La suite du dossier Liban constitué par Xavier Godard traite aujourd’hui de la corruption et du clientélisme, deux plaies de la vie publique, indices de la difficulté à concevoir un État garant des intérêts du plus grand nombre.
Article précédent : Crise bancaire et économique.
Corruption et clientélisme au Liban
Selon Joseph Maila (1), la raison majeure du mal qui a rongé le Liban jusqu’à sa destruction est “cette propension à détourner la loi, à corrompre ses représentants et à préférer à l’intérêt général l’enrichissement personnel ou encore l’avantage communautaire. Au fil des années, le vol de l’État a été érigé en règle de gouvernement.”
On peut remonter aux pratiques de l’administration ottomane, mais ces pratiques d’aujourd’hui “s’enracinent au cœur du système communautaire qui a contribué tout au long de l’histoire du Liban indépendant à faire reposer les institutions publiques sur un mode de fonctionnement clientéliste.” “Une classe politico-financière a ainsi mis le pays sous coupe réglée. Servie par une économie souterraine, alimentée par des flux financiers exogènes illicites ou par la contrebande, la corruption a affaibli les bases économiques sur lesquelles reposait tant bien que mal le pays”.
“Plus que la reconstruction, c’est la philosophie de la ‘réconciliation’ instillée par l’accord de Taëf qui a uni des chefs de guerre ‘amnistiés’ devenus agents d’exploitation de l’État. On est alors passé d’un communautarisme de concordance à un communautarisme de connivence qui a uni les magnats de la finance et les potentats de la violence.”
Finalement Joseph Maila estime que la corruption repose sur trois piliers : le clientélisme politique, l’absence d’institutions effectives de droit, la culture civique (mentalité consistant à se représenter l’Etat comme inexistant).
Alain Bifani (2), ancien haut fonctionnaire démissionnaire, porte un diagnostic analogue. “À l’origine de cet effondrement économique, une oligarchie qui a dépouillé l’État de ses moyens financiers.” Il déclare s’être cassé les dents sur deux dossiers emblématiques : la collaboration avec le FMI qui demandait des réformes structurelles, et le plan de redressement. Le plan qu’il préconisait “consistait à faire payer ceux qui ont le plus profité du système, c’est-à-dire les délinquants financiers qui ont géré le pays, les gens qui ont profité de montants faramineux payés par ce que l’on a appelé les ‘ingénieries financières’ de la Banque centrale du Liban, et également une certaine caste de financiers et de banquiers qui ont accumulé des dizaines de milliards de profits pendant des années”. Mais c’est l’alternative qui tend à gagner, faisant supporter les pertes par les petits déposants.
La Banque centrale (BDL) fonctionne comme une boîte noire, de même que de nombreux organismes d’État comme Électricité du Liban (EDL)
Sources.
(1) Article de Joseph Maila dans le quotidien “L’Orient-Le Jour” du 20 janvier 2021, https://www.lorientlejour.com/article/1248788/la-corruption-au-liban-les-racines-du-mal.html
(2) Entretien avec Christian Chesnot sur France-Culture le 20 août 2020, “Liban : un ancien haut-fonctionnaire raconte la corruption au cœur du pouvoir”, https://www.franceculture.fr/geopolitique/liban-un-ancien-haut-fonctionnaire-raconte-la-corruption-au-coeur-du-pouvoir