Recension

Titre

Arabes chrétiens : L’histoire méconnue

Sous titre

Dossier de la Revue Le Monde de la Bible n°222

Auteur

Benoît de Sagazan, sous la dir. de

Type

livre

Editeur

Bayard, sept.-nov. 2017

Nombre de pages

50 p.

Prix

15 €

Date de publication

24 décembre 2017

Arabes chrétiens : L’histoire méconnue

‘‘Les Arabes chrétiens’’[1], une réalité méconnue, oubliée !

Parler des Arabes chrétiens n’est pas une nouveauté en soi ; leur consacrer tout un dossier de la revue  Le Monde de la Bible mérite d’être mentionné. Les chrétiens du Proche-Orient sont, pour une bonne partie d’entre eux, des ‘‘Arabes chrétiens’’, une appellation chère au P. Jean Corbon (1924-2001)[2].

Mais, ici ou là, des communautés ne se reconnaissent pas totalement dans cette identité, privilégiant au contraire leur ‘‘nation’’ ou ‘‘millet’’ (héritage de l’ancien Empire ottoman), ‘‘ethnie’’ et culture propre : araméo-syriaque (syriaque, araméenne, assyro-chaldéenne), arménienne, copte, etc.

Au début des années 1980, notre oncle paternel, Francis Alichoran (1928-1987)[3], Araméen dans l’âme, n’hésitait pas à déclarer dans un entretien : « Je ne suis pas Arabe, mais ma culture est arabe ». Pourtant, dans sa propre communauté, le clivage était connu : les montagnards de Haute-Mésopotamie et Kurdistan se considéraient Araméens ou Sourayé (déformation de Souryayé, Syriaques), Chaldéens, Assyriens ou Assyro-Chaldéens ; parfois aussi ‘‘Kurdes chrétiens’’ (Kourdhayé mchihayé), appellation pour le moins inappropriée, puisque chez ces mêmes araméo-syriaques, le terme Kourdhaya (Kurde) est synonyme de Musulman. Ceux originaires des grandes villes du centre et du sud de l’Irak, souvent arabisés, se déclaraient, au contraire, ‘‘Arabes chrétiens’’, notamment à Bagdad, à Bassorah ou ailleurs.

On oublie souvent qu’avant leur passage à l’Islam, une partie importante des populations arabes étaient chrétiennes et appartenaient à divers rites et Églises[4]. On se souvient des grandes tribus chrétiennes Ghassanides et Lakhmides, qui apportèrent un soutien non négligeable aux conquérants de l’Islam – Arabes eux aussi ! -, face aux Perses et au début de l’Empire arabo-musulman (7ème siècle)[5].

Cette remarque faite, il est important de plonger dans ce numéro exceptionnel d’une revue, reconnue à la fois pour la qualité de ses articles et l’expertise de ses contributeurs. Ce numéro s’ouvre par un entretien avec Raphaëlle Ziadé[6], qui nous présente l’articulation de la grande et belle exposition en cours à Paris (p. 24-31). Elle insiste sur les liens à maintenir entre Occidentaux et ces diverses communautés qui vivent, ou parfois survivent, sur leur sol ancestral et ce malgré des drames récents ; elle décrit ce christianisme qui « apparaît comme un fait de civilisation à part entière », avec un art sacré original et peu connu, même dans les Eglises de tradition sémitiques (où l’absence du culte des images étaient caractéristiques des traditions ancestrales). Elle revient plus en détail sur la naissance d’un art chrétien oriental à la fois méconnu, original et qu’il est important de découvrir (p. 38-45).

Le spécialiste de la culture araméo-syriaque, Alain Desreumaux (CNRS et Société d’Études Syriaques), présente les diverses Bibles d’Orient (p. 32-37), leurs origines et spécificités (grecques, christo-palestiniennes, syriaques, arméniennes, géorgiennes, coptes et arabes). La Bible araméo-syriaque, la Pshyttâ, texte canonique des Églises de culture araméenne, est considéré par ces Eglises, notamment le Nouveau Testament, comme un texte original, non traduit, transmis en araméen par les Apôtres[7]. Cette thèse ne semble pas très en vogue parmi beaucoup de spécialistes occidentaux.

A son tour Muriel Debié, syriacisante (EPHE), nous explique (p. 46-51), la richesse des langues et des cultures toujours vivante de ces diverses communautés/Églises, dont une partie revendique fièrement de parler «  la langue du Christ ». Elle s’interroge sur les langues connues et/ou parlées par Jésus, et les langues de l’Église (grec, mais aussi araméo-syriaque, dans ses diverses branches). Ses explications, comme son schéma des ‘‘principaux systèmes d’écritures alphabétiques : les écritures proto-sémitiques’’ (p. 49), éclairent nos connaissances sur ce monde syro-araméen assez méconnu.

Antoine Borrut s’attarde (p. 52-57), sur la naissance et l’essor de l’Empire arabo-musulman, des Omeyades aux Abbassides, mais aussi sur le statut peu enviable des non-musulmans, la Dhimma, que subissent les diverses communautés chrétiennes et Églises, soumises aux califes musulmans. Malgré cette discrimination, les intellectuels chrétiens tiennent, par leurs sciences et culture, un rôle de premier plan sous les Abbassides.  A la cour de Bagdad, comme dans les universités et centres de recherche, ils sont les vecteurs essentiels de transmission de l’héritage antique, aux peuples arabes[8].

