J’ai eu la chance de participer à la 5ème conférence internationale pour Jeunes Adultes organisée par Sabeel, cet été. J’ai 22 ans, et je suis étudiant à Sciences Po Strasbourg depuis déjà quatre ans. Étant en quelque sorte « envoyé » par les Amis de Sabeel France, il est tout à fait normal de vous faire un petit bilan de ce séjour et de partager avec vous mes impressions sur mon expérience, dans ce pays qui retient toute notre attention.
La conférence, la cinquième du genre, s’est déroulée du 20 juillet au 1er août. Nous étions un groupe d’environ 35 jeunes, de tous horizons, tant géographiques que sociaux. Les États-Unis et la Suède étaient tout de même les plus représentés. A noter que j’étais le premier français à y participer. Mais écrire cela n’est pas un sujet de fierté, bien au contraire !
Nous étions encadrés par 4 personnes, toutes aussi intéressantes les unes que les autres, et que je tiens à remercier tout spécialement pour leur travail. Le premier d’entre eux, Omar Haramy, est un personnage comme on en voit peu. Grec-orthodoxe (ce dont il est très fier !), il fut le moteur du groupe avec une énergie débordante, des analyses pertinentes, et un humour décapant, plein d’auto-dérision. Il est le responsable des Programmes Jeunesse de Sabeel. Il était assisté par 3 personnes non moins formidables. Hannah Carter et Sophie Kuchler-Lundström avaient toutes deux participé à la conférence de l’année précédente. Fascinées, elles décidèrent de revenir, mais cette fois en tant qu’animatrices. La première est canadienne, photographe militante, et l’autre suédoise. Enfin, Clayton Goodgame, américain, tout juste 23 ans, qui était parti initialement pour quelque temps en Terre Sainte afin de perfectionner son arabe, et qui travaille maintenant pour Sabeel depuis plus d’un an !
Cette conférence s’est voulue être un pèlerinage alternatif. Le programme type de la journée se présentait ainsi : petite célébration matinale; visite d’un lieu saint ou d’une ville avec un palestinien, agrémentées de deux voire trois conférences au cours desquelles l’intervenant présentait son association (palestinienne ou israélienne); et un petit moment spirituel le soir, suivi d’un debriefing.
Nous avons eu la chance de rencontrer entre autres le Père Moussallam qui fut prêtre à Gaza, et qui nous a narré l’horreur de l’opération israélienne dite « plomb durcit » en 2008.
La conférence était itinérante, ce qui nous a permis de rencontrer des gens et des situations bien différents. La vie n’est évidemment pas la même à Ramallah qu’à Twani, petit village près de Hébron qui endure au quotidien les provocations et humiliations de certains habitants de la colonie israélienne, bâtie sur la colline voisine.
Nous avons donc voyagé de ville en ville : Jérusalem, Bethléem, Hébron, Ramallah, Nazareth, Haïfa etc. Et nous avons apprécié notre chance de pouvoir circuler relativement facilement. C’est une toute autre affaire pour les Palestiniens… Simple exemple : lorsque nous étions à Bethléem, nous sommes passés par un checkpoint (poste de contrôle) où nous avons rencontré un père, avec son fils de 7 ans, qui allait rendre visite à sa sœur, malade, à l’hôpital. Le père fut autorisé à passer, mais pas l’enfant. Comment aurait-il pu laisser son fils seul alors qu’ils avaient déjà fait plusieurs heures de route depuis leur village isolé ? Finalement, nous avons réussi à le faire passer, caché entre deux grands gabarits du groupe. C’est bien là le genre d’humiliations et de règles mesquines que nous avons constaté tout au long de notre séjour.
Je n’aurai pas vu d’arrestations, ou des fusillades. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Mais nous avons pu voir ce que les médias de masse nous montrent moins : la réalité de la vie dans les territoires occupés. Il s’agit d’une véritable politique d’apartheid, où il s’agit d’user petit à petit la population palestinienne, en rendant leur
quotidien toujours plus inconfortable et compliqué. Et je confirme que tous les moyens sont mis en œuvre pour cela, tant militaires ou économiques que bureaucratiques.
