Jamal Khader à Paris : « Vivre ensemble est possible »

C’est à Paris, dans les locaux du Secours catholique, l’un des partenaires de Chrétiens de la Méditerranée, que le Père Jamal Khader, prêtre palestinien, a commencé, lundi 27 juin, la tournée qui se poursuit actuellement dans des villes de l’Ouest de la France. Retrouvez l’ensemble des informations sur cet événement du réseau Chrétiens de la Méditerranée sur notre site. Dernière conférence : aujourd’hui même à 18h00 à Rennes, Salle Saint Melaine, Maison diocésaine 45, rue de Brest.

 

De prime abord, l’homme impressionne. Calme, posé, élégant dans son strict costume noir, toujours souriant, Jamal Khader apparaît comme un intellectuel brillant que sa grande culture n’empêrche pas d’être attentif à chacun de ses interlocuteurs et, plus largement à la vie concrète des gens, à la misère des plus pauvres, aux victimes de l’injustice. Il faut l’entendre répondre à une question sur les réfugiés palestiniens et en particulier sur ceux qui vivent toujours dans des camps, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger. « Quand on demande à un jeune réfugié d’où il est, dit-il, il cite toujours non pas le lieu ou il vit, mais le village d’où ses grands-parents, parfois ses arrière-grands-parents, ont été chassés, il y a soixante ans. Cela prouve combien les réfugiés restent attachés au terroir d’origine de leur famille. Il est vrai que l’installation d’un Etat palestinien pourrait entraîner l’abandon de la revendication du droit au retour pour les Palestiniens. Mais je ne veux pas prendre position à ce sujet. Je ne suis pas un réfugié. Je suis originaire de Cisjordanie où je vis toujours. Je ne me sens donc pas le droit d’évaluer leur souffrance et de parler en leur nom ».

 

Le Père Khader ne rêve pas. Un Etat palestinien dans des frontières stables reconnues internationalement n’est pas pour demain, d’autant que les Etats-Unis y restent foncièrement hostiles. « Si les Américains ne bougent pas, il faudra les pousser, affirme le Père Khader. C’est d’abord la responsabilité des Européens. La manière dont ceux-ci voteront en septembre à l’ONU sur la création de cet Etat palestinien, sera un bon indicateur de leur détermination. Et il faut tirer la leçon du printemps arabe : les peuples sont capables de provoquer des changements profonds sur le terrain.» Ce discours, Jamal Khader souligne qu’il ne le tient pas «contre les juifs ou les Américains, mais pour la paix et la justice ». Selon lui, il faut convaincre les Israéliens qu’un Etat palestinien garantirait mieux la paix que tous les murs de séparation. Interrogé sur la campagne BDR (boycott, désinvestissements, sanctions) il s’y déclare favorble car il s ‘agit d’un moyen non violent pour faire pression sur Israël.

 

S’il a répondu à des questions plus politiques de ses auditeurs, le Père Khader s’est d’abord exprimé en pasteur et en théologien. Dès le début de sa conférence, il a précisé que ses propos avaient trois objectifd : « justice, paix et réconciliation ». Et il s’est longuement référé au Kairos, ce document élaboré par des théologiens de l’ensemble des Eglises palestiniennes et adpté en 2010 (voir le texte intégral sur notre site). Ce texte souligne notamment que l’occupation des territoires palestiniens est un péché contre Dieu et contre les hommes et les femmes qui y vivent. A cette situation, les chrétiens palestiniens opposent « le commandement de l’Amour » qui, pour eux doit se traduire sur le terrain par « une résistance non-violente ». Le but en est « de libérer à la fois les opprimés et les oppresseurs qui souffrent également de la situation ».

 

Le Kairos est une démarche d’espérance, souligne le Père Khader, « alors que les jeunes Palestiniens sont de plus en plus désespérés ». Il se termine par un acte de pénitence et aussi par un message à toutes les Eglises du monde, qui peut se résumer ainsi : « pouvez-vous nous aider à retrouver notre liberté ? » C’est le seul moyen de garantir la paix car, comme le dit le prophète Isaïe : « La paix est le produit de la justice ». Contrairement à la communauté juive américaine, les rabbins israéliens ont accuelli le Kairos plutôt favorablement, se réjouit le Père Khader. On a enregistré également des réactions positives de la part des Palestiniens musulmans. Si nombre d’Eglises non catholiques ont aussi répondu avec empressement à l’appel du Kairos, l’Eglise catholique s’est abstenu de toute réponse officielle tant au niveau de Rome qu’à celui des épiscopats nationaux. Néanmoins le document a fait l’objet de beaucoup de débats dans les milieux catholiques surtout en France et en Italie.

 

« Le Kairos n’est pas d’abord un document, tient à dire Jamal Khader. C’est un processus. Nous allons l’utiliser pour poursuivre le dialogue avec des Eglises, des groupes chrétiens, mais aussi des rabbins et des responsables musulmans. C’est une manière pour nous d’incarner notre foi ».

 

Au début de sa conférence, Jamal Khader avait tenu à mettre ses auditeurs en garde contre « des préjugés qui sont souvent le fait des Occidentaux ». Ceux-ci ont tendance à voir dans les chrétiens palestiniens une petite minorité victime de discrimination, qu’il faut aider pour préserver la présence des chrétiens en Terre Sainte. « Mais, conteste le doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences religieuses de Bethléem, je ne fais pas partie d’une minorité. Comme chrétiens, nous appartenons pleinement au peuple palestinien dont nous partageons la vie, les joies et les souffrances. Nous appartenons à la culture arabe et nous sommes en dialogue au quotidien avec nos frères musulmans. Nos relations avec eux sont d’ailleurs globalement bonnes, même si nous éprouvons des difficultés avec la minorité islamiste qui mélange idéologie religieuse et politique – ce qui est toujours dangereux. Depuis quelques mois, des mosquées organisent des rencontres au cours desquels des prêtres sont invités à présenter le christiansime aux musulmans ».

 

Egalement membre du comité du patriarcat latin pour le dialogue avec les juifs, le Père Khader regrette que les conditions de l’occupation contribuent réduire les occasions de rencontre entre chrétiens et juifs. Toutefois, il se réjouit des avancées de ce dialogue avec de nombreux rabbins. L’un des points d’achoppement est la manière dont certains juifs se servent de la Bible pour justifier l’Etat d’Israël et sa politique. Thèse souvent reprise et développée par des chrétiens notamment aux Etats-Unis. Or, « une théologie qui justifie l’injustice ne peut pas être une théologie chrétienne . Heureusement, beaucoup de rabbins nous comprennent et rappellent volontiers que le justice est au coeur de la Bible. » C’est un des signes positifs qui retient Jamal Khader de céder au désespoir. Il a conclu sa conférence par ces mots : « vivre ensemble est possible ».

 

Aimé Savard