Pharos, l’Observatoire du pluralisme des cultures et des religions, sera créé mercredi 3 octobre. Son rôle : encourager les acteurs civiques. Mireille Delmas-Marty, sa présidente, nous explique en quoi il sera un outil citoyen, entre politique, culture et religion.
À 71 ans, Mireille Delmas-Marty, éminente juriste membre de l’Académie des sciences morales et politiques, va présider Pharos, l’Observatoire du pluralisme des cultures et des religions, qui sera créé le 3 octobre. Celle qui a participé à la réforme du code pénal avec Robert Badinter et a enseigné au Collège de France, explique à La Vie ce qu’est Pharos. Doté à terme d’un budget de 850 000 €, financé en partie par le Quai d’Orsay et par des fonds privés, cet observatoire se veut un outil citoyen, entre politique, culture et religion.
Pourquoi mettre sur pied un tel observatoire ?
Face aux fureurs identitaires, il y a urgence. La mondialisation s’accompagne d’une montée des atteintes aux libertés fondamentales de conscience, de religion et d’expression. Quand on voit les violences déclenchées par un film aussi médiocre que l’Innocence des musulmans, on pense qu’il est impératif de lutter contre ce climat d’intolérance.
Bien sûr, notre observatoire ne sera pas directement opératoire. Mais il encouragera l’action des citoyens en mettant à leur disposition un ensemble d’informations. Car les instances internationales sont contestées et ont peu de moyens tandis que les États préfèrent défendre leurs propres intérêts : si le bien commun progresse, c’est souvent grâce au combat des citoyens. Ainsi, si la Cour pénale internationale – qui peut juger même des chefs d’États – a vu le jour en 2002, c’est sous la pression des ONG. Les acteurs les plus faibles en apparence sont souvent le véritable moteur. C’est donc pour les citoyens, et avec eux, que Pharos veut agir, en créant un site internet multilingue sur lequel seront mises à disposition des informations sur l’état du pluralisme dans divers pays. Ce travail, interactif et évolutif (grâce à la « veille Pharos »), puisera à des sources variées. En fait, notre rôle ne sera pas de dénoncer, mais d’apporter soutien et connaissance à ceux qui se battent parfois au péril de leur vie, pour pacifier ce monde qui l’est si peu.
Allez-vous vous intéresser surtout au sort des minorités chrétiennes dans les pays à majorité musulmane ?
Pas exclusivement bien sûr. Si j’ai accepté de présider cet observatoire, c’est parce qu’il est ouvert à toutes les cultures et -religions. D’ailleurs, au sein de notre conseil d’administration, le judaïsme, l’islam et bientôt le bouddhisme et l’hindouisme sont représentés, ainsi que tous les courants de pensée. Au Collège de France, mes travaux ont tourné autour de la question : comment conserver l’identité de chacun alors que le droit s’internationalise ? Réponse : par un pluralisme « ordonné », c’est-à-dire un pluralisme qui ne sépare pas, mais tend vers une harmonie commune, sans pour autant supprimer les différences.
D’ailleurs, le droit international marque bien la tension entre l’universalisme des droits de l’homme (déclaration de l’Onu de 1948) et la diversité des cultures qui est le « patrimoine commun de l’humanité » (déclaration de l’Unesco de novembre 2001). Il faut donc marier l’un et le multiple. C’est ce à quoi s’est attelée la Cour européenne des droits de l’homme, ce laboratoire du pluralisme ordonné, qui a eu à traiter de la diversité des cultures et des religions. Elle a parfois admis le délit de blasphème, mais à condition que les sanctions ne soient pas disproportionnées. Car la Convention des droits de l’homme ne pose pas la liberté d’expression comme un principe absolu, mais autorise des « restrictions nécessaires dans une société démocratique ». Par ailleurs, la Cour reconnaît une « marge nationale » dans l’interprétation de ces restrictions. J’y vois pour nous une invitation à pratiquer la pédagogie de la complexité plutôt que la démagogie de la simplicité !
Sur quels États Pharos va d’abord se pencher ?
Une douzaine. Surtout des pays du pourtour méditerranéen. Chypre, la Turquie, la Grèce, l’Espagne, le Maroc, la Jordanie, la Syrie mais aussi la Corée du Sud, Cuba, le Venezuela, l’Indonésie et l’Inde. Une quarantaine de pays seront ajoutés à la liste d’ici à la fin de l’année, dont la France, car il est important de balayer devant sa porte. C’est la meilleure façon d’être crédible. Pour l’Europe, il y a lieu de rappeler qu’en matière de blasphème la Cour des droits de l’homme n’a pas condamné l’Autriche (1994) pour la saisie puis la confiscation d’un film ridiculisant la religion catholique. Pas non plus le Royaume-Uni (1996) pour refus du visa lié à la diffusion d’un film érotique prétendant s’inspirer de la vie de Thérèse d’Avila. Ni la Turquie (2005) pour l’amende imposée à l’éditeur d’un livre jugé offensant pour la religion musulmane.
Quant à l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, la situation est différente, notamment parce que le blasphème n’est pas incriminé par le code pénal français. Cependant, notre objectif n’est pas de réagir à chaud. Nous ne serons pas des donneurs de leçons, mais des initiateurs de débats.
propos recueillis par Corine Chabaud
Source : www.lavie.fr le 2 octobre 2012