Voici deux articles qui ont été publiés sur le blog que tient Luc Balbont sur le site de l’Œuvre d’Orient. CDM a l’autoridsation de reproduire ces articles, qui éclairent la situation actuelle du Liban.
“Chez nous, la francophonie est une tradition” :
Michel Touma, cofondateur du site libanais francophone “Ici Beyrouth”
Le 21 novembre 2021, alors que le Liban s’apprêtait à fêter le 78ème anniversaire de son indépendance, une équipe de journalistes professionnels, venus pour certains du quotidien “L’Orient-Le jour”, lançait le site d’information en ligne “Ici Beyrouth”
Un média francophone dans un Liban où la langue de Molière perd de plus en plus de terrain, notamment auprès des jeunes générations, qui se tournent vers l’anglais, universellement parlé dans le monde, n’est-il pas un pari risqué ? Une question réfutée par Michel Touma, cofondateur et éditorialiste du site. “Chez nous, la francophonie jouit d’une longue histoire. C’est une véritable tradition, et si l’anglais est devenu au fil du temps la langue des affaires et des échanges internationaux, le français reste au Liban celle des lumières, des droits de l’homme et des libertés individuelles.”

Un média souverainiste sans influences étrangères
Pour ses promoteurs, “Ici Beyrouth” vise à se débarrasser avant-tout des influences politiques étrangères néfastes, dont le Liban a toujours souffert depuis son indépendance (1). Ni panarabistes (syriennes ou égyptiennes), ni turques ou iraniennes, ou aligné aveuglément sur l’Occident, “Ici Beyrouth” est un média qui défend d’abord les intérêts du Liban, œuvrant pour la création d’un État multiculturel. “Nous sommes d’abord libanais,” insiste Michel Touma. “Pour nous, la Révolution du cèdre en 2005, où le peuple libanais toutes confessions et ethnies confondues était descendu main dans la main dans les rues de Beyrouth pour la première fois de son histoire, en demandant entre autres le retrait de l’armée syrienne, qui occupait alors notre pays, est le modèle qui nous inspire.” Ni musulmans, ni chrétiens mais Libanais d’abord, pouvait-on lire, sur les murs de Beyrouth.
Si “Ici Beyrouth”, fort d’une trentaine de journalistes, informe 24 heures sur 24 ses lecteurs sur l’actualité politique et sociale libanaise, il ne néglige en rien les évènements internationaux, et si la réélection de Trump aux Etats-Unis est traitée et déclinée sous des angles différents, le média pose la question sur les conséquences de ce retour pour le Liban. Le site bénéficie aujourd’hui d’une version anglaise “This is Beirut”, un grand nombre de jeunes Libanais jonglant avec une aisance déconcertante entre les trois langues.
L’influence des écoles chrétiennes au LIban
Marqué dès son adolescence par la personnalité de l’évêque melkite Grégoire Haddad, décédé en 2015, Michel Touma (2) croit plus que jamais au maintien de la langue française dans la vie des Libanais, ne serait-ce que par le travail des établissements chrétiens : Sœurs de la Sainte Famille, de la Charité, Frères des écoles chrétiennes, collège Notre-Dame de Jamhour, Université jésuite Saint Joseph, etc…“Des écoles, collèges et lycées où les élèves bénéficient d’un enseignement pluraliste et d’une grande ouverture sur le monde. Ici, les familles n’hésitent pas à s’endetter pour l’éducation de leurs enfants”, constate Michel Touma.
Aujourd’hui, le Liban possède son site en ligne en langue française. Pour ses fondateurs, “Ici Beyrouth” n’est pas un pari, mais une nécessité.
Luc Balbont
(1) 1943
(2) Lire notamment “Grégoire Haddad, évêque laïc, évêque rebelle”, l’ouvrage que Michel Touma avait consacré à Mgr Grégoire Haddad aux éditions de “L’Orient-Le Jour”.
Article original : https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/chez-nous-la-francophonie-est-une-tradition-michel-touma-cofondateur-du-site-libanais-francophone-ici-beyrouth/
NDLR. Voir l’article que consacre, le 29 octobre 2013, le site de “L’Orient-Le Jour” à Mgr Haddad et au livre de Michel Touma : “Grégoire Haddad. Evêque laïc, évêque rebelle”. Un livre écrit par Michel Touma et traduit en arabe par Nicolas Sbeih.
-o-
“Cette école, c’était une vraie famille”
Fondée en 1948, l’école publique du village de Boxmaya vient de fermer ses portes. Une situation qui se généralise au Liban.
Depuis 2024, l’école n’existe plus. Autrefois si vivant, le lieu est aujourd’hui déserté. La cour de récréation est silencieuse. Elle ne sert plus qu’à l’équipe locale de volley-ball, où la formation fanion de ce village du nord-Liban dispute ses rencontres officielles. Tout autour, les salles de classes sont closes.
Aux murs des dessins d’élèves rappellent que ces bâtiments furent jadis une école pleine de vie, un lieu de savoir et de transmission. Ici un manuscrit épinglé, où une main enfantine avait rédigé en français – la langue d’enseignement après l’arabe classique (1) – les douze commandements à respecter pour une classe responsable : “Lève la main pour prendre la parole” … “Fais attention durant l’explication” … “Ne te moque pas des autres” … Plus loin une affiche rédigée en arabe rappelle les devoirs des professeurs envers les élèves. Dans cette classe, les pupitres sont encore parfaitement alignés. Mais aucun élève ne viendra prendre place sur les bancs. Plus loin, dans une autre salle sont empilés, pêle-mêle, des pupitres d’écoliers.

