Titre
Arabie Saoudite 3.0Sous titre
Paroles de la jeunesse saoudienneAuteur
Clarence RodriguezType
livreEditeur
Erick Bonnier, septembre 2017Collection
Encre d'OrientNombre de pages
172Prix
18 €Date de publication
6 juin 2018Arabie Saoudite 3.0
L’auteur a vécu 12 ans à Riyad, seule femme journaliste française accréditée et travaillant comme correspondante pour plusieurs médias. Elle avait déjà écrit un livre en 2014 : Révolution sous le voile1 et consacre celui-ci à la jeunesse saoudienne « prisonnière de valeurs séculaires, partagée entre tradition et modernité…, à ces jeunes assis sur un baril de poudre… »
Les deux premiers chapitres dressent les portraits de deux figures asymétriques :
Le nouvel homme fort saoudien, Mohammed Ben Salman dit MBS, petit fils du roi Abdallah et successeur désigné du roi Salman, avec une progression du pouvoir fulgurante. Ce réformateur controversé, s’inspirant de son voisin Mohammed Ben Zayed (MBZ)2, présentait en avril 2016 un plan économique stratégique annonçant de profonds bouleversements pour sortir le pays de la dépendance des revenus pétroliers et l’ouvrir à la mondialisation libérale.
Et le « blogueur emprisonné, esprit libre flagellé », Raif Badawi arrêté et jugé en 2012, condamné à 1000 coups de fouet pour avoir développé des idées libérales sur son blog, prônant notamment la tolérance religieuse. C’est une figure emblématique du désir de renouveau de la société saoudienne autant que de la répression de la police religieuse honnie, Mutawa, cette dernière ayant cependant été mise au pas par le nouveau pouvoir3. On a là deux facettes opposées de l’évolution libérale en gestation du pays.
Clarence Rodriguez présente ensuite quatre portraits de jeunes avec lesquels elle a pu s’entretenir longuement :
– Khaled AL-S., travaillant comme gestionnaire de l’exploitation agricole de son père, après des études de psychologie aux USA, et passant les WE à faire la fête avec ses amis à Riyad ou dans le désert ;
– Raghad Al-K., qui a lancé sa boutique de vêtements de mode avec l’aide financière momentanée de son père et a acquis le droit de voyager seule à Paris ou à Londres ;
– Samir, qui a tenté de faire médecine en France mais a échoué et subi le rejet de ses proches face à l’échec, avant de trouver un bon poste de traducteur de français ;
– un groupe familial : Nour et Dasan, fille et fils de Fawzia, femme médecin pédiatre nommée en 2013 au Majlis al Choura, Conseil consultatif auprès du roi ; le fils est ingénieur travaillant dans de grands groupes internationaux, la fille est jeune professeur à l’université après des études à Londres grâce à une bourse saoudienne.
Puis le livre se conclut par une courte vision humoristique sur ce que pourrait être Riyad en 2030 si les verrous sociétaux sautaient.
Ces interviews enregistrés en 2016 et retranscrits parfois tels quels révèlent les expériences, visions et aspirations de ces quelques jeunes de Riyad représentatifs de la jeunesse saoudienne, qui est majoritaire dans le pays. La représentativité peut être mise en doute sur un plan sociologique mais l’intérêt de ces entretiens est d’exprimer de l’intérieur, sans fioriture, les ressorts de cette société saoudienne en évolution. Cela permet de rompre avec les clichés des représentations occidentales qui feraient de ces saoudiens des conservateurs bornés proches des terroristes, vivant uniquement des rentes pétrolières, avec les femmes cloîtrées. Les interviewés dénoncent d’ailleurs tous ces clichés dont ils ont souffert lors de leurs séjours en Europe. Les thèmes privilégiés des discussions concernent la famille : importance de la famille élargie dans une société clanique ; le mariage – la mère choisit souvent la femme de son fils …- et les rapports entre les sexes ; la religion – tous y sont attachés, au moins au nom de la tradition – et la culture arabe qui ne doit pas se diluer dans le modèle occidental…
Le style du livre est parfois déconcertant, avec des formules rapides relevant plus du journalisme immédiat que de l’analyse, mais cette impression est contrebalancée par des éléments pertinents de compréhension de la société saoudienne4, ce qui en rend la lecture bien intéressante et facile.
Xavier Godard
3 Cf. Le Monde, 18/04/2016 : En Arabie saoudite, la police religieuse mise sous tutelle
4 Clarence Rodriguez était l’invitée d’Aurélie Kieffer dans Le magazine de la rédaction de France Culture, le 06/04/2018 sur : Arabie Saoudite : choc de modernité ou opération séduction ? : (durée : 55mn)