Voix de Palestine : Kairos Palestine et M. Sami El-Youssef, administrateur général du Patriarcat latin de Jérusalem.

On trouvera ici deux témoignages qui nous parviennent par les Amis de Sabeel France. Ils éclairent d’un jour cru une réalité que les médias, en particulier en France, ont tendance à occulter.

Le 14 mai 2021

Appel de Kairos Palestine
au Saint-Siège (Vatican), au Conseil Œcuménique des Églises,
aux dirigeants des Églises partout dans le monde pour qu’ils soient solidaires et qu’ils agissent.

Ainsi parle le Seigneur : Défendez le droit et la justice,
libérez le spolié du pouvoir de l’exploiteur. Jérémie 22,3

Kairos Palestine, une initiative chrétienne palestinienne, en appelle à la communauté chrétienne mondiale pour qu’elle agisse selon la justice et qu’elle ose dire la vérité sur la politique et les pratiques d’oppression de l’État d’Israël, tout particulièrement à propos de ses violentes attaques contre des Palestiniens à Jérusalem et de ses attaques meurtrières contre la population de Gaza.

Le dernier cycle de violences a éclaté lorsque les forces de sécurité israéliennes ont interdit aux Palestiniens l’accès à l’espace de la Porte de Damas, un endroit où les musulmans avaient l’habitude de se retrouver chaque soir pour la rupture du jeûne du ramadan, et après qu’Israël eut violé le status quo quand ses forces de sécurité et des colons juifs ont agressé des fidèles musulmans qui priaient et jeûnaient sur l’espace de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, et quand des groupes de juifs extrémistes ont été autorisés à s’y rassembler pour célébrer la prise de Jérusalem-Est en 1967. Une véritable provocation !

En même temps, les tribunaux israéliens ont à nouveau statué en faveur de groupes de colons extrémistes, menaçant ainsi quelque 500 résidents palestiniens de Jérusalem d’être expulsés des logements qu’ils occupent depuis des dizaines d’années. La partialité des tribunaux israéliens et leurs discriminations à l’égard des Palestiniens en faveur des colons juifs sont des éléments d’un plan bien plus vaste de nettoyage ethnique visant à vider Jérusalem de ses habitants palestiniens et de tous les non-juifs. Kairos Palestine suit aussi de près le statut des propriétés d’Églises près de la Porte de Jaffa et les déplacements forcés imminents de familles entières des quartiers de Sheik Jarrah et de Silwan à Jérusalem-Est.

Il est essentiel de replacer les tout récents actes de violence dans le contexte bien plus vaste de l’occupation brutale, depuis des dizaines d’années maintenant, des territoires palestiniens avec des politiques, des lois et des pratiques de plus en plus répressives et de plus en plus racistes. Nous ne vous demandons pas de nous croire sur parole : des organisations de la société civile comme Human Rights Watch et la très respectable organisation israélienne de défense des droits humains B’tselem ont déclaré tout récemment qu’Israël est un État d’apartheid.

Autant l’on peut se poser des questions au sujet de la réaction de factions militaires de la bande de Gaza, et bien que nous-mêmes n’approuvions aucun acte de violence et pleurions la mort de tout être humain quel qu’il soit, autant il est important de replacer tous ces actes dans leur contexte : Gaza est assiégé par Israël depuis plus de 14 ans, et il est grand temps de lever ce siège et de permettre aux gens de Gaza de vivre comme vivent d’autres êtres humains. De plus rien ne peut justifier une réponse aussi scandaleusement disproportionnée que l’est celle d’Israël, qui a tué beaucoup de gens, y compris des enfants, et qui a fait des centaines de blessés. L’incursion sur le terrain à Gaza des forces israéliennes de défense hier va causer encore plus de morts et entraîner la destruction de nombreux bâtiments civils et de nombreuses infrastructures.

Kairos Palestine ne peut que répéter, une fois de plus, ce que nous avons demandé à la communauté internationale dès 2009 : “(…) de cesser la pratique “des deux poids deux mesures” et d’appliquer à toutes les parties les résolutions internationales qui ont trait à la question palestinienne” (1). Tant que la communauté internationale n’aura pas la volonté politique de prendre des mesures concrètes contre Israël, Israël continuera à violer en toute impunité les droits de l’homme et le droit humanitaire international.

