Un témoignage émouvant rappelle la situation de la Syrie, au dixième anniversaire de la guerre civile. Elle affecte les communautés chrétiennes, sans qu’elles perdent cependant le souci de la solidarité. Nous le devons à l’initiative du fr. Gabriel Nissim o.p., administrateur de CDM.
Photo ci-dessus (prise le 23 novembre 2021) : bien que les combats aient cessé depuis plus de cinq ans, des quartiers entiers d’Alep demeurent à l’état de ruines.
Par Thomas Oswald
Membre de l’équipe AED
Je reviens de Syrie et du Liban, où la situation économique ne cesse de se dégrader : le soir du 17 novembre, à Beyrouth, nous avons eu la sensation d’arriver dans un film catastrophe. Il faisait nuit, pas d’éclairage dans la ville, notre minibus était seul sur l’asphalte. Le chauffeur a expliqué la situation en pointant du doigt les prix affichés par une station-service : 22 000 livres libanaises pour un litre d’essence. Un seul plein équivaut au salaire mensuel d’un fonctionnaire.
La catastrophe économique libanaise a des répercussions négatives sur le voisin syrien, qui fête cette année le triste 10e anniversaire de sa guerre civile. En Syrie, nous avons souvent entendu la phrase “La situation est pire que pendant la guerre”.
Les matières premières essentielles sont hors de prix. Même ceux qui cumulent deux emplois ne peuvent s’offrir mieux que le pain quotidien. Avec l’hiver qui est là, et vu le prix du fuel, la seule option pour les Syriens, ce sont les couvertures. Les bâtiments ne sont pas chauffés, souvent peu éclairés, car l’électricité elle aussi est hors de prix.
Dans ces conditions, on comprend que la reconstruction du pays reste au point mort. Damas, Alep et Homs sont toutes les trois revenues dans le giron de l’Armée arabe syrienne, mais on y trouve encore des quartiers entiers détruits, comme si la guerre venait juste de s’achever. Parfois, une lumière isolée dans un bâtiment en lambeau témoigne qu’une famille a choisi de revenir et survit dans les ruines de son ancien appartement.
Malgré toutes les difficultés, de jeunes gens tentent d’imaginer un futur dans leur pays natal. De jeunes catéchistes de Damas, par exemple, que nous avons eu la chance de rencontrer et qui nous ont impressionnés par leur enthousiasme, malgré la tristesse de la situation.
De jeunes Arméniens d’Alep aussi, qui à côté de leurs études, se consacrent à la distribution de nourriture auprès des familles les plus défavorisées. Ils parcourent les rues avec leurs baluchons, passant au-dessus des gravats, comme une image vivante de l’énergie positive qui demeure dans ce pays blessé.
De jeunes Arméniens d’Alep distribuent de la nourriture auprès des familles les plus défavorisées.
Mais en privé, ils confient : “Nous aimons la Syrie, mais nous ne savons pas si nous pourrons rester.” Il est difficile de trouver un travail, ici. On peut craindre que si la situation économique du pays ne s’améliore pas rapidement, celui-ci ne se vide de ses dernières forces vives.
Près de 5 millions de Syriens, sur les 22 millions d’avant 2011, sont réfugiés à l’étranger. Les Libanais font de même : non seulement ils ne reviennent pas, mais l’hémorragie continue et elle continuera si la situation économique ne s’améliore pas.
Le 24 novembre, lors de notre retour à Beyrouth, le litre d’essence était passé à 23 000 livres libanaises.
Au nom des chrétiens de Syrie, je vous remercie pour toute l’aide que vous leur apportez, dans ces circonstances si difficiles.
Soutenir les chrétiens de Syrie
Thomas Oswald
L’Aide à l’Église en Détresse (AED) est une fondation internationale de droit pontifical, qui vient en aide aux chrétiens réfugiés, persécutés ou dans le besoin. Ses trois missions : informer, prier et agir. L’AED est présente dans près de 140 pays et soutient environ 5000 projets, chaque année.
Photos AED
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Dans un article signé J.C., paru le 23 décembre 2021, le journal La Croix évoque “La longue nuit des chrétiens de Syrie“. Prolongeant le témoignage de Thomas Oswald pour l’AED, il donne la parole au cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas :
“La Syrie est oubliée. Elle se vide de ses jeunes. L’émigration est une bombe, comme la pauvreté. Le pays va être étranglé si rien ne bouge”, estime le diplomate italien pour qui les sanctions internationales, surtout américaines, “pèsent sur la population, pas sur le gouvernement”.
Cependant, comme l’explique Vincent Gelot, directeur de l’Œuvre d’Orient au Liban et en Syrie, des jeunes prennent des initiatives, comme le Hope Center d’Alep, qui vient en aide à des familles éprouvées par la décennie passée, à travers des micro-projets et des prêts à taux zéro. “L’idée de cette initiative est aussi de creuser le sens de leur présence en tant que chrétiens ici”. Née en 2018, cette structure est l’aboutissement d’une réflexion menée par deux chrétiens d’Alep, Safir Salim et Freddy Youssef, avec l’Œuvre d’Orient. Le duo a d’abord lancé en 2013 une “Study Zone” pour répondre aux besoins des étudiants pendant la guerre. Un projet qui a essaimé à travers le pays.
Autre initiative, le Disc (Development Impact and Support Center) de Homs, une structure lancée également par Safir Salim et soutenue par l’Œuvre d’Orient, qui vise à aider les jeunes diplômés à être plus attractifs sur le marché du travail.
Cela ne remédie pas à la détresse psychologique due aux séquelles de la guerre, face aux personnes toujours disparues. Rester dans le pays alors qu’un exode inexorable affecte la jeunesse est ressenti par certains chrétiens comme une véritable mission.