Elias Hanna Youssef, 72 ans, a accepté de rouvrir l’école pour me faire visiter l’établissement. Il en fut le directeur de 1979 à 2017. En retraite aujourd’hui, il en connait le moindre recoin, capable de raconter l’histoire de chaque écolier. “Nous avions 11 classes, de la maternelle jusqu’à la troisième, précise Elias. Dans les années soixante-dix jusqu’à 250 élèves fréquentaient l’école. Beaucoup sont allés étudier par la suite à l’étranger, grâce à des bourses d’étude.” Aujourd’hui, les jeunes quittent le village ou émigrent. Les familles ont moins d’enfants. Mais chaque fois qu’il pousse la porte de son petit bureau qu’il a lui-même financé, la nostalgie remonte.
“Ici, c’était une famille, insiste l’ex patron, une enseignante pouvait se rendre chez elle, dans le village, entre deux cours pour soigner son enfant souffrant. Chaque matin, la femme de service nous préparait le café. Ma porte restait grande ouverte pour chacun.”
Emu, Elias s’assoit à un pupitre, Khaled, un ancien élève, qui passait par là, vient le rejoindre. Ingénieur en télécommunications, ses frères et sœurs ont fréquenté l’école qui avait une excellente réputation. Trois sont devenus médecins, une autre avocate, la dernière secrétaire bilingue.

« En 1995, les neuf élèves de troisième avaient tous réussi l’examen d’État final. Pourtant, raconte avec fierté Elias, il a fallu se battre car l’État supprimait dès le début des années 1980 les écoles publiques, qui lui revenaient plus cher que les établissements privés (2). Les enseignant, moins rémunérés, quittaient le secteur. »
Durant la guerre civile en Syrie, à partir de 2012, un grand nombre de familles Syriennes fuyait leur pays. “Nous avons dû accueillir des élèves syriens”, explique Elias. Une erreur selon lui, “car ces gamins avaient une éducation différente, et n’avaient aucune notion de français, la seconde langue d’enseignement au Liban. Nos enfants perdaient leur niveau. Mécontents, les parents ont alors dirigé leurs enfants vers le privé, en se serrant la ceinture ou en se regroupant pour payer les frais de scolarité. Finalement nous avons fermé l’école en 2024”.
L’école de Boxmaya ne fut pas la seule victime. Dans les villages libanais, trois écoles catholiques et cinq publiques ont finalement mis la clef sous la porte dans la région. Elles n’ont jamais rouvert.
Luc Balbont
(1) l’arabe littéraire est la langue enseignée à l’école. L’arabe dialectal, le lahjat, est celle parlée dans la vie courante par les Libanais.
(2) Selon des enseignants un élève du secteur privé coûterait 6 000 dollars par an à l’État, contre 15 000 dollars pour un élève du secteur public.
Article original : https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/cette-ecole-cetait-une-vraie-famille/