A Vaulx-en-Velin, des femmes issues de l’immigration s’organisent.

Cette aventure et le livre qui la présente sont un témoignage stimulant de la part de personnes, des femmes, venant pour une grande part de “l’autre rive” de la Méditerranée et vivant dans une banlieue réputée difficile de Lyon. Marc Durand fait écho à leur initiative. Il collabore régulièrement au blog Garrigues et sentiers qui, “au sein de la région PACA, se veut un espace de liberté, de foi et de réflexion chrétiennes. Un espace de liberté et de foi, car les deux sont inséparables pour les chrétiens qui animent le site”.

http://www.garriguesetsentiers.org/2021/03/cannelle-et-piment-a-vaulx-en-velin-un-exemple-qui-nous-inspire.html

Le livre à paraître de l’Association Cannelle et piment (couverture provisoire)

Vaulx-en-Velin

Qui n’a jamais entendu parler de Vaulx-en-Velin ? “Cité maudite”, avec son quartier dit “le Mas du Taureau” dont plusieurs “barres” ont été détruites et qui se trouve en pleine rénovation urbaine. Dans les années 60 la ville était déjà dominée par une immense cité ouvrière, la TASE (puis CTA appartenant à Rhône-Poulenc) dans le quartier de “la Poudrette” ainsi nommé à cause de l’odeur… Les ouvriers de l’usine, logés dans la cité, étaient en grande partie des Pieds-Noirs ayant quitté l’Algérie avant la fin de la guerre, des Oranais pour la plupart, d’ascendance espagnole. La vie était dure. Le soir, à la fin des années 50 agitées par le passage de la IVe à la Ve République, les bandes rivales de colleurs d’affiches sortaient armées… Certaines rues étaient interdites… Bref une ville dure, mais il y avait du travail, on n’y était pas malheureux.

Dans les années 80 les choses se sont dégradées, les immenses barres d’immeubles se sont élevées, les quartiers sont devenus étouffants, la ville a été exclue de fait de la métropole de Lyon par la politique des transports urbains. Puis les échauffourées de 90 ont marqué un tournant. Malgré une municipalité assez remarquable à qui les habitants doivent beaucoup, la ville s’est vue de plus en plus marginalisée, le chômage est monté en flèche, ajoutons le ghetto scolaire qui a été cependant corrigé par la création de lycées. Et il y a eu l’aventure Khaled Kelkal, enfant de cette ville où il est arrivé très jeune. Son parcours terroriste a fini de classifier la ville dans celles qui sont maudites, infréquentables.

Bien sûr des associations se sont créées pour pallier au pire, la rénovation urbaine a démarré, mais l’exclusion et les frustrations afférentes sont restées.

Cannelle et piment, l’association

Enfin il y a eu ces quelques femmes, “issues de l’immigration” comme on dit, sans emploi et vivant dans la pauvreté, qui ont décidé de se prendre en mains sans attendre que les “services” le fassent. Voici une trentaine d’années, elles ont réalisé qu’elles avaient toutes une culture culinaire intéressante et que cela pouvait leur permettre de vivre et aussi d’ouvrir des perspectives dans leur milieu, dans leur quartier, dans leur ville. Elles ont donc cuisiné des plats chez elles qu’elles proposaient à la vente. Très vite elles ont eu besoin de s’organiser avec l’aide de bénévoles compétents sur les questions administratives, juridiques, d’organisation et de fonctionnement de l’association. La maîtresse d’œuvre de l’organisation était une Chilienne, salariée du centre social de leur quartier. Elle sera licenciée pour avoir voulu préserver l’indépendance de la structure vis-à-vis du Centre Social…

Elles se sont heurtées à la réglementation, on ne peut pas faire ainsi de la cuisine proposée à la vente. Elles ont donc été amenées à fonder une association, “Cannelle et piment”, trouver des locaux et des moyens pour être “aux normes”. Elles sont passées d’un savoir-faire à une organisation professionnelle avec constitution d’une équipe multiculturelle pour assurer la diversité des recettes de cuisine et donc dans un refus du communautarisme.

Pour durer il fallait trouver une rentabilité, offrir des emplois pérennes, un service de qualité. La clientèle a été au rendez-vous, souvent hors de la ville car il fallait définir des prix qui permettent l’équilibre financier. Leur clientèle est composée d’entreprises, de collectivités publiques, d’associations ou encore de familles aisées. Et leur chiffre d’affaires est monté à environ 500 000 euros annuels ! Mais en même temps elles ont tenu à une ouverture sur le quartier avec accueil de stagiaires, création de lien social en devenant un lieu d’échanges, etc.

Cela leur a donné de la visibilité, elles ont montré que Vaulx-en-Velin était autre chose qu’un lieu destiné à faire la une des faits divers ou des actions terroristes. Elles ont valorisé une entreprise à l’intérieur de leur quartier, offert un emploi à quelques-uns. Elles n’ont pas voulu devenir une entreprise classique, par exemple une Scop (société coopérative), mais rester une association avec des salariés et des bénévoles pour une gouvernance originale dans laquelle tous sont partie prenante, salariés, bénévoles, personnalités extérieures cooptées (1).

L’exemple qu’elles ont donné ? Ce sont les femmes elles-mêmes qui ont créé les conditions de leur emploi, sans attendre que les services sociaux ou autres administrations leur proposent un cadre. La rénovation urbaine est en pleine expansion à Vaulx-en-Velin, et c’est bien : politiques, administrations, architectes etc. sont à l’œuvre. Cela est nécessaire. Mais aussi nécessaire est la prise en mains de leurs vies par les habitants, elles ont montré que cela était possible. Malgré les difficultés actuelles qui les mettent au ralenti, elles tiennent encore le coup grâce à la rigueur de leur gestion. “Canelle et piment” vit toujours !

Cannelle et piment, le livre

Le temps a passé, les premières arrivent à la retraite, certaines repartent dans leur pays d’origine, la relève est bien là. Il leur a alors semblé nécessaire de formaliser cette expérience assez unique et remarquable, aussi ont-elles décidé d’écrire un livre qui va bientôt sortir. Elles sont un bel exemple de l’économie sociale et solidaire, dont elles ont le label, exemple original et encourageant s’il en est. Espérons que ce livre se répandra suffisamment et pourra inspirer d’autres, en d’autres lieux, pour se prendre en mains et se persuader qu’il est possible d’agir… et de réussir (2).

Marc Durand

(1) – Entre 8 et 10 cuisinières (en CDI temps plein après un an de présence), principalement du quartier. Deux livreurs, deux personnes pour l’administration. Deux catégories de bénévoles : d’une part pour accomplir des tâches spécifiques (animation, relations, gestion financière…) et d’autre part pour accompagner le projet.

(2) – Le livre est une relecture de cette histoire à partir de l’itinéraire de femmes issues de l’immigration et réussissant leur insertion dans la société lyonnaise. Pour mieux comprendre, et aussi pour aider à son financement si on le souhaite, il suffit de cliquer : https://www.helloasso.com/associations/cannelle%20et%20piment/collectes/le-livre-de-cannelle-et-piment/. On peut, plus largement, consulter le site de l’association : http://www.cannelle-et-piment.fr

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