De jeunes palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont actuellement en région parisienne pour témoigner de leurs conditions de vie sous occupation et échanger avec la jeunesse des quartiers. Si le déroulement de leur séjour et ces rencontres se passent très bien, il est cependant important de rappeler leurs conditions d’arrivée déplorables sur le sol français, le 17 mai dernier. Entretien sur le site ism-france.org
Cette date aurait pu paraitre anecdotique si elle ne correspondait pas au lendemain de la prise de fonctions du nouveau ministre de l’Intérieur Manuel Valls, ministre ouvertement pro-sioniste et dont les policiers nous ont donné une illustration concrète, ultra-sécuritaire, de sa désormais célèbre « liaison éternelle à Israël ».
Ainsi en ce jeudi de l’Ascension, à l’aéroport Roissy Charles-De-Gaulle, le groupe de Palestiniens, invités officiellement par des associations parisiennes, ont fait les frais de la police française qui a tout simplement mis en pratique les méthodes israéliennes d’intimidation, appliquées à l’aéroport Ben Gourion vis-à-vis des Palestiniens, des arabes en général et des “suspectés” pro-palestiniens : à peine descendus de leur avion ils ont été mis de côté, longuement interrogés sur les raisons de leur séjour en France, intégralement fouillés, alors que tous leurs papiers étaient en leur possession et en règle.
Entretien avec Ibrahim Bornat de Bil’in
Parmi ces jeunes en provenance de Cisjordanie , se trouve Ibrahim Bornat du village de Bil’in, que nous avons rencontré. Il revient sur les événements qui l’ont vu menacé d’expulsion immédiate et détenu en centre de rétention pendant plus de huit heures.
ISM-Paris : Que s’est-il exactement passé lors de ton arrivée à Paris ?
Ibrahim Bornat : A peine descendu de l’avion alors que je m’apprêtais à me diriger vers le poste de douane, un policier m’a interpellé et m’a demandé mon passeport. Il m’a mis de côté, alors que tous les autres voyageurs passaient normalement. J’étais visiblement attendu.
Le policier m’a alors demandé de le suivre dans une pièce dans laquelle se trouvaient trois autres de ses collègues puis a débuté un interrogatoire. Il m’a demandé si je parlais anglais, d’où je venais, d’expliquer les raisons de mon voyage. Il m’a questionné sur ma vie en général, sur mon travail.
Ensuite ma valise a été ramenée puis entièrement vidée et fouillée. Moi aussi j’ai eu le droit à une fouille, les policiers prêtaient attention au moindre papier. Mon téléphone, et mon appareil photo ont été confisqués et examinés. A mon escale en Turquie, j’avais pris quelques photos à l’aéroport et également avant l’atterrissage à Istanbul pour prendre quelques clichés des plages vues du ciel. Les policiers m’ont demandé pourquoi j’avais pris ces photos.
Ils ont exigé que je leur transmette le numéro de téléphone de mon contact en France, puis m’ont questionné sur celui qui avait financé mon billet d’avion. N’ayant pas été mis au courant de toutes les étapes des démarches administratives, j’ai naturellement répondu que c’était l’association qui m’avait invité mais ils m’ont montré qu’en réalité il s’agissait d’un autre ami. Ce qui prouve que toute une investigation a été faite concernant mon arrivée.
On m’a demandé de signer un papier en français, et comme je ne comprenais rien, je ne l’ai pas fait. J’apprendrais plus tard qu’il s’agissait d’un refus d’entrée en France.
ISM-Paris : c’est alors que l’on t’a transféré au centre de rétention ?
Ibrahim Bornat : Oui au centre de rétention tout près de l’aéroport où j’ai clairement compris que j’étais à la limite de l’expulsion, sans avoir connaissance de ce que l’on me reprochait.
J’avais pourtant les papiers principaux en ma possession : mon visa, l’invitation de l’AFPS, précisant mon hébergement, mon billet aller-retour que j’ai tenté de présenter de nombreuses fois mais qu’ils ont refusé de regarder.
Mon calvaire s’est poursuivi ensuite aux urgences car suite à l’immobilité liée à ces nombreuses heures de voyage et d’interrogatoires, mes pieds ont gonflé (stase veineuse).
