Titre
Chers fanatiquesSous titre
Trois réflexionsAuteur
Amos Oz ; traduit de l’hébreu par Sylvie CohenType
livreEditeur
Paris : Gallimard : 2018Collection
Hors-série ConnaissanceNombre de pages
118 p.Prix
10,50 €Date de publication
9 juillet 2019Chers fanatiques. Trois réflexions
Ces trois articles remaniés à partir de conférences et de textes déjà publiés, dédiés à ses petits-enfants, seront donc les derniers mots d’Amos Oz, décédé le 28 décembre 2018 ! Belle occasion de rendre hommage à ce grand auteur israélien né en 1939, engagé dès après 1967 dans le Mouvement pour la paix[1], qui aujourd’hui marque une pause en raison de la montée des radicalismes, que ce soit du côté Israélien ou Palestinien.
Le titre, surprenant, renvoie à un concept, le fanatisme, qui, au-delà de la situation actuelle mondiale, est une constante de la nature humaine, un « gène déficient » poussant à la haine et à l’extermination de tous ceux qu’on juge, avec simplisme, être les méchants responsables de nos malheurs. Né à Jérusalem, l’auteur, depuis longtemps a reconnu avoir été dans les années 40 un « petit fanatique sioniste nationaliste » éduqué qu’il était à caillasser les Britanniques occupants. Accusé de trahison pour s’être lié d’amitié avec un policier anglais parlant l’hébreu biblique, il lui a fallu du temps pour comprendre que le « traître est celui qui aspire à évoluer ».
Aussi, sans relâche, il met en garde : la flambée fanatique terroriste est bien visible, mais n’oublions pas le fanatisme au quotidien, le dogmatisme, le sectarisme, le mépris, la vision manichéenne du monde, dont la marque est l’intolérance absolue envers la parole des adversaires. Et tout autant, le conformisme, l’adhésion émotionnelle, aveugle et idolâtre aux idéologies et aux leaders religieux et politiques qui veulent ramener l’humanité sur le droit chemin pour la sauver.
Comment s’immuniser contre le fanatisme ? La réponse est celle d’un écrivain attentif aux détails qui donnent vie aux récits et aux personnages : faire appel à la curiosité et à l’imagination concrète pour s’opposer à l’abstraction des slogans comme « Mort aux Arabes, aux Juifs, aux fanatiques ! » et, comme préalable à l’ouverture d’esprit et à la tolérance, « imaginer le monde intérieur, intellectuel et affectif de l’autre ».
Autre vertu, l’humour et l’autodérision, cette légèreté de l’être qui donne au réel son vrai poids d’humanité et nous permet de mieux regarder par « la fenêtre du voisin », de laisser certaines questions en suspens, afin de vivre et de laisser les autres vivre.
C’est ce qu’enseigne la civilisation juive : « non pas une lumière, mais plusieurs », une tension entre des attributs contradictoires et complexes, une tradition de débats et de controverses coexistant parfaitement avec le concept de démocratie pluraliste, une polyphonie humaine faite de convictions et d’opinions diverses et variées, dont le cœur pourrait bien être le commandement « tu n’infligeras pas la souffrance », ainsi qu’une résistance obstinée à l’injustice.
Oz, qui a toujours été un critique retenu de la politique d’Israël, n’hésite plus à formuler ses craintes devant l’évolution d’un pays qui s’éloigne depuis quelques années de cette vision idéale. Une fois encore, il propose aux nationalistes religieux comme aux juifs séculiers de se remettre en question à la lumière des quelques lignes gravées sur un ostracon vieux du Xe siècle avant J-C., réclamant la justice pour les faibles et les déshérités, proclamant le caractère sacré de la vie et de l’égalité de la valeur humaine. Il revient encore, bien qu’elle ne semble plus d’actualité, sur l’option d’un pays à deux États, prédisant un scénario catastrophe : « il est fort probable que, afin d’empêcher l’établissement d’un État arabe coincé entre la Méditerranée et le Jourdain, s’instaure une dictature temporaire de Juifs fanatiques, un régime raciste qui opprimera à la fois les Arabes et ses opposants juifs. Ce genre de dictature ne durera pas. Aucune minorité opprimant une majorité n’a perduré dans l’histoire moderne. Et au bout du compte, il faudra s’attendre à la création d’un État arabe entre la Méditerranée et le Jourdain, suite à un boycott international ou à un bain de sang, voire aux deux. »
Mais s’il appréhende l’avenir et argumente pour cela avec rigueur et patience contre tous les fanatismes, il prend de la distance en réfutant le mot qui verrouille tant de positions dites « irréversibles » et conclut par une déclaration d’amour pour son pays, malgré ces « rêves (d’hégémonie) auxquels Israël devrait renoncer au plus vite ».
Merci cher Amos Oz pour cette belle image que vous nous léguez, du plus profond de toute une vie engagée au service de la paix[2], de la justice et de l’humain : chacun de nous n’est-il pas une presqu’île, dites-vous, pour moitié rattaché à une famille, une langue[3], une culture, une nation et à la fois ouvert au grand large des rêves et des éléments intemporels, ainsi qu’aux autres presqu’îles, sans jamais perdre notre identité singulière ? N’ayez pas peur, soyez sûrs que « l’altérité ne constitue pas un état de faiblesse, mais un moyen essentiel pour stimuler la créativité. Il n’existe pas une lumière universelle mais une multiplicité presque infinie » !
Pascale Cougard
[1] Amos Oz et l’un des fondateurs, en 1978, du mouvement israélien Shalom Akhshav dont les actions sont soutenues par l’association française, La Paix maintenant. Cliquer ICI. Lire aussi ICI
Le mouvement La paix maintenant a rendu hommage à Amos Oz, le 17 juin 2019. Cliquer ICI
[2] Pour en savoir plus sur Amos Oz, écrivain de la réconciliation, lire l’art. de Sabine Audrerie, dans La Croix du 31/12/2018-01/01/2019, en cliquant ICI
[3] Cliquer sur Juifs par les mots.- Gallimard, 2014, le livre qu’Amos Oz a écrit avec sa fille Fania.