C’est pourquoi nous demandons à l’Église universelle et à la communauté internationale d’appeler les choses par leur nom, de dire la vérité à ceux qui ont le pouvoir, et de se ranger du côté des opprimés. Une diplomatie futile et non exigeante ne fait que renforcer le pouvoir des oppresseurs. Face à une escalade aussi violente, aussi brutale, de simples mots de condamnation ne suffisent pas. Nous n’avons pas besoin d’appels au calme et de déclarations d’Églises pleines de précautions qui se contentent « d’appeler à la paix ». Nous sommes face à un nouveau moment de Kairos qui appelle les gens de foi à des actes prophétiques.

Kairos Palestine affirme sa conviction que Jérusalem est une ville sainte pour toutes les religions monothéistes et que chacun doit pouvoir jouir de la liberté d’y prier. Nous réaffirmons aussi notre position à l’égard de nos voisins israéliens : “Notre avenir et le leur ne font qu’un : ou bien un cercle de violence dans lequel nous périssons ensemble, ou bien une paix dont nous jouissons ensemble. Nous invitons les Israéliens à renoncer à leur injustice à notre égard, à ne pas déformer la vérité de l’occupation en prétendant lutter contre le terrorisme. Les racines du “terrorisme” sont l’oppression de la personne humaine et le mal de l’occupation” (2)

Kairos Palestine lance un appel urgent au Saint-Siège, au Conseil Œcuménique des Églises, au mouvement œcuménique mondial et à toutes les Églises pour demander que chaque pays assume ses responsabilités et fasse pression sur Israël afin qu’il mette fin immédiatement à ses attaques meurtrières aériennes et terrestres contre les civils de Gaza et à sa politique de nettoyage ethnique contre les habitants de Jérusalem.

Kairos Palestine

Kairos Palestine, le plus important mouvement chrétien palestinien œcuménique et non-violent, se réfère au Document Kairos Palestine : Un moment de vérité publié en 2009, qui proclame que les chrétiens palestiniens font partie intégrante de la nation palestinienne et appelle à la paix pour mettre fin à toutes les souffrances en Terre sainte en œuvrant pour la justice, l’espérance et l’amour. Ce document a été adopté par la communauté chrétienne, signé par l’ensemble des organisations chrétiennes historiques reconnues de Palestine, et endossé par les dirigeants de toutes les Églises de Jérusalem.

 

(1) Document Kairos Palestine 2009 Un moment de vérité : Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne 7.

(2) Document Kairos Palestine 2009 Un moment de vérité… 4.3

Traduit par les Amis de Sabeel France

-o-

Un miracle est nécessaire

Réflexions et mises à jour depuis la Terre Sainte

de M. Sami El-Yousef, Administrateur général du Patriarcat latin

Au cours des derniers jours, nous avons reçu de nombreux messages de nos amis du monde entier qui prenaient de nos nouvelles et exprimaient leur vive inquiétude face aux tristes développements récents dans notre région. Cela m’a encouragé à écrire quelques mises à jour et réflexions sur trois lieux principaux du conflit : Jérusalem, Gaza et Israël, en particulier les villes et les communautés mixtes. Les développements récents sont très graves et s’ils ne sont pas contenus immédiatement, ils plongeront une région déjà bouillante dans l’abîme. Voici quelques faits saillants.

Jérusalem

La Ville de la paix, qui occupe une place particulière dans les cœurs et les prières de milliards de personnes des trois religions monothéistes, est aujourd’hui une ville brisée et très divisée. Ce qui a commencé avec une bataille juridique d’expulsion de certaines maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est a ouvert des blessures vieilles de plusieurs décennies de la double norme judiciaire qui existe en Israël, qui donne le droit aux Juifs de revendiquer des propriétés qu’ils possédaient avant 1948 à Jérusalem-Est, tandis qu’elle refuse le même droit aux Palestiniens qui ont perdu des propriétés à Jérusalem-Ouest.

Ce qui a suivi est le début du mois sacré du Ramadan dans la foi musulmane et la mauvaise gestion évidente par la police de l’accès à la mosquée Al-Aqsa ainsi qu’à la place de la porte de Damas, un endroit populaire pour les événements sociaux et culturels pendant les heures du soir après l’Iftar (repas de rupture du jeûne) au cours de ce mois. Les tensions se sont intensifiées et des affrontements nocturnes ont eu lieu presque chaque nuit entre fidèles et policiers dans les rues étroites du quartier musulman, du complexe d’Al-Aqsa, ainsi qu’à Sheikh Jarrah.

