Le désarroi des Français juifs, un dossier de l’hebdomadaire “La Vie”.

Autour de l’anniversaire des attaques menées contre Israël le 7 octobre 2023 à Gaza, l’hebdomadaire La Vie publie, dans son numéro 4127 du 3 octobre 2024, un dossier qu’il convient de signaler. Il rend compte des répercussions qu’ont en France les événements particulièrement sanglants qui se déroulent depuis un an en Israël Palestine, et de leur retentissement ches les Français juifs, qui doivent faire face à des violences de plus en plus fréquentes.

Pierre Jova : un état de la communauté juive en France.

L’article s’ouvre sur un témoignage, celui d’un restaurateur kasher dont l’établissement a été vandalisé à la suite du 7 octobre 2023. C’est symptomatique d’une “libération de la haine sur les 450 000 Juifs de France”, provoquant une montée impressionnante des actes antisémites. Leur nombre est sans doute sous-estimé car tous ne sont pas déclarés, par peur de représailles possibles.

Est ensuite rappelée l’étroite relation qui existe entre Israël et les Juifs de France : un million d’Israéliens sur 9,3 millions sont francophones, 250 000 sont binationaux. Il y a des Français parmi les victimes du 7 octobre et des otages qui sont toujours retenus à Gaza. Le retentissement affectif est immense.

Le tournant de la seconde Intifada

Elle fait se souvenir du départ en masse ds Juifs d’Algérie lors de l’indépendance. Le sentiment est que, “depuis le début de la seconde intifada en 2000, (…) l’antisémitisme actuel provient de musulmans désireux de venger la Palestine”. Les élèves juifs agressés dans l’enseignement public  se réfugient dans l’enseignement privé, des familles déménagent pour s’établir dans des quartiers plus sûrs.

Le silence de la gauche

La communauté juive était plutôt proche de la gauche, depuis 1981 et la présidence de François Mitterrand. Or la gauche reste muette devant l’influence croissante de l’islamisme dans le système scolaire, malgré le rapport Obin de 2004 qui la documente. L’ouvrage d’Emilie Frèche, “La mort d’un pote” (2006) , sur l’assassinat d’Ilan Halimi, met au jour les dérives communautaristes, qui font s’estomper les valeurs communes de la République et répondent par le silence à la montée d’un islamisme menaçant. Les électeurs juifs, ne comptant plus sur la gauche de gouvernement, se tournent vers la droite, surtout  à partir de la présidence de Nicolas Sarkozy. Les attentats de 2015 renforcent la peur et provoquent une vague d’émigration vers Israël. Au point qu’une “concurrence victimaire” apparaît après le 7 octobre 2023, relativisant la Shoah et la rabattant sur la prise en compte d’autres catégories de victimes, Noirs, colonisés… et Arabes palestiniens, dans ce qui a pris le nom de wokisme.

Le cas Mélenchon

Les prises de position du leader de La France Insoumise veulent signifier qu’il est proche des musulmans de France, mais elles alimentent plutôt les peurs des Juifs. Celles-ci se concrètisent dans un nouvel attrait pour l’alya, l’établissement en Israël, pour échapper à un resentient musulman en France qui, selon un observateur franco-israélien, ne devrait pas diminuer, même si un Etat palestinien était créé. Cet audit de la communauté juive de france fait l’objet du livre “France, les derniers juifs d’Europe”, que cet analyste, Dov Maïmon, doit publier début 2025 aux éditions du Cherche-Midi.

Cependant le choc du 7 octobre a réveillé un pugnacité nouvelle, une floraison de collectifs pro-israéliens qui excluent la fuite dans l’émigration. Parmi eux, le philosophe Rafaël Amsellem et l’actuel président du Conseil représentatif des institutions juives de france (CRIF), Yonathan Arfi.

Une grande diversité de ton

Deux voix majeures s’élèvent pour représenter les Juifs de France dans l’espace public, celles de deux rabbins : Delphine Horvilleur et Haïm Horsia. La première, d’un courant libéral minoritaire, s’ext exprimée dans le livre “Comment ça va pas ?” (éditions Grasset, 2024) et reste ferme sur le conflit de Palestine. Le second, grand rabbin de France, après avoir exhorté Israël à faire des efforts vers la paix, s’est trouvé sous le feu de la critique et a affirmé son soutien à Israël en guerre.

Les positions n’en sont pas moins extrêmement dispersées : sionistes pacifistes du collectif Golem, juifs antisionistes de Tsedek ! (Justice !) au militantisme virulent. On note la visibilité de cet organisme, alors que dans l’énumération n’apparaît pas l’Union des Juifs Français pour la Paix (UJFP), autour de Pierre Stambul, qui lutte aussi pour la paix avec les Palestiniens dans une reconnaissance mutuelle et dont nous mentionnons souvent ici les prises de position.

