La mort de Ben Laden : un échec pour les tenants du « choc des civilisations »

De ma fenêtre. La chronique d’Aimé Savard pour Chrétiens de la Méditerranée 2 mai 2011.  

La mort de Ben Laden, tué par un commando des forces spéciales américaines, est une événement important pour tous les peuples qui vivent autour de la Méditerranée et, en particulier pour les pays arabes et musulmans. Certes, la disparition du chet d’Al Qaïda ne signifie pas la fin de ce mouvement ni celle du terrorisme islamiste. On peut au contraire redouter que des attentats aient lieu ici ou là pour venger celui qu’une minorité du monde musulman considèrait comme un héros et qu’elle risque de traiter maintenant comme un martyr.

Al Qaïda est une nébuleuse décentralisée aux ramifications complexes qui conserve certainement une grande capacité de nuisance. Mais il semble que, ces dernières années, Ben Laden en était moins le chef opérationnel que le symbole. Et les symboles ont une grande importance, spécialement dans le monde musulman.

Sur les sites djihadistes, les réactions ont été immédiates. Si certaines d’entre elles traduisent de l’incrédulité, les autres expriment surtout de la colère et profèrent des menaces contre les Etats-Unis, « le Grand Satan », et plus généralement contre l’Occident, selon une réthorique utilisée depuis longtemps par ces milieux. Mais il ne faut pas s’y tromper. Dans l’ensemble du monde arabe et plus largement musulman, c’est plutôt le soulagement qui domine, mêlé à l’inquiétude de voir la mouvance terroriste réagir en animal blessé. On ne le sait pas assez : le terrorisme islamique a fait beaucoup plus de victimes dans les pays musulmans qu’en Occident. Le but premier de Ben Laden était de débarrasser ces pays musulmans de régimes qu’il jugeait corrompus et infidèles à l’islam. Pour combattre ceux-ci, les islamistes ont souvent recouru au terrorisme aveugle – ce fut encore le cas, la semaine dernière à Marrakech. Ces régimes visés par Al Qaïda sont aussi ceux que combattent les mouvements révolutionnaires surgis dans les pays arabes depuis le début de l’année. C’est d’ailleurs ce qui explique que les pays occidentaux – et en particulier la France – aient accueilli avec beaucoup de suspicion, voire d’hostilité, les révolutions arabes. Ils craignaient – et parfois le redoutent encore – que les dictatures contestées, avec lesquelles certains milieux politiques et économiques occidentaux avaient des liens étroits, ne soient remplacées par des régimes islamistes.

 

Or, il est aujourd’hui évident que les mouvements islamistes radicaux ont été surpris et dépassés par les révoltes arabes. Celles-ci sont le fait d’une jeunesse éduquée qui ne se voit pas d’avenir et qui rêve de liberté et de démocratie, tout en restant fidèle à son identité et plutôt méfiante à l’égard de l’Occident. Ces jeunes révoltés sont musulmans, mais ne rêvent pas d’imposer la charia. Certains sont d’ailleurs touchés, comme les chrétiens, par une certaine sécularisation et cherchent une forme de laïcité qui séparerait effectivement le politique du religieux. D’autres, et parfois les mêmes, voient dans l’islam, une protection contre la contagion des moeurs occidentales qu’ils jugent dissolues.

 

Dans ce contexte, la mort de Ben Laden ne peut apparaïtre que comme un échec symbolique du terrorisme islamique. Elle pourrait bien ouvrir les yeux de ceux qui, sans être eux-mêmes engagés dans ce mouvement terroriste, y voyaient un moyen de se venger des humiliations que l’Occident a fait subir – et fait encore subir – à leurs peuples. Cette disparition du chef d’Al Qaïda ne saurait désoler que ceux qui, dans les pays arabes comme dans nos pays occidentaux rêvent du « choc des civilisations », de la gigantesque confrontation entre l’islam et l’Occident ou entre l’islam et ce que certains appellent abusivement « la chrétienté ».