Titre
L'État islamique de MossoulSous titre
Histoire d'une entreprise totalitaireAuteur
Hélène SallonType
livreEditeur
Paris, La Découverte, 2018Collection
Cahiers libresNombre de pages
279Prix
19 eDate de publication
24 juillet 2018L’État islamique de Mossoul
Tout d’abord, quelques chiffres : Mossoul 180 km2 (Paris intramuros 108 km2), 2 millions d’habitants avant 2014, 700 000 aujourd’hui1 et autrefois 2e ville d’Irak. Répartition religieuse de la population irakienne : 62 % de chiites, 36 % de sunnites, 1,5 % de chrétiens, yézidis, etc.
Quelques faits : Les États-Unis envahissent l’Irak en 2003 et chassent les baasistes sunnites du pouvoir au profit des chiites qui à leur tour marginaliseront les populations sunnites ; beaucoup rejoindront Daech.
Mossoul, la « Perle du nord », riche cité marchande et industrielle, est un bastion sunnite de l’insurrection contre l’occupation américaine de 2003, mais aussi quartier général d’Al-Qaïda jusqu’en 2008. Quand les américains quittent définitivement l’Irak en décembre 2011, la nomination de chiites à la tête des principaux postes clés de Mossoul créent un environnement favorable au retour de l’insurrection manipulée par différents groupes djihadistes qui occupent des quartiers entiers de la ville : assassinats, enlèvements, extorsions de fonds, attentats, sont le quotidien des habitants ; dès 2011, Mossoul devient la principale source de revenu de l’organisation qui recrute dès lors à tour de bras. Sur ce terreau fertile, l’État islamique en Irak (créé en 2006 et devenu l’État islamique en Irak et au Levant2, en 2013), va s’appuyer pour s’emparer de la ville, le 8 juin 2014, où trois semaines plus tard Abou Bakr al-Baghdadi s’autoproclame Calife des musulmans.
Commence alors « l’ère de la séduction » : les djihadistes exercent une présence discrète, maintiennent l’ordre, nettoient les rues, rouvrent les artères à la circulation ; chacun est libre d’aller où il veut… Et pourtant, dès le 14 juin, la constitution de la ville est distribuée par porte à porte, annonciatrice des terreurs à venir. Cette période permet à l’EI de prendre la main sur tous les services publics et les industries de première nécessité : essence, huile, pain, etc. ; elle lui permet aussi de procéder à un large recrutement. Puis « en trois mois, les gens ont découvert leur vrai visage : les interdits, les taxes, les exécutions3» et les tribunaux islamiques pour punir les contrevenants. Viennent ensuite les destructions des édifices religieux jugés hérétiques, en particulier le tombeau et la mosquée du prophète Jonas qui provoque un grand émoi dans la population de Mossoul dont répression et intimidation deviennent le quotidien. Chiites puis chrétiens fuient la ville pour échapper au racket ou à la mort.
Au début de l’été 2014, l’EI est maître de la ville et met en place une administration tentaculaire chargée de contrôler et de régenter la vie de ses habitants. Une connaissance très précise des biens et commerces de la population, acquise depuis des années par des cellules dormantes djihadistes, permet d’établir un impôt révolutionnaire gradué. L’EI devient très riche, s’étant approprié les réserves des banques de Mossoul.
Une chape de plomb s’étend sur la ville : plus de tabac ou de chicha, d’alcool, plus de jeux de cartes, plus de musique, la barbe obligatoire pour les hommes, le niqab noir pour les femmes qui ne peuvent sortir qu’accompagnées d’un parent et une répression féroce contre toute déviance. La ville se transforme en centre d’entrainement des nouvelles recrues et des lionceaux du califat, enfants de 12 ans enrôlés de force ; s’y concentrent aussi des ateliers de fabrication d’armes, de munitions, de bombes, des garages montant des voitures piégées, etc.
Mais la vie des Mossouliotes se transforme vite en enfer : pris entre la rigueur djihadiste et les bombardements des forces irakiennes soutenues par la coalition occidentale qui dès 2015 ont entamé la reconquête des territoires tenus par l’EI. En octobre 2016 commence la grande offensive contre Mossoul qui se terminera en juillet 2017 par la défaite et le repli des troupes djihadistes.
Enfin, comment ne pas évoquer Mosul Eye, auquel se réfère régulièrement Hélène Sallon, blogueur anonyme qui s’exile de Mossoul fin 2015 mais qui fera régulièrement sur son blog et les réseaux sociaux des chroniques concernant la vie des Mossouliotes sous l’emprise croissante de l’Etat islamique, avec pour principe : « Je ne communiquerai que les faits que j’aurai vus »
Hélène Sallon, journaliste au Monde4, a couvert d’octobre 2016 à juillet 2017 la bataille de Mossoul. Son récit hallucinant, effrayant, traumatisant voire déprimant mais toujours fascinant livre un témoignage exceptionnel de la tragédie subie par les habitants de Mossoul et de la perversion d’un système qui, malgré la défaite, s’exporte ailleurs.
Francis Labes
1 Cf. Population de Mossoul
2 Désigné, en Occident, par l’acronyme arabe Daech
3 Mosul Eye
4 Hélène Sallon est journaliste-reporter au Monde depuis 2010, à la rubrique Moyen-Orient du service International depuis 2014. Lire son article dans Le Monde du 8 juin 2018, p. 12-13 : Retour à Mossoul