Le Bulletin n° 820 de l’Œuvre d’Orient publie deux articles relatifs à la Syrie qui reflètent l’engagement de l’Œuvre sur le terrain.
Les Syriens, entre la peur et l’espoir de la liberté, p. 18-23
-Jean-Louis de la Vaissière fait un journal des événements récents, avec ses éruptions de violence, dont l’attentat dont les fidèles de l’église Saint-Elie ont été les victimes le 12 juin dernier, et les violences subies par les Alaouites, la minorité à laquelle appartient le clan du président déchu Bachar Al-Assad. Il souligne les difficulté économiques persistantes et replace le nouveau régime syrien dans la dynamique que veut impulser l’administration américaine, en particulier en vue de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël (entrée dans les “accords d’Abraham”). L’article souligne que les chrétiens syriens restent inquiets et continuent de quitter le pays.
-Vincent Gelot, directeur pays de l’Œuvre pour la Syrie, le Liban et la Jordanie, insiste sur l’importance d’un travail de réconciliation et de justice. Il est difficile de se relever de cinquante ans de régime dictatorial. Et le nouveau pouvoir montre d’indéniables faiblesses, ne contrôlant pas la totalité du territoire national. L’un des risques majeurs qui en découle est que la Syrie se morcelle, aux mains de groupes armés divers. Il y a un travail de justice à faire dans deux sens différents : d’une part à l’égard des crimes commis par le régime Assad, et d’autre part autour des crimes commis par un ensemble de groupes qui restent armés.
-Un entretien avec le Père Jihad Youssef, supérieur du monastère de Mar Moussa, témoigne d’un certain sentiment de soulagement du fait de la chute du régime des Assad. Mais les risques de dérives fanatiques chez les nouveaux dirigeants sont bien présentes. La communauté internationale peut cependant avoir à ce propos une influence non négligeable, en particulier les États-Unis. Mar Moussa entend continuer à “construire des ponts, à vivre l’Évangile de l’amitié”, dans le respect des croyants musulmans et des autres.
Les alaouites, de la doctrine cachée au pouvoir exposé, par Antoine Fleyfel, p. 24-31.
Le talent d’historien d’Antoine Fleyfel fait comprendre le destin des alaouites, en éclairant les origines de ce mouvement religieux au 9ème siècle, né dans la mouvance de l’islam chiite, mais dont le caractère secret a longtemps suscité la méfiance aussi bien des musulmans sunnites que des chiites. Le nom lui-même ne remonte qu’au mandat français, en 1920. Les montagnards qu’étaient les alaouites jusqu’au 20ème siècle prennent une place plus importante dans la sphère publique à la faveur du mandat, bénéficiant du bouleversement des rapports sociaux qu’il a provoqué. Ils accèdent à la modernité à travers la promotion permise par le régime mandataire, en particulier par l’armée et par l’enseignement.
Après la fin du mandat et l’indépendance, l’instabilité politique s’installe et fait place en 1966 à un régime militaire dominé par des officiers alaouites, portant finalement au pouvoir Hafez al-Assad en 1970. La main-mise de la famille Assad sur la Syrie va durer plus de 50 ans. Antoine Fleyfel fait un historique détaillé de la guerre civile syrienne débutée en 2011, dont le soutien alaouite aux Assad a été l’une des constantes. Il évoque l’après Assad et les massacres qui ont alors eu lieu. “Les alaouites, longtemps perçus comme protégés, apparaissent désormais vulnérables et isolés”. Leur chance est sans doute “un possible réapprentissage du commun – un commun qui ne suppose ni l’oubli, ni l’assignation”, et qui est aussi un enjeu pour l’ensemble de la Syrie.