Les tensions se sont encore intensifiées pendant Laylat Al Qadr, qui est la nuit où Dieu a révélé pour la première fois le Coran au prophète Mohammad par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, et qui est célébré le 27ème jour du Ramadan. Encore une fois, la police a mal géré les fidèles qui atteignent traditionnellement un demi-million de personnes priant à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et ont érigé des barrages routiers sur la route principale entre Tel-Aviv et Jérusalem pour interdire aux fidèles d’atteindre Jérusalem et limiter l’accès à moins de cent mille personnes. Les fidèles musulmans ne pouvaient pas comprendre pourquoi de telles restrictions leur étaient imposées alors qu’il y a seulement quelques semaines, pendant la Pâque juive, aucune restriction n’avait été imposée aux fidèles juifs pour accéder au mur des lamentations de la Vieille Ville. Encore une fois, les parallèles étaient inévitables et les motifs discutables.

Le point culminant est venu le “Jour de Jérusalem” qui est célébré par la municipalité de Jérusalem comme le jour de la réunification de Jérusalem en 1967. Pour les fanatiques juifs de droite, c’est un jour de fête, tandis que pour les Palestiniens, il est considéré comme un jour très triste puisque les activités comprennent chaque année une marche très provocante de jeunes fanatiques de droite à travers le quartier musulman avec des chants racistes à travers le défilé.

Au cours de la marche, qui a été redirigée par la police à la toute dernière minute loin des points chauds habituels, le Hamas a mis en œuvre sa menace de tirer des missiles vers Jérusalem si Al-Aqsa continuait d’être profanée par la police israélienne. Des sirènes ont retenti pour la première fois depuis de nombreuses années et une Jérusalem paniquée a réagi avec peur et tristesse, qui remplissent encore les rues pour la plupart désertes. Les tensions persistent à Jérusalem alors que les deux parties sont enracinées dans leurs positions et que les principaux problèmes restent non résolus.

Gaza

Il y a eu un calme relatif sur le front sud malgré le fait que le blocus de Gaza se poursuit depuis plus de 14 ans maintenant et qu’il n’y a pas eu d’amélioration dans la vie quotidienne là-bas. Le chômage est proche de 50% ; il y a toujours pénurie d’électricité, avec pas plus de 8 heures de fourniture par jour ; il n’y a aucune infrastructure d’eau ou d’égouts, ni aucun développement économique. L’endroit le plus densément peuplé du monde (deux millions de personnes vivant dans une zone géographique de 364 kilomètres carrés) survivait à peine, les gens devant trouver des moyens de faire face à la catastrophe humanitaire et de vivre une vie insalubre.

Cependant, lorsque le Hamas a décidé de “défendre Jérusalem” et de tirer des missiles vers Jérusalem pendant la marche du Jour de Jérusalem, cela a ouvert la porte toute grande à une grave escalade qui a commencé il y a quatre jours et qui est toujours en cours. Depuis lundi, Israël a lancé des milliers de raids aériens sur la bande de Gaza avec des bombardements constants de diverses cibles, notamment des sites militaires, des bâtiments gouvernementaux, des bâtiments résidentiels, des usines, des entreprises et des banques. Il y a eu des destructions généralisées sans fin.

En retour, le Hamas a surpris même les Israéliens en envoyant plus d’un millier de roquettes vers divers endroits, au cœur d’Israël, notamment Tel-Aviv, Lod, Petah Tikva, Rishon Letzion et d’autres. Il a été rapporté que des millions d’Israéliens ont été envoyés dans des abris pendant différentes périodes et, malgré la nature primitive de ces missiles produits localement, un certain nombre de coups directs sur des bâtiments résidentiels ont fait quelques morts. Il existe une concurrence claire entre les deux parties pour savoir qui peut infliger le plus de dégâts et marquer le plus de points au sein de leurs circonscriptions, indépendamment des souffrances des citoyens ordinaires.

