Algérie : une société civile active et déterminée

Malgré le traumatisme de la décennie noire des années 90 dans la mémoire collective, depuis le 22 février 2019, tous les vendredis, le peuple algérien ainsi que les étudiants tous les mardis, manifestent dans le calme contre le régime algérien pour réclamer un vrai changement de système politique. Ce mouvement qui s’est fortement développé grâce aux réseaux sociaux est, pour Akram Belkaïd[1], un « mouvement historique » par sa permanence dans la durée, par sa dimension nationale et par son caractère pacifique.

Avec cette mobilisation populaire depuis plus de six mois, la démission forcée du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril, l’arrestation et l’emprisonnement de personnages à priori intouchables, le pays vit dans une situation de blocage politique et de crise économique sans précédent.

Qui aurait pensé que le mouvement continuerait aussi fortement depuis 30 semaines ? Malgré la période d’été, la force du mouvement est toujours là, avec en particulier des slogans hostiles à tout scrutin organisé par les hommes qui ont soutenu l’ancien chef de l’État pendant ses 20 ans au pouvoir.

Alors, l’annonce le 15 septembre par le chef de l’État par intérim, Abdelkader Bensalah, de la tenue de l’élection présidentielle le 12 décembre répond-elle aux attentes des citoyens ? Ce n’est pas certain. En effet, les manifestants ne cessent de dire qu’aller voter, « c’est reconduire le pouvoir en place en raison de la non-transparence des élections » … « qu’ils n’ont pas de prise sur les élections » … « qu’un nom va émerger et qu’il sera le représentant du système actuel aux élections »[2]. Ils réclament « une transition démocratique » à l’image du Soudan depuis quelques semaines.

Dans le contexte actuel, un aspect important à prendre en compte est l’absence d’une opposition avec des propositions. Par conséquent, les revendications sont principalement citoyennes. Par ailleurs, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, « refuse le changement de système et diabolise les manifestations ». Néanmoins, « une majorité de l’armée est une armée populaire… intégrée dans la population, donc consciente des tensions… mais elle est légaliste »[3].

Dans ce contexte, nous gardons le cap de l’espérance pour le peuple algérien à la lecture des mots de Jean-Paul Vesco « Ce mouvement est sain dans son essence, sans divisions, ni clivages. Il est fondé sur la volonté déterminée de se saisir et de se réapproprier son identité citoyenne. Je vois vraiment la naissance d’une société civile, consciente d’elle-même, de son pouvoir, comme désireuse de se réapproprier les valeurs fondatrices de son indépendance »[4].

Patrick Gérault
Président de Chrétiens de la Méditerranée

 

[1] Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, son dernier ouvrage « L’Algérie en 100 questions – Un pays empêché » aux éditions Taillandier (2019). Conférence des Amis du Monde Diplomatique, le samedi 14 septembre à Versailles
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Jean Paul Vesco, évêque d’Oran, interview dans le journal La Croix du 28 août 2019.

Illustration : Manifestation contre le 5e mandat de Bouteflika, le 10 mars 2019. By Fethi Hamlati (Wikipedia)