Ainsi se côtoient une organisation comme Lekh Lekha, reflet de la droite nationaliste israélienne, et le mouvement “Racines de demain”, qui cherche à combler l’ignorance massive du fait religieux chez les jeunes en faisant découvrir ce qu’est le judaïsme aux collégiens et lycéens. Educateur, son fondateur Michaël Barer entend vivre en France, et veut que ses enfants y vivent aussi en paix. Il se dit “sioniste propalestinien” et veut par son action “prendre les moyens de la fraternité”.

En conclusion vient un propos du rabbin Norbert Abenaïm, affirmant que la France a précisément besoin de l’apport du judaïsme, pour renouveler la “double alliance” qui constitue tout peuple : une “alliance de destin, partage d’une histoire commune” et une “alliance de mission, exprimée par un but et des valeurs”. Il faut des rites pour transmettre l’identité qui repose sur ces deux alliances. En France ils ont été déconsidérés. L’exemple du repas de la Pâque juive pourrait être une source d’inspiration pour une ritualité renouvelée.

Laurence Desjoyaux : une très longue histoire

Le second article prend comme référence l’ouvrage collectif, “Histoire juive de la France”, sous la direction de Sylvie-Anne Goldberg, éditions Albin Michel, 2023. Il donne un panorama précis de la présence juive sur la terre qui est devenue la France, depuis la Gaule jusqu’à aujourd’hui. L’article présente les étapes de l’apport juif à la collectivité nationale, ses formes y sont décrites, et les tensions qui s’y sont manifestées dans les relations entre les Juifs et un christianisme majoritaire, sous une royauté de droit divin. La révolution de 1789 marque un pas décisif.

Olivia Belkaïm : entretien avec Jean-Yves Camus

C’est le troisième article du dossier. Il consiste en un entretien avec l’un des co-auteurs de l’ouvrage “Histoire politique de l’antisémitisme en France”, sous la direction d’Alexandre Bande, Jérôme Biscarat et Rudy Reichstadt, éditions Robert Laffont, 2024. Il part de l’origine du terme “antisémitisme”, inventé par un journaliste allemand du 19e siècle, opposant le “sémitisme” juif à la germanité dans un affrontement mortel.

Les siècles de chrétienté ont fait preuve d’anti-judaïsme, mais n’ont jamais entendu faire disparaître les Juifs comme l’a voulu l’antisémitisme hitlérien. Car ils sont des témoins de la révélation, même si leur conversion au christianisme est toujours demandée. Le temps de la révolution française a été celui de “l’émancipation”, où le judaïsme a acquis une reconnaissance dans l’espace public. “L’affaire Dreyfus” a été, non une mise en question de cette reconnaissance, mais une affirmation qui a catalysé un antisémitisme virulent dans l’entre-deux guerres. Charles Maurras en est un exemple, en arrière-fond du régime de Vichy. Aujourd’hui, après la victoire alliée de 1945, il n’y a plus de parti politique en France qui ait l’antisémitisme comme partie intégrante de son programme.

L’entretien se termine sur un échange à propos de l’antisionisme et de l’antisémitisme. Jean-Yves Camus y affirme que “refuser aux Juifs le droit d’avoir leur Etat, dans le cadre d’une solution à deux Etats” [en Palestine] revient à “nier que les Juifs soient un peuple”. Par là, l’antisionisme ne diffère en rien de l’antisémitisme. Il admet un  seul cas où les deux se distinguent, celui des Juifs orthodoxes qui refusent tout établissement d’un Etat juif avant la venue du Messie.

Au total, un dossier bien documenté, qui fait mieux entrer dans ce qui pèse sur les Juifs de France et aide à se situer par rapport à une actualité difficile.

“La situation ébranle toutes nos relations et vient diviser les groupes d’amis, la famille, les collègues, la société. A l’aune de ces déflagrations, nous reconnaissons que ce conflit est grave, qu’il n’est pas que politique mais qu’il touche les fondements même de nos civilisations.”

C’est le constat que faisait l’ISTR (Institut de Sciences et de Théologie des Religions) de Marseille le 1er décembre 2023. Son communiqué a été mis par Rémi Caucanas en exergue de son article, “La paix au Moyen-Orient, quelles implications des chrétiens : aborder la crise du Proche-Orient sans tomber dans un discours haineux ou partisan“, publié le 1er octobre 2024 sur ce site. Le défi reste toujours aussi présent.

“Les Amis de La vie” sont parmi les partenaires de notre association.

Compte rendu de JBJ pour CDM

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