Crise des ordures. Dossier Liban 4, un symptôme du mépris de la population, et la rencontre avec le pape des chefs d’Eglise libanais.

La crise des ordures, symptôme au quotidien du délabrement de la vie civile, et d’un certain mépris des autorités pour la population, constitue la suite du dossier Liban rassemblé par Xavier Godard.

Mais l’actualité donne un relief particulier à la crise libanaise à travers la rencontre provoquée par les chefs d’Eglise du Liban avec le pape François, qui s’est tenue au Vatican le 1er juillet 2021. Nous présentons l’analyse qu’en a donnée notre ami Luc Balbont, administrateur de CDM, à un média catholique suisse. Nous proposons quelques textes qui témoignent du sursaut qui secoue le Liban jusqu’au cœur de la crise.

Articles précédents :

Crise bancaire et économique
Corruption et clientélisme
Crise de l’électricité

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Crise des ordures

La crise des ordures au Liban (aussi appelée crise des poubelles, et surnommée Tala’at Rihatkum, “Vous puez”) désigne une série de manifestations survenues en 2015 pour protester contre l’échec du gouvernement libanais à traiter les ordures accumulées après la fermeture de la plus grande décharge du Liban à la mi-juillet 2015. La cristallisation des mécontentements fait face aux autres problèmes liés à la pénurie d’eau, les coupures d’électricité… On se demande alors si ce mouvement ne va pas provoquer une sorte de révolution venant de la société civile (1).

Des décharges de substitution sont ensuite ouvertes puis fermées, avec des appels d’offre sans suite, des recours en justice, des dégâts environnementaux dénoncés par des ONG (notamment pollution après tempête en janvier 2018)…

En 2020 les militants de Human Rights Watch dénoncent de nouveau la crise des déchets : rien n’a changé depuis 2015 ! Les lois votées n’ont pas été appliquées. Seuls 15% des déchets sont recyclés. Le coût est exorbitant selon Samar Khalil (2), en raison de l’absence de concurrence, le monopole de traitement des déchets ayant été remplacé par un oligopole.

Derrière cette crise récurrente on trouve des débats techniques sur les options d’incinération, ou tri et recyclage. Mais on observe l’impuissance gouvernementale face aux intérêts particuliers, et l’absence de vision stratégique alors que la solution nécessaire de recyclage suppose une politique qui s’inscrive dans le temps…

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_ordures_au_Liban

(1) https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/revolte-libanaise/

(2) https://www.lecommercedulevant.com/article/29897-samar-khalil-rien-na-change-depuis-la-crise-des-dechets-de-2015-

Photo Luc Balbont

Xavier Godard

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Après la journée de réflexion et de prière autour du pape François
des chefs d’Église libanais

-Le Liban est un pays auquel le pape François porte une attention toute particulière, même s’il replace la crise libanaise dans le contexte de la crise globale du Moyen-Orient, Irak, Syrie, etc. Tout en faisant jouer les ressources de sa diplomatie et en appelant à une coopération internationale, il affirme, dans l’appel qu’il a lancé au terme de la rencontre, que les puissances étrangères doivent d’abord respecter l’initiative des Libanais. C’est d’eux seuls que dépend la sortie de la crise. Il en appelle tout spécialement aux jeunes générations et aux femmes (1).

-Luc Balbont,  dans un article publié sur le site catholique suisse cath.ch, annonçant cette journée de rencontre et qu’il nous a confié (2), remarque que dix chefs d’Eglise du Liban se sont mis d’accord pour faire appel au pape. L’initiative en revient au catholicos arménien apostolique, face à la conjonction de plaies multiples qui frappent la société libanaise. Une pauvreté dévastatrice se répand avec la crise financière, avec un chômage paralysant, ce qui pousse à l’exil un nombre croissant de Libanais. Or le Liban est le dernier pays du Moyen-Orient où les chrétiens dans leurs Eglises diverses constituent encore un corps social significatif. La corruption est dénoncée comme un fléau majeur, mais tous les chefs d’Église ne s’accordent pas pour la lier au système confessionnel qui régit la vie politique libanaise depuis le mandat français.

Luc Balbont note une certaine déception des musulmans face à cette initiative. Le rappel de l’exhortation déjà faite en 1997 aux chrétiens par Jean-Paul II pour travailler de tout cœur avec les musulmans au sein de la société civile est une certaine réponse à cette inquiétude. Plus remarquable est la réaction qu’il relève de la part de Nayla Tabbara, amie fidèle de “Chrétiens de la Méditerranée” :

“Théologienne musulmane et présidente de la fondation Adyan (“les religions”), qui travaille sur la citoyenneté commune, Nayla Tabbara espère que les musulmans suivront l’exemple chrétien, pour préparer eux aussi une réflexion commune avec leurs chefs chiites, sunnites, alaouites et druzes, afin de sortir de la crise et préparer l’avenir du Liban.”

Mais il note en conclusion l’indifférence de fond qui au Liban même a accueilli cette rencontre, tant les Libanais sont assommés, absorbés par les innombrables soucis de la vie, et de la survie, au quotidien.

-Signalons un autre remarquable texte de Nayla Tabbara, une tribune publiée dans La Croix du 26 juin 2021, “Est-ce cela l’espérance?” (3). Sans se faire d’illusion sur la mort effective de la société libanaise actuelle, elle affirme la bien-fondé de sa décision de rester, pour devenir espoir de renaissance avec tous ceux qui font le même choix qu’elle. Elle cite celui qu’elle appelle le Gandhi de l’islam, Abdul Ghaffar Khan: “Nul effort véritable n’est en vain. Regardez les champs là-bas. La graine qui y est semée doit rester en terre pour un certain temps, puis elle pousse et le temps venu, produit des centaines de son espèce.”

-Notons aussi l’entretien qu’elle a donné au site Vatican News, en dialogue avec Fadi Daou, le chrétien avec lequel elle co-anime la fondation Adyan, et qui est intervenu en 2014 lors de l’université d’hiver de CDM intitulée “Guerre ou paix au Moyen-Orient?” On peut écouter cet entretien à partir de l’article de Vatican News du 30 juin 2021 (4), Regards croisés de Nayla Tabbara et Fadi Daou.

-Le CCFD-Terre solidaire témoigne d’initiatives prises à la base pour faire face à la pénurie grâce à des productions locales. Il assure un soutien financier aux organismes partenaires qui les mènent, distributions alimentaires et potagers sur les toits (5).

-Voir les articles du journal La Croix:

10 juillet 2020, Frappé par la crise, le Liban peut-il “s’effondrer” ?

14 juin 2021, Les Libanais confrontés au chaos et aux pénuries

1er juillet 2021, Le Liban, priorité de la diplomatie du pape François

Notes

(1) La Croix, 2 juillet 2021. L’appel du pape François pour que le Liban “ne s’effondre pas”.

(2) Le pape François à l’écoute des Églises libanaises, https://www.cath.ch/newsf/le-pape-francois-a-lecoute-des-eglises-libanaises/

(3) https://www.la-croix.com/Est-cela-lesperance-2021-06-25-1101163031

(4) https://www.vaticannews.va/fr/monde/news/2021-06/journee-priere-liban-regards-croises-societe-civile.html.

(5) CCFD, Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire, https://ccfd-terresolidaire.org/projets/moyen-orient/liban/crise-alimentaire-produire-local-7013.

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