Présidence française de l’UE, dix propositions pour une Europe solidaire et protectrice des droits humains. Un communiqué de la Cimade.

La Cimade, mouvement de solidarité active avec les étrangers et les migrants, publie un Communiqué de presse à l’occasion de la prise de la présidence de l’Union européenne par la France au 1er janvier 2022. La Cimade est partenaire de Chrétiens de la Méditerranée.

Sur le terrain, les militant.e.s de La Cimade accompagnent quotidiennement les personnes en exil qui sont les témoins directs des conséquences des politiques migratoires de l’Union européenne (UE) et de ses Etats membres. Alors que la France a pris la présidence du Conseil de l’UE pour les six prochains mois, La Cimade s’adresse au président de la République Emmanuel Macron ainsi qu’aux membres du gouvernement, pour porter 10 propositions en faveur d’une Europe solidaire et protectrice des droits humains.

Partout en Europe, des personnes exilées, des collectivités et acteurs locaux, une société civile diverse et inventive agissent quotidiennement pour faire vivre des modèles de solidarité avec les personnes exilées et construire un accueil digne. Ces innombrables initiatives sont la preuve de la volonté et de la capacité de nos sociétés à créer et à faire vivre d’autres possibles pour construire une Europe respectueuse des droits fondamentaux.

Tandis que ces manifestations de solidarité se multiplient, les États de l’UE se déchargent de plus en plus de leurs responsabilités. Face aux mouvements xénophobes et populistes qui alimentent les peurs, les gouvernements invoquent une “perméabilité du territoire européen” face à un prétendu “risque migratoire” et dissimulent ainsi leur incapacité à œuvrer pour une Europe protectrice et solidaire. Le pacte sur les migrations et l’asile, en cours de négociations au sein des instances de l’UE, s’inscrit dans la continuité des logiques déjà largement éprouvées, fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement des migrations et de l’encouragement des expulsions, solutions qui ont prouvé leur inefficacité, et surtout qui coutent des vies humaines.

Sur leurs routes d’exil, les personnes sont susceptibles d’être interceptées et refoulées par les agents de contrôle de l’UE et de ses États membres. C’est par exemple le cas en mer Égée ou le long du fleuve Evros à la frontière gréco-turque, à la frontière hispano-marocaine près des enclaves de Ceuta et Melilla en passant la route des Balkans et jusqu’à nos frontières françaises avec l’Espagne et l’Italie. Aux portes de l’Europe, des personnes meurent et disparaissent en mer, sur terre et dans le désert. Rien qu’en Méditerranée, plus de 25 000 personnes sont décédées ou disparues depuis 2010.

“Ces drames continueront de s’empiler tant que ne seront pas remises en question des décisions et des pratiques de verrouillage des frontières ayant pour conséquence d’accroître les risques. Nous devons assurer l’accueil de toute personne se considérant en danger aux frontières de l’UE afin d’examiner chaque situation et assurer le respect des droits. Aux frontières maritimes en particulier, l’obligation de porter secours aux passagers d’un bateau en détresse et le débarquement dans un lieu sûr doivent être garantis. Respecter les valeurs fondatrices de l’Europe implique également de défendre le principe de la libre circulation dans l’Espace Schengen, l’un des socles de la construction européenne.” Lydie Arbogast, responsable des questions européennes à La Cimade

Les conditions d’accueil et les procédures d’asile sont toujours très différentes d’un pays européen à l’autre, malgré un cadre législatif européen commun. L’échec du règlement Dublin mine le principe de solidarité entre États membres et viole les droits des personnes demanderesses d’asile. Depuis vingt-cinq ans, ce système provoque une “migrerrance” des personnes en quête de protection. En France, plus de 30 000 personnes anciennement “dublinées” ont finalement pu enregistrer leur demande d’asile, après avoir attendu entre 9 et 24 mois dans les limbes de cette procédure injuste et inefficace.

