Israël confronté à un exil massif de ses citoyens, une enquête du média en ligne Slate.

Au moment où l’Etat d’Israël déclenche une guerre ouverte avec l’Iran, avec des sondages montrant un fort soutien de l’opinion publique israélienne à son Premier ministre, il nous a semblé intéressant de faire écho à cette enquête de Sophie Boutière-Damahi, parlant d’“un véritable tournant culturel et démographique” en Israël.

Sur Slate. Le 17/06/2025

“En 2024, ils étaient plus de 82 000 Israéliens à quitter le pays pour le long terme, contre environ 55 000 en 2023. Le 12 mai dernier, le journal israélien de gauche Haaretz publiait une enquête sur ce départ croissant de dizaines de milliers d’Israéliens, en s’appuyant sur une étude de la société Ci Marketing qui révèle que, parmi les personnes restées au pays, 40% songeraient, elles aussi, à préparer leurs valises.

Cette tendance est à l’œuvre depuis une dizaine d’années. Mais, au regard de la politique israélienne actuelle, elle tend franchement à se confirmer. Si la stratégie d’enlisement dans la bande de Gaza compte parmi les raisons sécuritaires de cet exil, de profondes divisions minent aussi la société israélienne depuis des années.”

Le départ d’Israël de certains de ses citoyens n’est pas un fait récent, et il n’empêche pas encore une légère progression démographique, de l’ordre de “1,1% en 2024, contre 1,6% en 2023”. Mais il marque un changement important dans la composition de la population active israélienne. Les départs affectent surtout des personnes en pleine activité : “81% seraient de jeunes diplômés âgés de 25 à 44 ans.”

Citant Mairav Zonszein, spécialiste d’Israël au sein de l’ONG International Crisis Group et rédactrice pour le New York Times, l’auteur relève que le groupe de la population israélienne en croissance la plus rapide est celui des Haredim, religieux ultraorthodoxes dont les hommes, pour une bonne part, se consacrent à l’étude de la Torah et s’abstiennent de tout travail profane :

“La population juive ultraorthodoxe, les haredim, (littéralement ‘craignant Dieu’) représente actuellement environ 12,6% de la population totale d’Israël. Mais elle est la plus dynamique du pays, avec un taux de croissance annuel de 4%, soit plus du double de celui de la population générale (1,9%).

Selon les projections du centre de recherche indépendant Israel Democracy Institute (IDI), la part des haredim dans la population totale devrait atteindre jusqu’à 35% de la population juive totale d’ici à 2059. En 2024, environ 54% des hommes haredim étaient actifs, contre 87% des hommes juifs non haredim. La priorité donnée à l’étude de la Torah au détriment de l’éducation laïque réduit les compétences professionnelles des hommes haredim.”

A cela s’ajoute un mécontentement global, lié au sentiment d’impuissance de toute une partie de la population. Elle ne peut pas peser sur la politique du gouvernement actuel, sans qu’une politique différente soit pratiquement envisageable. L’opposition existe mais n’a aucune perspective de renverser le pouvoir en place.

Eugene Kandel, ancien président du Conseil économique national et conseiller économique de Benyamin Netanyahou (entre 2009 et 2015), avertissait [en mai 2025] qu’Israël était confronté à ‘une menace existentielle’.”

Son inquiétude est la suivante : “‘De nombreux hommes politiques ont déclaré à la tribune de la Knesset que le pays pouvait se passer des pilotes, des spécialistes de la haute technologie et des membres d’autres groupes d’élite. Aujourd’hui, plus que jamais, l’arrogance de ces déclarations est évidente, car l’épine dorsale existentielle d’Israël dépend d’un groupe de personnes relativement restreint. Sans ce groupe, il n’est tout simplement pas possible de maintenir un pays ici au fil du temps’.”

Aujourd’hui ces émigrants en provenance d’Israël donnent des forces nouvelles à des communautés juives qui déclinaient, comme aux États-Unis, au Canada, en Allemagne ou au Royaume-Uni. L’auteur conclut :

“Dans certains pays, les personnes nées en Israël et leurs familles représentent plus de 20% de la population juive nationale. ‘On peut dire qu’un véritable tournant culturel et démographique est en cours, analyse Daniel Staetsky (1), interrogé par le quotidien britannique The Guardian. Il s’agit peut-être de la fin d’une époque. Les fondateurs de l’État d’Israël n’auraient jamais imaginé que ce serait Israël qui revitaliserait les communautés juives européennes et non l’inverse.’

Un renversement encore minime, au regard de l’immense majorité d’Israéliens et Israéliennes qui restent toujours au pays. Mais dont les changements démographiques internes et les divisions politiques questionnent plus que jamais l’identité, à terme, d’un État hébreu fortement déstabilisé.”

(1) Auteur d’ un Rapport publié en mars 2025 par l’Institute for Jewish Policy Research, centre d’études et groupe de réflexion basé à Londres.

Lire ici la totalité de l’article de Sophie Boutière-Damahi.

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