Le dossier Liban constitué par Xavier Godard aborde la question de l’alimentation électrique, avec la détérioration des équipements, le détournement des financements, la fraude et le développement des générateurs privés.
Articles précédents :
Crise bancaire et économique.
Corruption et clientélisme.
En février 2021, le risque de crise sévère de production d’électricité était relevé par Marc Ayoub en raison des difficultés d’approvisionnement en fuel des centrales électriques, alors que la production avait déjà baissé de 19% en 2020. Déjà en juin 2020, avant l’explosion d’août, la presse dénonçait les coupures de courant qui atteignaient à Beyrouth 22 heures par jour en juin-juillet. Les incertitudes sont liées aux procédures d’ appel d’offre international, au préalable des garanties financières demandées par les fournisseurs alors que les réserves en devises sont au plus bas… L’explosion du 4 aout a par ailleurs détruit certaines infrastructures de l’entreprise publique EDL (Électricité du Liban). La crise financière de celle-ci l’empêche d’acquérir les équipements nécessaires ou certaines pièces de rechange des centrales. Ses arriérés de paiement renforcent ces difficultés d’approvisionnement.
Ces difficultés financières malgré l’injection périodique de liquidités (on estime à 47Md US$ le montant cumulé de ces aides à EDL) sont accentuées par la baisse du recouvrement des factures en raison de la crise économique et sanitaire. Le déficit structurel est du également au blocage des tarifs depuis 1994 (environ 0,093 $/kwh).
La réforme du secteur se heurte évidemment aux contraintes politiques avec son clientélisme : la loi de 2002 prévoyait la nomination d’une Autorité de Régulation de l’Electricité indépendante, mais les membres de cette Autorité n’ont pas été nommés pendant 17 ans, faute d’accord car les six principales religions devaient y être représentées ! La raison est toujours la même : clientélisme politique à préserver pour la distribution des emplois et des contrats…
Déjà en 2009 Eric Verdeil évoquait le secteur de l’électricité comme enjeu de la crise financière du Liban. L’endettement de EDL représentait près du tiers de la dette du pays. EDL était considéré comme un instrument de construction nationale, mais se heurtait à la fragmentation politique et confessionnelle. L’absence d’autorité de l’Etat a entrainé dès les années 80 le développement d’une fraude massive, avec le piratage des lignes électriques, ou le non-paiement des factures. Ces défaillances expliquent la prolifération du secteur privé informel recourant à des groupes électrogènes avec leurs nuisances environnementales. Après les dégâts de la guerre civile la reconstruction a aussi été entravée par des destructions de centrales par les Israéliens en 1996-2000 puis en 2006. Ces déboires ont été accentués par une gestion calamiteuse de l’entreprise. Les avances du Trésor (1993-2006) étaient de 3,8 Md $ mais les intérêts cumulés étaient de 7,5 Md § ! Ces déficits s’expliquent aussi par la forte hausse des cours du pétrole alors que les tarifs restaient inchangés depuis 1994.
Le développement de générateurs privés s’est fait à plusieurs échelles, avec des centrales de quartiers soumises au contrôle mafieux ou milicien. La fraude et le non paiement sont alors l’expression d’une fragmentation politico-confessionnelle : le sud, le nord et la Bekaa sont les plus concernés par ce “vol” du courant..
Sources :
https://www.lorientlejour.com/article/1252260/eviter-leffondrement-du-secteur-de-lelectricite.html
https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2009-2-page-421
https://orientxxi.info/magazine/le-liban-a-la-derive-sur-une-mer-demontee,4027
Voir aussi le passage sur la crise de l’électricité, dans l’entretien déjà cité avec un haut-fonctionnaire démissionnaire. https://www.franceculture.fr/geopolitique/liban-un-ancien-haut-fonctionnaire-raconte-la-corruption-au-coeur-du-pouvoir