A Alep, « la guerre fait rage… mais la ville est en vie »

Lettre de Syrie. Elle nous a été transmise juste avant que n’intervienne la trêve à Alep, prévue pour deux jours, par une directrice d’école d’Alep que nous avions interviewée en août 2013, alors que la ville était déjà sous les bombes. Trois années se sont presque écoulées depuis.

« We are superheroes (nous sommes des héros). Ces deux derniers jours étaient magnifiques, un soleil qui illuminait la ville et une douce chaleur. Quand le silence régnait à peu près, on aurait pu se croire dans la ville d’Alep que j’avais vue dans des vidéos, un Alep plein de vie, où je mangeais une glace dans la rue avec mes amis puis apprenais à jouer au Taoulé, où les odeurs alléchantes de plats qui cuisent s’échappaient de centaines de maisons, les enfants qui jouaient dans la rue, les marchands qui s’affairaient, des hommes pressés mais sereins. Puis d’une minute à une autre, la poussière. Ces derniers jours les bombardements ont été intensifs et les attaques de plus en plus meurtrières. D’une heure à une autre, la rue est évacuée. Un missile s’envole en déchirant le ciel dans un bruit que je ne connais que trop bien.
En moins de 5 minutes, une rue pleine de vie s’éteint
Quand les avions de chasse piquent pour larguer leurs bombes autour de la ville, ce son m’effraie. Une sensation étrange à chaque fois. On ne peut pas s’empêcher de baisser la tête. Une survivante d’Auschwitz m’avait raconté que l’une de ses peurs de petite fille, c’était les Messerschmitts (petits bombardiers allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale) qui piquaient avec une petite hélice à l’avant en émettant un son terrible quelques secondes avant qu’il ne décharge ses bombes, avant que la mort ne frappe. Aujourd’hui en marchant, je ne m’étonne plus de trouver des flaques de sang frais, de voir tous les magasins baisser leurs rideaux quand les explosions se rapprochent et envoient des éclats dans les vitres qui explosent. En moins de 5 minutes, une rue pleine de vie s’éteint.
Comment exprimer cette sensation quand il faut longer les murs, se mettre à courir pour éviter de rester à découvert pour éviter les mortiers – de vraies saloperies – qui tombent à pic sans crier gare. Je vis avec des jeunes qui se sont déplacés de Cheikh Maqsud (quartier majoritairement kurde qui domine l’axe routier qui permet de pénétrer dans les zones d’Alep tenues par les rebelles) et ont pu échapper au Front al Nosra (lié à Al-Qaida), en laissant tout derrière eux.
La mort est devenue une sorte de quotidien
Personne n’a vraiment peur, l’un d’eux a été gravement touché par une bombe artisanale. Comme on se le disait en regardant un champignon de fumée noir à quelques centaines de mètres, si nous devons mourir, ça arrivera. C’est terrible à dire mais la mort est devenue une sorte de quotidien. Une bombe qui tombe, des passants blessés ou morts, les premiers à arriver tirent les corps, portent les blessés dans des voitures et retournent à leur vie, comme si de rien n’était.
Bien que plus intense que jamais, cette guerre est devenue un quotidien, la mort en est une facette. Je sais que où que j’aille, quoi que je fasse, je peux mourir à tout moment. Tout le monde est soumis à cette même pression depuis des années maintenant. Vous n’avez pas idée à quel point cette guerre ronge l’énergie et la volonté.
Alep reste en vie
Pourtant Alep reste en vie, la guerre fait parfois rage, des âmes s’envolent… mais ne vous laissez pas abuser par les apparences. La ville est en vie. Ce sont encore des centaines de milliers de personnes qui fourmillent, des dizaines de milliers d’écoliers qui rejoignent les bancs de l’école, des dizaines de milliers de commerçants qui ouvrent leur échoppe tous les jours. Les avions, les terroristes, la mort et la peur sont présents, nous effacent parfois… mais nous existons toujours, la vie est plus forte que tout et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. »
Une lettre de Syrie