François Zabbal nous entraîne dans les ‘‘heurs et malheurs du nationalisme arabe’’ (p. 58-61), en revenant sur le rôle central des Arabes chrétiens et/ou des chrétiens du Monde Arabe, dans la renaissance de cette civilisation, et de son nationalisme, qui traverse ces diverses populations au cours du 20ème siècle. Les Arabes chrétiens, notamment leurs penseurs et intellectuels, occupent une place essentielle dans les évolutions des sociétés arabo-musulmanes modernes. Ils contribuèrent considérablement à l’essor de ces pays, notamment après l’effondrement de l’Empire ottoman…

Antoine Fleyfel insiste (p. 62-66) sur la théologie arabe face à l’Islam, avec un rôle non négligeable des penseurs et universitaires chrétiens (du Liban, d’Egypte ou d’ailleurs). Enfin, Nour Farra-Haddad rappelle (p. 67-70), la proximité entre chrétiens et musulmans, dans certains lieux de culte chrétiens fréquentés par les deux communautés, mais aussi d’autres, tels les Yézidis. Nous pensons au patrimoine chrétien toujours vivant du nord de l’Irak, dont les églises et les monastères antiques : Mar Behnam, Mar Mattay, Rabban Hormizd (autour de Mossoul-Ninive), Mar Qouryaqos et Mar Audicho’[9] près d’Amadiyah, ou encore Mar Ith-Alaha à Dehok-Nouhadra (région du Kurdistan).

Nous ne pouvons que recommander ce numéro exceptionnel et unique, en invitant nos lecteurs à l’acquérir rapidement. Les contributions, les superbes illustrations qu’il contient, sont un trésor ; il est aussi, un avant goût de la superbe exposition consacrée aux chrétiens d’Orient, qu’il est nécessaire de visiter à Paris, à l’IMA, jusqu’au 14 janvier 2018, mais aussi à Tourcoing[10] (Nord) du 17 février au 5 juin 2018.

Joseph Alichoran[11]

 

[1]  Un dossier de la revue Le Monde de la Bible, N° 222, Paris, Septembre-Novembre 2017, p. 20-70.

[2]  Cf. Jean CORBON : L’Église des Arabes, Paris, 2007, Ed. du Cerf, coll. ‘‘ L’Histoire à vif ’’, 272 p.

[3]  Chorévêque et Vicaire patriarcal chaldéen en France de 1973 à 1987, il fut un défenseur reconnu de l’identité et de la culture araméo-syriaque, doublé d’un versificateur reconnu en soureth (araméen moderne).

[4]  Cf. François NAU : Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie du VIIe au VIIIe siècle. Etude sur les origines de l’Islam, Cahier de la Société Asiatique, 1ère Série, N° 1, Paris, 1933, Imprimerie Nationale, 135 p.

[5]  Bénédicte LANDRON : Chrétiens et Musulmans en Irak : Attitudes nestoriennes vis-à-vis de l’Islam, Paris, 1994, Ed. Cariscript, 343 p.

[6]  Commissaire scientifique de l’exposition ‘‘Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire’’ à l’Institut du Monde Arabe (I.M.A., Paris) du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018.

[7]  Le Catholicos-Patriarche de l’Église de l’Orient (dite “Nestorienne’’, Patriarcat de Babylone), Mar Ichaï Chem’oun XXIII (1908-1975), écrivait le 5 avril 1957 : « Quant à l’originalité du texte de la Pshyttâ,  en tant que Patriarche et chef de la Sainte Église Catholique et Apostolique de l’Orient [Akh Pâteryarka o récha d’Édta Chlihaytha Qatholiqi d’Madenha], nous affirmons que l’Église de l’Orient  a reçu les Écritures des mains des saints Apôtres eux-mêmes, dans l’araméen original, la langue parlée par Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, et que la Pshyttâ est le texte de l’Eglise de l’Orient qui est parvenu, depuis les temps bibliques, sans aucun changement ni aucune révision », Ichaï Chem’oun, par la Grâce [de Dieu], Catholicos-Patriarche de l’Orient.

[8]  Cf. Raymond LE COZ : Les médecins nestoriens au Moyen-Age. Les maîtres des Arabes, Paris, Ed. L’Harmattan, 2004, coll. ‘‘ Comprendre le Moyen-Orient ’’, 317 p.

[9]  Voir les douze premiers documentaires vidéos de KTO/MESOPOTAMIA sur le patrimoine chrétien irakien, disponibles sur YouTube et notamment celui, consacré au monastère de Mar Audicho’ (village chaldéen de Déré, près d’Amadiyah, Kurdistan irakien).

[10]  Au MUba (musée des beaux-arts) de Tourcoing (département du Nord, région des Hauts-de-France).

[11] [Note de la rédaction] Assyro-chaldéen, natif de Duhok-Nouhadra (Irak du Nord), Joseph Alichoran est chercheur en histoire de la chrétienté mésopotamienne, journaliste et enseignant d’araméen moderne (soureth) à l’Inalco de Paris. Il a réalisé de courts documentaires sur le patrimoine chrétien des églises d’Irak, diffusé sur la chaîne KTO (cf. ci-dessus, note 9). Avec Luc Balbont, il a recueilli le témoignage de celui qui était alors archevêque de Mossoul, Mgr Georges Casmoussa, dans un livre intitulé : Jusqu’au bout.- Nouvelle Cité, 2012 et dont on pourra lire la recension sur notre site