Le CCFD – Terre Solidaire, avec qui le réseau Chrétiens de la Méditerranée entretient d’étroites relations, fête cette année ses cinquante ans. L’occasion, pour Jean-Claude Petit, d’évoquer dans son Bloc notes la riche personnalité et l’action inlassable de son fondateur, le méditerranéen Philippe Farine, en faveur de la justice et de la solidarité internationales.
Bloc-notes du 22 mars 2011 de Jean Claude Petit Président du réseau Chrériens de la Méditerranée.
Je l’imagine, en ces heures historiques que nous vivons, prenant le temps qu’il faut avant de s’élancer dans une parole d’admiration ou de colère, son reste d’accent marseillais aidant. Je l’imagine, toujours cordial, toujours bras ouverts, toujours l’oreille attentive, sollicitant l’avis de son interlocuteur avant d’émettre une opinion, une objection, un conseil éventuellement. Je l’imagine, aujourd’hui, se réjouissant d’abord sans réserve du printemps arabe né un jour de décembre en Tunisie mais n’hésitant pas, en bon jardinier de toutes les terres du monde – les siennes –, à émettre des craintes que l’hiver revienne.
Ainsi allait Philippe Farine né à Marseille le 1er mai 1917 et mort à Paris le 21 novembre 2006. J’ai eu l’immense chance et la joie de connaître l’homme et le chrétien dès le milieu des années 1970 quand, président, à l’époque, du Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), il m’aida à préparer l’un de mes premiers reportages en Afrique. Vingt ans plus tard, il fut auprès de moi, à la direction de l’hebdomadaire La Vie et de ses publications annexes, notamment Croissance des Jeunes Nations, un conseiller vigilant et un ami fidèle. A n’en pas douter, Philippe serait aujourd’hui l’un de nous, au cœur du réseau Chrétiens de la Méditerranée.
Arrimé à sa ville natale puis à sa région méditerranéenne, Philippe Farine fut, dès sa jeunesse, un « homme pour les autres ». Par métier d’abord en devenant avocat à Marseille après des études de droit. Par choix et par conviction ensuite, en militant très tôt au sein des mouvements de jeunesse catholique et en devenant député des Basses Alpes (aujourd’hui Alpes de Haute Provence), de 1946 à 1951. Entre temps, ce pionnier de l’ouverture s’était aussi montré un vrai combattant pendant la seconde guerre mondiale. Son attitude lors de la campagne de France lui valut d’être décoré de la Légion d’Honneur au front. Emprisonné en Allemagne, il tenta à de nombreuses reprises de s’évader et reçut la Croix de Guerre 1939-1945.
Engagement chrétien, engagement politique : très tôt Philippe Farine sut conjuguer les deux avec maestria, grâce, en particulier, à une grande honnêteté intellectuelle, à une foi nourrie à l’Evangile, à un sens aigu du discernement et à l’accompagnement, sur ce long chemin, de sa chère épouse Janine. Engagé d’abord au sein du Mouvement républicain populaire (le M.R.P.), il rejoignit le Parti socialiste en 1974 avec d’autres chrétiens et fut élu au Conseil municipal de Paris, où il siégea de 1983 à 1989, puis de 1993 à 1995. Attentif aux difficultés grandissantes de la population immigrée, en particulier dans le quartier parisien de la Gare de Lyon où il habitait, Philippe Farine s’investit dans les politiques d’intégration avec la création, en 1987, de Génériques, une association consacrée à l’analyse des phénomènes migratoires. Cet engagement le conduisit au Haut conseil à l’intégration , dont il fut membre de 1990 à 1997. Les autres, toujours ! Le serviteur du bien commun que le Conseil de Paris et son maire, Bertrand Delanoë, viennent très justement d’honorer.
Dans le même temps, le citoyen Farine que le concile Vatican II (1962-1965) avait confirmé dans une foi incarnée, au service de « tout homme et de tous les hommes », n’hésitait pas à prendre ses responsabilités de laïc chrétien. Quand les évêques de France décidèrent en 1961 de créer, à côté du Secours catholique voué plus précisément à l’aide d’urgence, un organisme destiné à ouvrir les chrétiens aux problèmes de la faim dans le monde et du développement des peuples, Philippe Farine fut au rendez-vous. Secrétaire général du Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD) naissant, de 1961 à 1968, il en devint le président de 1968 à 1977 puis participa aux travaux de la commission Justice et Paix, l’organe de l’épiscopat français chargé des questions de solidarité et de justice internationale.
Cinquante ans durant, à la suite de Philippe Farine, des hommes et des femmes d’ouverture à l’universel, citoyens du monde et chrétiens porteurs d’un message dans lequel les plus pauvres ont la première place, ont fait du CCFD un lieu impressionnant de sensibilisation et de conscientisation de l’opinion publique aux problèmes du développement des peuples et à la justice internationale. Avec leurs collaborateurs, avec des milliers de bénévoles et de donateurs à travers la France, ils font vivre, sur tous les continents, des partenariats novateurs et mettent en œuvre, avec leurs partenaires du sud et de l’est du monde, nombre de projets permettant aux plus pauvres de relever la tête.
Au moment où nous fêtons dans toute la France le cinquantième anniversaire du CCFD – Terre Solidaire, merci à toi, Philippe Farine, le Marseillais au cœur planétaire, le chrétien acteur de l’histoire immédiate, de nous avoir ouvert le chemin de la justice pour tous et de la paix. Ensemble, avec tous les amis que tu as mis en route, nous gardons le cap.
Jean Claude Petit