Nous faisons d’abord écho au communiqué de notre partenaire Pax Christi France sur “la justice internationale pour la Palestine”, à la suite de la demande de mandats d’arrêt émise par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de dirigeants palestiniens de Gaza et de hauts dirigeants israéliens.
Nous publions ensuite la deuxième partie des exposés donnés au Colloque de notre partenaire (Rennes, 10 avril 2024), parus dans son mensuel Pax Info n° 252 de juin 2024. En lire la première partie : https://www.chretiensdelamediterranee.com/notre-partenaire-pax-christi-a-laction-pour-la-paix/
Communiqué sur la justice internationale pour la Palestine
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé à la Cour d’émettre des mandats d’arrêt à l’encontre des principaux dirigeants du Hamas ainsi qu’à l’encontre du Premier ministre d’Israël et de son ministre de la Défense. Des voix se sont élevées pour critiquer une mise en perspectives des crimes du Hamas avec les faits reprochés aux responsables d’Israël et dénoncer une symétrie de façade qui cacherait une forme d’antisémitisme.
Pax Christi rappelle son attachement à une justice internationale indépendante et impartiale et redit sa confiance en la CPI.
La justice internationale n’est pas une justice des vainqueurs contre les vaincus. Elle est notamment instituée pour faire respecter les droits reconnus aux populations civiles et sanctionner quiconque (hommes politiques, militaires, civils) se rendrait coupable, lors d’un conflit armé, de violations caractérisées du droit international applicable. Ce faisant, elle redit notamment l’importance pour toutes les parties de ne pas prendre les populations civiles en otage.
Nous sommes conscients du caractère particulier de ce conflit qui oppose une organisation dont la revendication politique comprend la destruction d’Israël par tous moyens y compris terroristes, à un État démocratique reconnu internationalement, qui garde le droit de se défendre de toute agression.
Toutefois, si justice n’est pas rendue aux personnes tuées, blessées ou prises en otage le 7 octobre, et si justice n’est pas rendue à la population gazaouie, qui ne peut être assimilée au Hamas, chassée de ses maisons, privée de soins et de nourriture et vivant en exil dans un territoire dont elle ne peut sortir et soumis à des destructions massives, les conditions d’une paix durable ne seront jamais réunies.
Les injustices d’aujourd’hui nourrissent les ressentiments qui aboutissent à la haine et à la poursuite incessante du conflit sur plusieurs générations, le cycle de la vengeance alimentant le vivier du terrorisme.
La justice est cette médiation nécessaire qui nomme les situations et fixe les limites que toute partie à un conflit doit respecter. Tant sur le plan étatique que sur le plan international, la justice est un signe de la vitalité démocratique dont nous devons être fiers et du respect viscéral des droits de l’homme sur lequel toute société doit se fonder.
Laissons la justice travailler sereinement et rendre ses conclusions, qui détermineront les responsabilités. C’est le respect que nous devons à toutes les victimes, au nom de la dignité humaine.
PAX CHRISTI FRANCE
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Textes du colloque “La paix, un défi pour notre monde”, 2ème partie
Cette soirée du 10 avril 2024, à l’initiative de Jeanne-Françoise Hutin, fondatrice de la Maison de l’Europe à Rennes, a été l’occasion de d’échanges entre des invités de renom, parmi lesquels Jacques Ricot, professeur de philosophie à l’université de Nantes, Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des Armées et des Affaires étrangères et de l’Europe, également envoyé personnel du président de la République pour le Liban, le général Laurent Michon, officier général de la zone de défense et sécurité ouest, ancien commandant de l’opération Barkhane au Sahel, Mario Giro, syndicaliste italien et ancien vice-ministre des Affaires étrangères chargé de l’Afrique, médiateur de la paix au sein de la Communauté Sant’Egidio et Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de la province ecclésiastique de Rennes.
Voici la deuxième partie de la synthèse que Yann Henry, délégué régional Pax Christi – Rennes, a bien voulu nous livrer. Après les interventions de Jacques Ricot et de Jean-Yves Le Drian (partie I), on trouvera les interventions du général Laurent Michon, de Mario Giro et de Mgr Pierre d’Ornellas (partie II).
Une guerre, toutes les guerres, c’est toujours un père qui enterre son enfant. Depuis Francisco de Goya, on a appris que la guerre est un “désastre”, ce mot qui désigne l’abandon par le Ciel, sans recours et irréparable. Depuis deux siècles, dépouillée de sa sacralité, la guerre n’est pourtant pas toujours dénégation de l’individu, en particulier du soldat. C’est en substance ce qu’a tenu à rappeler Laurent Michon, Général, pour qui la vocation du soldat est de défendre sa patrie et les intérêts des Français, où qu’ils se trouvent. Le soldat a une relation très directe à la vie, à la mort, puisque sa vocation particulière est de risquer sa vie, celle des autres, mais aussi- “responsabilité exorbitante” -, de donner la mort ou de donner l’ordre de tuer.