Même s’il s’agit d’une zone de guerre active et qu’il est très difficile d’évaluer les dommages à mesure que les hostilités se poursuivent et se généralisent, ce qui est clair jusqu’à présent, c’est que le couvent et le jardin d’enfants des Sœurs du Rosaire ont subi des dommages en raison des bombardements répétés dans la rue, devant leur propriété. Les sœurs n’ont pas dormi depuis trois jours et, malgré le danger, ont refusé de quitter leurs locaux pour protéger l’école. Elles sont fatiguées, traumatisées, mais résolues à accepter le sort qui les attend. En outre, un certain nombre d’appartements appartenant à la communauté chrétienne ont été endommagés.

Le curé de la paroisse de Gaza, le P. Gabriel Romanelli, assisté du P. Yousef Saad, a fait un effort héroïque pour être en contact constant avec tous ses paroissiens, essayant d’évaluer les dommages, visitant les personnes âgées et malades, organisant des messes et mettant sa propre vie en danger pour accomplir ses devoirs pastoraux et réconforter ses ouailles. Ce sont ces héros de Gaza que nous avons l’obligation de soutenir et d’offrir toute l’aide possible dès que la situation se stabilise.

Israël (villes et communautés mixtes)

Malgré tous les développements désastreux à Jérusalem et à Gaza, le pire développement à ce jour est probablement venu des violentes manifestations dans de nombreuses villes d’Israël, notamment Haïfa, Lod, Ramleh, Jaffa, Acre et bien d’autres, où régnait une coexistence prudente depuis la création de Israël dans ces endroits mixtes. Il y a eu des tensions dans le passé, mais les événements de Jérusalem et de Gaza semblent avoir maintenant un impact très diviseur sur ces communautés qui ont été témoins de tensions raciales à une échelle jamais vue auparavant entre Arabes et Juifs, où le lynchage devient un événement quotidien. Le tissu très fragile qui existait depuis si longtemps est en train de s’effondrer et les manifestations de haine et les slogans raciaux deviennent la norme. Les voisins attaquent leurs voisins et les propriétés sont aussi attaquées.

Malheureusement, la police affiche à nouveau deux poids deux mesures avec une main lourde dirigée contre les Arabes et un œil relativement aveugle sur les extrémistes juifs. Divers bataillons de la police des frontières ont été déplacés de la Cisjordanie vers ces villes, et des réserves sont rappelées, avec la possibilité d’appeler l’armée vers les points chauds pour rétablir l’ordre. Israël, tel qu’il a existé à ce jour, a radicalement changé et ces tensions raciales auront un impact négatif à long terme sur la société dans son ensemble. Même le président d’Israël a reconnu qu’il s’agissait de la plus grande menace pour Israël depuis sa création.

On ne peut qu’espérer et prier pour que le calme soit bientôt rétabli afin de mettre fin aux souffrances, aux pertes de vies inutiles et à la destruction des biens. De manière plus importante encore, le calme est nécessaire pour restaurer les âmes et passer à une voie différente où tous les enfants de Dieu peuvent être traités équitablement et avec dignité. Il est urgent, cette fois, de s’attaquer aux causes profondes de ce conflit sans fin afin que la justice et la paix prévalent. Si les milliards déjà gaspillés dans la guerre et la destruction avaient été investis dans le développement, l’éducation, la santé, la création d’emplois et les infrastructures, Gaza et la Terre Sainte seraient dans une bien meilleure situation aujourd’hui.

Prions pour que la raison revienne et que les hostilités actuelles prennent fin immédiatement. Sinon, malheureusement, nous risquons d’être partis pour une sombre période ! Gardez-nous dans vos prières car seul un miracle peut sauver la Terre Sainte du prochain désastre qui se profile !

Sami El-Yousef

Administrateur général

Patriarcat latin de Jérusalem

14 mai 2021

Photo Patriarcat latin de Jérusalem

https://www.lpj.org/fr/posts/un-miracle-est-necessaire-reflexions-de-m-sami-el-yousef-administrateur-general-du-patriarcat-latin.html

-o-

Au 20 mai, une trêve à Gaza se profile à l’horizon, le président américain ayant dû passer d’un soutien inconditionnel à la politique de l’actuel gouvernement israélien à des pressions que l’aile gauche du parti démocrate l’incite à exercer. Nous saluons le courage des acteurs de paix en ces circonstances, comme nos amis des organisations israéliennes de défense des droits humains en Palestine, et nos frères, les chrétiens de Gaza, d’Israël et de Palestine. Le chemin vers la paix par la justice est encore long, car le mouvement de dépossession des Palestiniens de leurs biens n’est pas près de cesser.

CDM

Retour à l’accueil