nos gouvernements à prendre des mesures décisives, conformément à leurs obligations en vertu du droit international humanitaire. Les efforts diplomatiques doivent se concentrer sur la désescalade du conflit, le soutien aux communautés touchées et le respect des règles de la guerre par toutes les parties. Les mécanismes juridiques tels que la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale jouent un rôle crucial pour amener les auteurs de ces crimes à rendre des comptes et pour prévenir de nouvelles atrocités.

Rouvrir le dialogue pour une paix durable

Il est essentiel de rouvrir le dialogue en vue d’un accord de paix durable. Ce n’est qu’en poursuivant les négociations et en s’engageant en faveur de la justice et de la reddition de comptes que nous pourrons espérer nous attaquer aux causes profondes de cette violence perpétuelle et construire un avenir où les droits de chacun seront respectés. Pour que tout processus de paix soit significatif et inclusif, les organisations de la société civile et les communautés religieuses devront jouer un rôle central.

Une solution durable

Les efforts décrits ci-dessus peuvent s’attaquer à la fois aux causes profondes et aux urgences immédiates de ce conflit en cours. La mise en œuvre de ces mesures facilitera le dialogue entre les parties, mettra fin à la violence et instaurera une paix durable en Terre sainte, où les droits de l’homme de chacun seront respectés.

En tant que chefs religieux et représentants de communautés religieuses, nous croyons au pouvoir de l’espoir et de l’action. En nous unissant et en défendant la justice et la compassion, nous pouvons contribuer à un avenir où règne la paix et où la dignité de chaque personne est respectée.

Guidés par les paroles de saint François d’Assise : “Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix”, notre foi nous pousse à nous exprimer et à agir face à la souffrance et à l’injustice. Nous vous exhortons à refléter ces valeurs dans vos décisions et vos actions, en promouvant la paix, en défendant la dignité humaine et en œuvrant sans relâche pour une résolution juste de ce conflit. Ensemble, nous pouvons être des instruments de paix, engagés dans la guérison et la réconciliation pour tous.”

Lire la tribune sur le site de La Croix et voir la liste des signataires.

 

Retour à l’accueil