En parallèle mes amis ont entrepris des démarches auprès de l’AFPS, de la Mission de Palestine à Paris, du ministère des Affaires étrangères ainsi que des élus de la Mairie de St-Ouen pour faire le nécessaire afin de me faire sortir du centre de rétention.
Leurs efforts ont fini par payer car je n’ai finalement pas été expulsé du pays. Je les remercie tous.
ISM-Paris : Qu’est-ce que les autorités françaises t’ont reproché ?
Ibrahim Bornat : Pendant toute ma détention je n’ai eu aucune explication claire. Mon attestation d’hébergement faisait a priori défaut alors que je l’avais en ma possession, l’obtention de mon visa ne peut d’ailleurs pas se faire sans ce document. Puis le motif retenu et stipulé dans le document de refus d’entrée dans le territoire indique une somme d’argent insuffisante pour le voyage alors que j’avais en ma possession environ 300 dollars et que dans mon invitation est écrit que tous les frais de séjour et de déplacement seront à la charge de l’association qui m’invite. En fait c’est tout simplement ma présence qui dérange.
ISM-Paris : Justement que fais-tu en Palestine pour que cela les dérange tant ?
Ibrahim Bornat : je consacre l’essentiel de mon temps à combattre l’occupation sioniste et ce sous plusieurs formes : en tant que militant, artiste et journaliste.
Dans mon village à Bil’in je participe aux manifestations hebdomadaires contre le mur et les colonies, qui sont durement réprimées par les soldats de l’occupation. A l’issue de celles-ci, je ramasse toutes les munitions grenades lacrymogènes et balles, tirées par l’occupant et je les transforme en œuvres d’art. Je travaille également au sein du Comité pour la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers. Possédant une carte de presse et un appareil photo je suis aussi journaliste bénévole pour divers journaux. Et enfin je viens de créer une association « 48 » qui a pour but de ne pas oublier les crimes de l’occupation sioniste d’avant et après 1948, les transcrire à travers des travaux de recherche, d’archives, de témoignage d’anciens, de photos.
ISM-Paris : Qu’as-tu ressenti pendant le mauvais traitement que tu as subi ?
Ibrahim Bornat : Pour être honnête, au départ de Palestine, j’avais ressenti un mauvais pressentiment. Cela s’est confirmé à mon arrivée en France. Mais, je n’aurais jamais imaginé que l’on pouvait accueillir quelqu’un en l’humiliant de la sorte. Au départ je me senti vraiment seul, frustré de ne pouvoir me faire comprendre. Au moment où je pensais me faire expulser j’ai surtout eu peur de la façon dont j’allais justifier mon retour aussi rapide auprès de ma famille.
ISM-Paris : Tu es arrivé en France au moment même où le gouvernement passe de droite à gauche. Comment perçois-tu ce changement ?
Ibrahim Bornat : Je n’attends vraiment aucun changement. Je ne suis pas naïf et je connais le parti socialiste français. Je pense même que Hollande est pire que Sarkozy car au moins avec ce dernier on savait à quoi s’attendre à travers ses discours, ses déclarations. Comment espérer un changement de la part d’un gouvernement qui se présente comme « ami d’Israël » ? Pour moi tous les gouvernements sont les mêmes, une classe de privilégiés cherchant le pouvoir sans vouloir servir le peuple.
ISM-Paris : As-tu un message particulier à adresser aux citoyens français ? Et aux militants pour laPalestine ?
Ibrahim Bornat : Je souhaite que les gens ne cessent de parler de nous afin de ne pas nous oublier. Nous voulons simplement être libres. Dans ce but les gens doivent sans cesse se rappeler le peuple palestinien. Certes il existe un besoin humanitaire en Palestine, plus particulièrement à Gaza, mais le soutien au peuple palestinien ne doit pas se résumer qu’à cela. Il faut des positions fermes et surtout un engagement politique sur la question.
En France, je trouve qu’il y a beaucoup de potentiel pour lutter contre le sionisme et son injustice. Un peu plus d’unité entre les associations du mouvement de solidarité contribuerait à gagner davantage en efficacité.
Ibrahim est en France jusqu’au 24 juin. Si vous souhaitez le rencontrer, contacter : ikagome99@yahoo.fr