Les soldats sur le terrain peuvent changer la loi quand ça les arrange. Cela conduit souvent à des situations complètement ubuesques, comme c’est le cas à Hébron, où les palestiniens n’ont pas même le droit de marcher dans certaines rues. Ainsi nous a-t-on montré l’exemple d’une route entre deux points de la ville, longue de 2 km. Du fait de la présence d’une centaine d’obstacles, et de quelques 1500 militaires (chargés de la protection des 400 colons en centre ville), les Palestiniens doivent maintenant faire 22 km pour aller de l’un à l’autre point. C’est à travers ce genre de « découvertes » que le mot d’ordre de la conférence – A palestinian cry for justice (Un appel palestinien pour la justice)– a progressivement pris tout son sens.
Mais pourquoi donc avoir intitulé cette conférence : “In the belly of the whale” ? Comprenez : « Dans le ventre de la baleine », en référence explicite au prophète Jonas que vous connaissez sûrement. Rappelons que Dieu demanda à Jonas, fervent nationaliste, d’aller prêcher en son nom à Ninive, grande ville de l’empire assyrien, alors en guerre avec le peuple hébreu. Malgré sa réticence, Jonas finit par s’y rendre et d’appeler ce peuple pêcheur à se repentir. Les Assyriens s’exécutèrent, et échappèrent à la destruction. Jonas contrarié se rendit hors de la ville, et décida de rester assis jusqu’à ce que la ville soit détruite. Alors que le soleil tapait durement, une plante poussa durant la nuit, et protégea Jonas des rayons de l’astre. La nuit d’après, cette plante mourut, ce qui rendit Jonas fou de rage. Voyant cela, Dieu lui dit : « Toi, tu as pitié de cette plante pour laquelle tu n’as pas peiné, et que tu n’as pas fait croître ; fille d’une nuit, elle a disparu âgée d’une nuit. Et moi, n’aurais-je pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent-vingt mille êtres humains qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes sans nombre ! ».
Ce que Jonas n’avait pas saisi, et que Dieu a tenté de lui faire comprendre, c’est qu’il est le créateur de tous les hommes, et que tous les hommes appartiennent au peuple de Dieu. Dieu ne souhaitait pas la destruction des Assyriens, pas plus que celle d’un autre peuple. Cette exégèse du livre de Jonas est un bel exemple de théologie inclusive, porteuse d’un message de paix et de réconciliation. Et j’ai pu me rendre compte de l’importance de ce type de récit lorsqu’on entend certains arguments utilisés pour justifier la politique du gouvernement israélien. Finalement, ce conflit n’est pas aussi dur à comprendre qu’on ne le pense. Ce qui est difficile, c’est de faire la part des choses entre tous les discours et argumentaires que l’on peut entendre, ici et là.
Je fais notamment allusion aux fondamentalismes religieux, qu’ils soient juif, musulman ou chrétien (nous nous sommes rendus compte que le sionisme chrétien joue un rôle très important, notamment après notre visite à « l’Ambassade chrétienne internationale à Jérusalem »). Il est aujourd’hui plus que nécessaire de combattre ces manipulations intellectuelles qui légitiment des situations d’injustice et de souffrance.
Certes, il s’agit de la Terre Sainte. Mais le conflit israélo-palestinien est avant tout un conflit politique. Quant à savoir comment nous, internationaux, pouvons faire évoluer les choses, je pense – et je reprends là les termes d’un membre de l’ICAHD (Israeli Committee Against Home Demolitions, ou « Comité israélien contre la démolition des maisons ») que nous avons rencontré et qui disait que nos efforts devraient se concentrer sur le « framing » (cadrage) du conflit, sur son traitement par les médias, et vers les intellectuels et les décideurs politiques.
L’approche actuelle de la situation en Israël-Palestine est exclusivement axée sur la question de la sécurité. La sécurité d’Israël, comme celle des territoires palestiniens, est tout à fait légitime. Ce qui est illégitime, c’est lorsqu’une telle approche conduit à bafouer les droits les plus élémentaires de toute une population. Notre rôle est donc de faire basculer cette perception vers une problématique ayant pour principe directeur le respect des droits de l’homme et du droit international. Car s’il y a bien une chose que j’ai retenu de cette expérience en Palestine, c’est qu’il n’y a pas de paix durable sans justice. Victor Charbonnier le 13 septembre 2010