“Le soldat n’est jamais engagé seul”
Le Général Laurent Michon partage trois idées. La première est que le soldat a besoin de l’idée de l’objectif politique de son action. “Le soldat n’est jamais engagé seul”, mais toujours accompagné d’autres acteurs : “Le rapport de force compte toujours”. L’idée est qu’on ne peut trouver une issue à tout conflit sans rapport de forces bien appréhendé. Sans équilibre des forces, pas de stabilité. On peut l’illustrer avec la condition de la guerre juste, c’est-à-dire avec des formes raisonnables de succès. Le droit ne se fait pas respecter sans un minimum de force pour venir l’appuyer, et là encore, le rapport de force compte pour faire respecter le droit, non point pour écraser l’ennemi. La guerre est une vésanie, chacun le sait, mais au cœur de tous les engagements majeurs de la France au cours des trois dernières décennies (Bosnie, Kosovo, Liban, Tchad, Côte d’Ivoire, Gabon, République centrafricaine, Rwanda), le Général Michon doit néanmoins consentir qu’elle est parfois nécessaire pour conquérir la paix. Enfin, troisième et dernière idée-force, “la légitimité de la cause est plus importante que la légalité”, comme ce fut le cas avec la France Libre en 1940. En conclusion, pour le Général Michon, les trois idées partagées avec le public peuvent résolument aboutir sur une légitimité et l’exemplarité de l’emploi de la force des Armées françaises, afin que la paix soit établie et rendue ensuite durable.
“La guerre n’est jamais inévitable”
La guerre, quant à elle, est toujours “inutile” et “toujours fratricide”, selon Mario Giro. “Tout doit être fait pour arrêter la guerre”, assène le médiateur de la paix pour la communauté de Sant’ Egidio, forte de ses soixante implantations dans le monde. L’ex-syndicaliste et ancien vice-ministre des Affaires Étrangères italien fait du populisme et du souverainisme le problème majeur de l’Europe actuelle. Une Europe qui n’a pas lu le monde avec ce qui s’est passé à Berlin en 1989, qui n’a pas pris assez la mesure de ce qui s’est passé “derrière le Mur”. L’économie socialiste “était fausse”, ose Mario Giro, “on y a cassé une culture, et nous n’avons pas compris le vide qui s’est créé à l’Est”. L’autre aspect qui doit infléchir nos manières de penser, est la critique qui vient de l’intérieur de nos sociétés occidentales, que la culture Woke incrimine, en pointant à tout instant l’arrogance dont nous faisons preuve. Reconstituer un dialogue à l’intérieur de nos démocraties, mieux traiter chacun de nos concitoyens ne doivent plus demeurer des vœux pieux. Enfin, pour revenir à l’objet du colloque, Mario Giro martèlera le message – le “grand Message”- du dépôt de la conscience européenne, qui est que la guerre n’est jamais inévitable, et qu’il nous faut un effort immense pour l’arrêter, puisque la politique donne plus de solutions que la guerre.
“Une guerre, c’est toujours une défaite”
Le propos de Mgr Pierre Dornellas n’est pas d’enserrer nos vies dans un filet de recommandations et de vigilance à l’égard de “l’autre”. Bien plutôt, au contraire, celui de rappeler deux conditions fondamentales formulées par le Saint Siège pour combattre les idées mortifères que véhiculent certaines idéologies : le respect de la dignité humaine, d’abord ; le respect, ensuite, des créations humaines, et son corolaire, le partage des innovations de l’esprit humain. Le propos n’est pas nouveau. Dès le concile de Vatican II, à Rome en 1965, la guerre suscite une vive répulsion : le Saint Siège y proclamera “la proscription absolue de la guerre”. Depuis, le Saint Siège a accru son rôle diplomatique, considérable, comme observateur permanent [à l’Organisation des Nations Unies], et rendu pérenne son activité de parole sur le terrain, car la “parole est féconde”, surtout lorsque le Saint Siège et le Nonce demeurent bien souvent les derniers acteurs en présence. Enfin, si Mgr Dornellas évoque lui aussi l’idée d’un “basculement”, celui-ci est motif de réjouissance, avec l’arrivée de la force ecclésiale des pays émergents, qui partagent désormais une parole d’égal à égal avec l’épiscopat occidental.
En cette soirée d’échange, cinq personnalités aux engagements très éloignés ont pu dialoguer grâce à leur commune droiture morale et intellectuelle. Elles ont su nous rappeler quel bien précieux représente la paix, qu’au prix de leur vie d’autres hommes défendent au quotidien. Par des propos qui renoncent par moments à leur caractère officiel pour devenir une confidence personnelle, ils ont su réveiller nos consciences endormies par la mise à distance de la guerre, dont nous ne conservons bien souvent qu’un reflet amoindri.
Yann Henry,
Professeur agrégé et Docteur en espagnol,
Pax Christi – Rennes