Recension

Titre

Jésus selon Mahomet

Auteur

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur

Type

livre

Editeur

Seuil, novembre 2015

Nombre de pages

271

Prix

20 €

Date de publication

24 décembre 2016

Jésus selon Mahomet

 

La vulgarisation est un art difficile, et l’on peut savoir gré aux documentaristes, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, de parvenir, dans ce livre dense mais de lecture aisée, à donner accès   aux résultats de la recherche académique sur les origines de l’islam, à un grand public.

Prenant comme point de départ la figure de Jésus dans le Coran, où elle occupe une place capitale, les auteurs de l’ouvrage – écrit en parallèle d’un documentaire réalisé pour Arte sur Jésus et l’islam[1] – explorent en particulier les liens de l’islam avec les autres traditions religieuses présentes en Arabie, en particulier le judaïsme et le christianisme (sous sa forme judéo-chrétienne notamment[2]).

Au-delà de la simple vulgarisation scientifique, l’intention des auteurs apparaît dans leur volonté de souligner les continuités entre certaines formes de christianisme ancien et l’islam naissant, sans doute pour remettre en question les frontières trop abruptes que l’actualité nous suggère ; mais cette intention ne se développe jamais au détriment du sérieux scientifique.

On regrettera en revanche que les auteurs, au chapitre 7, intitulé L’exil de Mahomet, quittent leur position initiale et tentent de tirer, de l’étude scientifique des origines du Coran, des conclusions théologiques sur ce que devrait être l’islam aujourd’hui : l’étude, d’ailleurs toujours hypothétique, des origines de l’islam ne nous donne pas la clef du véritable islam, qui n’appartient qu’aux musulmans.

Malgré une incontestable sincérité dans la démarche, et le recours fréquent à des spécialistes, l’ignorance des auteurs en matière islamologique cause un très grand nombre d’erreurs de détail tout au long de l’ouvrage. Certaines n’ont guère de conséquence (c’est le cas des fautes de translittération ou de la surprenante filiation entre les califes Abū Bakr et ʿOmar, révélée p. 222), mais d’autres sont plus gênantes.

Ainsi les auteurs fondent-ils leur assurance qu’un islam des Lumières est possible, sur une citation, trouvée dans un ouvrage d’introduction à l’islam, attribuée au philosophe islamique al-Kindī (801-873), très critique sur la mission prophétique de Mahomet et le caractère divin du Coran ; une citation que les auteurs, impressionnés par la liberté de ton et d’esprit du penseur, se plaisent à rapprocher de Diderot (pp. 214-215).

Une lecture plus attentive de leur source leur aurait pourtant fait voir que son auteur n’est pas le philosophe musulman, mais son homonyme chrétien, ʿAbd al-Masīḥ al-Kindī, virulent polémiste antimusulman.

De même, on peut regretter que, dans le grand nombre d’autorités auxquelles les auteurs ont recours pour nourrir leur enquête, des personnalités très différentes soient mises indistinctement sur le même plan : sont cités, comme référence, des universitaires de premier plan comme François Déroche ou, plus controversée, Jacqueline Chabbi, mais aussi des essayistes grand public comme Abdelwahab Meddeb et même des auteurs sans crédit scientifique comme Edouard-Marie Gallez.

La bibliographie finale, tout aussi disparate, n’aidera pas davantage le lecteur à aller plus loin. Un petit regret de plus pour cet ouvrage qui mérite pourtant d’être salué.

                                                      Adrien Candiard

[1] Cf. Journal La Croix : http://www.la-croix.com/Culture/Television/Jesus-et-l-islam-le-Coran-decortique-par-le-duo-Mordillat-et-Prieur-2015-12-04-1388788 et Arte : http://boutique.arte.tv/f10576-jesus_et_islam_serie

[2] Qui sont les judéo-chrétiens ? : http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2013/clb_131115.html