Titre
Valeurs d’islamAuteur
Dominique Reynié (dir.) ; [publié par la] Fondation pour l’innovation politique ; préface du Cheikh Khaked BentounèsType
livreEditeur
Paris : PUF, décembre 2015Collection
Innovation politiqueNombre de pages
428 p.Prix
22 €Date de publication
11 octobre 2017Valeurs d’islam
Cet ouvrage, publié par la Fondation pour l’innovation politique[1] comporte un ensemble d’études et d’analyses publiées pour cette Fondation après les attentats meurtriers de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : la démocratie, la notion même de contrat social, sont ainsi relues au regard des principes de l’islam, pour attester de leur pleine compatibilité avec ce qui fonde cette religion.
Contre les tenants d’un islam littéraliste, qui mêle religion et politique dans un esprit identitaire voire mortifère, ces différents auteurs nous donnent à voir un islam humaniste, généreux, progressiste. Mais de quel islam est-il ici question ? Parmi la multiplicité des lectures possibles de l’islam et du Coran, deux voies sont privilégiées dans leurs articles.
Plusieurs auteurs insistent sur la fécondité de la spiritualité soufie, et sa lecture de l’islam qu’ils jugent en phase avec la modernité par la place qu’elle fait à l’altérité, au pluralisme, et à la miséricorde. On lira en particulier à cet égard les articles d’Eric Geoffroy (islamologue, professeur des universités) et de la sénatrice (socialiste) Bariza Khiari.
La belle figure d’Abd el-Kader, protecteur des chrétiens de Damas en 1860, est plusieurs fois convoquée pour témoigner de la synthèse ainsi possible entre foi, tolérance, et respect des droits humains. Et dans le même esprit Mustafa Cherif (professeur à l’université d’Alger, philosophe et écrivain) insiste dans l’article « Education et islam » sur un « islam de la médianité » où raison et foi sont liées ; il appelle l’enseignement à faire large place à l’interculturel, l’enseignement du fait religieux, et l’éthique.
Mais cette première voie, cette option pour la spiritualité, est-elle suffisante, tant le soufisme reste marginalisé par les tenants de l’orthodoxie musulmane, et alors que le dialogue « foi-raison » au sein de l’islam se déroule souvent dans des cercles trop confidentiels ?
Il faut donc savoir gré à deux des auteurs d’ouvrir une voie supplémentaire, consistant à affronter avec netteté la question de la pluralité des interprétations possibles du Coran, et la nécessité de renouveler l’approche des textes fondateurs.
Ainsi Tarek Oubrou, imam de la grande mosquée de Bordeaux et théologien, appelle avec insistance, dans son article « Coran, clés de lecture » à réactiver la culture de l’interprétation (ijtihâd) du Coran, si vivace à l’époque médiévale, « sur des bases nouvelles et à la lumière des problématiques de notre époque » (p. 61).
Et dans un très remarquable article, « Les femmes et l’islam : une version réformiste », la médecin et chercheuse marocaine Asma Lanrabet traite avec infiniment de lucidité, d’audace, et de force de conviction, la question du statut des femmes dans l’islam. Faisant pièce d’une lecture patriarcale et traditionnelle du Coran, qui a conduit à assigner aux femmes un rôle second et à multiplier prescriptions et discriminations à leur encontre, elle montre la fécondité d’une étude critique du cadre historique de la révélation coranique. Exemples à l’appui, elle fait apparaître les potentialités de valorisation des femmes et la démarche égalitariste que recèle le message spirituel initial du Coran. Revendiquant une relecture réformiste des textes et une profonde réforme du droit de la femme dans les pays musulman, elle démontre très courageusement la possibilité mais aussi les exigences d’une urgente remise en question du statut de la femme dans l’islam.
Sans lien direct avec les articles précédents, mais avec une concision et une précision à signaler, un très intéressant article du chercheur Mathieu Terrier, « Chiites et sunnites : la paix impossible », conclut l’ouvrage en apportant une excellente synthèse historique des relations entre ces deux grandes branches de l’islam.
Cet ouvrage, dense, est un outil de travail qui s’avérera utile à tous ceux qui, dans les débats de la vie sociale ou politique, ou dans le cadre de rencontres inter-religieuses, veulent disposer de points d’appui sérieux pour confirmer, à l’encontre de trop de lectures sectaires, la compatibilité entre l’islam, la République et les droits de l’homme.
Bertrand Wallon
[1] La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) est un « think tank » (réservoir à idées) qui se définit comme libéral, progressiste et européen. Son directeur général est Dominique Reynié, professeur à Sciences-Po. La fondation a des liens historiques avec la droite et le centre de l’échiquier politique, mais est indépendante de tout parti.