“Il est temps que les institutions européennes et les États membres de l’UE élaborent une politique d’asile à la hauteur des enjeux, basée sur les choix des personnes concernées, sur la solidarité entre États et le respect inconditionnel des droits fondamentaux, en harmonisant par le haut les procédures et les conditions d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile en Europe.” Fanélie Carrey Conte, Secrétaire générale de La Cimade

L’Europe traverse une crise politique profonde caractérisée par l’absence de volonté commune de ses États membres de répondre aux enjeux de l’accueil des personnes exilées autrement que par la poursuite et l’aggravation des logiques de fermeture. En se focalisant sur des mesures sécuritaires visant à dissuader, repousser, traquer, ficher, maltraiter les personnes, les responsables des politiques migratoires confortent la perception que ces familles, ces femmes, ces hommes et ces enfants, seraient une menace pour l’Europe. Loin d’apaiser les peurs, ils ne font que légitimer les idéologies xénophobes et aggraver les fractures sur notre continent.

Pendant les six prochains mois, la mission du chef de l’État français à la tête du Conseil de l’UE constitue une opportunité unique pour peser sur l’agenda politique et législatif européen. Il faut saisir cette occasion pour engager un véritable changement de paradigme, pour une Europe qui se fonde sur le respect des droits humains et les solidarités internationales, afin d’assurer la protection des personnes et non leur exclusion. La Cimade continuera à se mobiliser avec d’autres pour défendre les droits des personnes en exil tout au long des parcours migratoires.

Voir la présentation des dix propositions de La Cimade sur les politiques migratoires européennes par Fanélie Carrey Conte, Secrétaire générale de La Cimade.

Liste des dix propositions:

  • 1. Des politiques migratoires fondées sur le respect des droits et de la dignité humaine afin d’assurer la protection des personnes
  • 2. L’égalité des droits entre toutes et tous
  • 3. Une véritable coopération internationale avec les pays non européens, d’égal à égal, basée sur des intérêts mutuels
  • 4. Un accès inconditionnel des personnes mises en danger aux frontières de l’UE afin d’examiner avec attention et impartialité chaque situation et d’assurer le respect de leurs droits.
  • 5. L’assistance aux personnes en détresse aux frontières maritimes et le débarquement des personnes secourues dans le port sûr le plus proche
  • 6. Le respect et la défense du principe de la libre circulation inconditionnelle dans l’espace Schengen
  • 7. Une véritable politique d’accueil des personnes demanderesses d’asile en Europe, en harmonisant par le haut les procédures d’asile et les conditions d’accueil
  • 8. La remise en question de la place grandissante de la biométrie et du fichage des étrangers dans le contrôle des frontières de l’UE
  • 9. Une logique tournée vers l’égalité et la liberté, plutôt qu’une logique de rejet fondée sur la spirale du tout enfermer, punir et criminaliser
  • 10. La promotion de la solidarité comme une valeur fondamentale et la protection des acteurs solidaires

En contrepoint à cette prise de position on peut consulter:

-Un communiqué de presse du 31 janvier 2022 d’Amnesty International selon lequel “Les conditions pour les réfugié·e·s et migrant·e·s en Libye demeurent infernales”, alors que l’Europe renforce sa coopération avec les forces armées libyennes et que 82 000 exilés ont été renvoyés de l’UE vers la Libye en cinq ans.

-Un article du quotidien La Croix du 2 février 2022, En Grèce, des refoulements de migrants quasi quotidiens, soulignant le caractère illégal de ces refoulements dans les eaux territoriales de l’Union européenne.

-Une enquête de Ian Urbina sur les centres de détention secrets dans lesquels des opérateurs libyens enferment des réfugiés, Le Monde Diplomatique, n°814 du mois de janvier 2022, p. 1 et 4-5, “La Libye, garde-chiourme de l’Europe face aux migrants”. L’auteur cite un rapport du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies invoquant des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en Libye depuis 2016.

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