Auteure d’Egypte, l’envers du décor (La Découverte, 2008),
Sophie Pommier est politologue et spécialiste du Moyen Orient.
Pourquoi les terroristes ont-ils visé les chrétiens égyptiens ? Pourquoi ces derniers sont-ils en colère contre le régime Moubarak ? Elle analyse les événements de ces derniers jours en insistant sur la nécessité de ne pas se limiter à une dimension strictement religieuse.
TC : Les événements de ces derniers jours en Egypte se limitent-ils a une dimension religieuse ?
Sophie Pommier : Non, il faut arrêter avec cette histoire de chrétiens martyrisés, cette analyse, par certains médias, qui réduit le problème à l’idée de deux blocs antagonistes : chrétiens et musulmans. Raisonner en termes de guerre des religions revient à faire le jeu des extrémistes. Il y a actuellement à l’échelle du Moyen Orient une stratégie du chaos et du délitement du lien social intercommunautaire qui émane d’éléments radicalisés qui peuvent tout autant s’en prendre à d’autres musulmans. Les attaques de chiites, qui nous émeuvent peu nous autres Occidentaux, sont beaucoup plus nombreuses pour le moment que les attaques contre les chrétiens. Après, il y a la question de la réislamisation des sociétés et de la montée en puissance des salafistes sur l’ensemble de la zone, qui peut menacer aussi bien les musulmans libéraux. Et la spécificité du cas égyptien. Gardons-nous donc des amalgames racoleurs.
D’ailleurs, on voit bien qu’en Egypte la ligne de clivage n’est pas strictement religieuse. D’un côté, on constate que les manifestants coptes sont principalement en colère contre le pouvoir, et de l’autre, on relève des gestes de solidarité de la part de musulmans. Il circule en ce moment sur Facebook un appel de musulmans égyptiens pour aller former un cordon sanitaire autour des églises le soir du Noël copte (jeudi 6 janvier), des musulmans sont allés donner leur sang pour leurs compatriotes chrétiens et il y a eu des manifestations communes.
TC : Pourquoi cette colère des coptes contre le régime Moubarak ?
Il y a plusieurs niveaux d’analyse. Tout d’abord, la colère de ne pas avoir été assez bien protégés dans un Etat pourtant sécuritaire. Il paraît effectivement anormal que des véhicules aient pu ce soir-là se garer devant l’église, surtout qu’après l’ attentat du 31 octobre contre des chrétiens à Bagdad. Le gouvernement égyptien avait promis de renforcer la sécurité des coptes qui étaient explicitement visés par certains communiqués. Ces derniers ont le sentiment d’être une fois de plus laissés pour compte. Sentiment d’autant plus fort que les coptes subissent de nombreuses discriminations en Egypte, notamment dans la pratique de leur culte, et sont sous-représentés dans la vie politique. Depuis les dernières législatives, entachées de fraudes, seuls 10 députés coptes siègent au parlement, trois élus et sept nommés par le président Moubarak et qui ne sont pas réputés être de grands défenseurs de la communauté copte. Dix députés sur 518 pour une communauté qui représente 10% de la population, ce n’est pas beaucoup.
A cela s’ajoute un contexte socio-économique et politique tendu pour l’ensemble des Egyptiens. Les écarts sociaux se creusent. Les jeunes rencontrent des problèmes pour trouver emploi et logement. La vie est difficile. Au niveau politique, l’avenir est incertain avec l’élection présidentielle qui approche. Moubarak, âgé et sans doute malade, n’a pas clarifié sa succession. La rumeur rapporte de manière de plus en plus insistante que l’armée ne serait pas d’accord avec sa stratégie qui consiste à se faire remplacer par son fils. Les jeunes n’ont connu que Moubarak. Ils s’interrogent : « Vers quoi va basculer le pays ? Un régime militaire ? Le chaos ? ». Ils ont peur du lendemain. Les jeunes coptes cumulent toutes ces difficultés. Ce qui peut expliquer ce ras-le-bol qui s’exprime par une violence plutôt surprenante da la part d’une communauté qui semblait jusque-là résignée et réagissait plutôt par l’exil ou les récriminations dans un cadre privé. Lire la suite de l’article de Benjamin Seze sur le site du journal Témoignage Chrétien