Tribune Témoignage Chrétien – Eux, chrétiens ??

Eux, chrétiens ??
Christine Pedotti

Brandissant leur bannière de catholiques convaincus, ils assènent leur définition de la protection de la vie et de l’amour pour mieux piétiner le message de l’Évangile. Nous l’affirmons avec force : non, ils ne sont pas chrétiens !

On cite souvent Albert Camus, qui écrivait : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Mais il y a pire que mal nommer les choses, c’est les détourner de leur sens volontairement, les travestir, les falsifier, les défigurer. Et quoi de plus grave que de pervertir une chose qui est au cœur de la vie de millions de personnes ? C’est ce que font sans la moindre hésitation ceux qui, se proclamant chrétiens, prétendent au nom de leurs convictions devoir choisir la candidate du Front national.

Ainsi font Sens commun, le mouvement La Manif pour tous et le si mal nommé Parti démocrate chrétien, dont la présidente d’honneur et fondatrice, Christine Boutin, a appelé, sans restriction, à voter pour Marine Le Pen.

On pourrait hausser les épaules, navrés, et détourner le regard. Mais il ne s’agit pas là d’une simple errance politique, d’un choix que nous désapprouverions. Non, ce choix est la perversion même des fondements du christianisme. Et, surtout, il nous déshonore tous, il déshonore le nom même de chrétien.

Ouvrons les yeux : qu’est-ce que le Front national ? Le choix déterminé de l’égoïsme national, le rejet de l’autre, de l’étranger, et particulièrement de l’étranger pauvre, celui qui arrive avec rien, épuisé, hagard, n’ayant sauvé que sa vie.  À celui-là, on refusera l’asile, les soins médicaux. À ses enfants, on fermera la porte des écoles et enlèvera le droit à l’éducation. On promet de recruter des gardes, des douaniers, pour s’assurer qu’aucun de ces malheureux ne puisse se retrouver sur « notre » sol. Tel est le programme du Front national, avoué, proclamé, promu.

Des Français et des Françaises, abusés ou convaincus, vont faire ce choix. Face à ces errances dramatiques, tout chrétien, toute chrétienne digne de ce nom devrait de toutes ses forces crier : « Non, pas cela. » Tout l’Évangile résonne de l’appel à l’accueil des plus petits, des faibles, des étrangers… La femme cananéenne qui réclame à cor et à cri la guérison de son enfant malade obtient gain de cause. Et Jésus reconnaît la légitimité de son insistance et loue sa foi. Mais surtout, la parabole célèbre du bon Samaritain répond à la question « Qui est mon prochain ? » Le prochain n’est pas celui qui est le plus proche de moi, ni mon frère, ni mon coreligionnaire. Il est celui dont je me fais proche parce qu’il est dans le besoin et la détresse. Dans la parabole, le prochain est un Samaritain, un homme aux croyances douteuses, méprisé par les religieux observants et bien pensants. C’est lui qui va se pencher sur le malheureux laissé pour mort sur le bord du chemin.

Tel est pour un chrétien le plus grand et le premier des commandements : « Aimer Dieu de tout son coeur et de toute son âme, et son prochain comme soi-même. » Tel est le premier et le plus grand des « points non négociables » selon l’Évangile. Dès lors, comment peut-on se dire chrétien et choisir son prochain sur le critère de la préférence nationale ? Nous le disons ici tout net, comme les évêques autrefois savaient le dire sans contorsions : il y a des choix politiques qui sont contraires à l’Évangile.

Il ne s’agit pas là d’un simple désaccord politique mais d’une opposition spirituelle. Il y a plus de soixante-quinze ans, dans des circonstances tragiques, quelques chrétiens, catholiques et protestants unis, publiaient le premier des Cahiers du Témoignage chrétien sous le titre « France, prend garde de perdre ton âme ». C’est de notre âme dont il est de nouveau question aujourd’hui. Ceux et celles qui fourvoient le nom de chrétien dans des aventures politiques indignes portent une très lourde responsabilité. La mollesse des déclarations des autorités catholiques, voire, pour certains évêques, une coupable connivence avec la droite extrême annoncent de difficiles combats à venir pour redonner un peu de crédibilité à la parole chrétienne, déjà très gravement disqualifiée par les soupçons liés aux faits de pédophilie dans l’Église catholique. Lorsque ces élections seront passées, en espérant que la catastrophe d’une victoire de Mme Le Pen soit écartée, il nous restera à reconstruire, à retrouver notre âme, qui ne se cache ni avec Jeanne dans la Lorraine d’autrefois, ni dans les sacristies, les soutanes et les coups d’encensoirs, mais se laisse voir à Calais, à Vintimille, à la Cimade, au Secours catholique, au CCFD, aux Restos du coeur, à Taizé… partout où les mains se tendent et où les coeurs s’ouvrent.