Un Colloque sur la liberté religieuse dans le contexte algérien,
Alger, 10 & 11 février 2010
Le Ministère des Affaires religieuses de l’Algérie organisé un colloque international sous le titre : « L’exercice du culte, un droit garanti par la religion et par la loi » qui a rassemblé quelques 200 personnes à Alger les 10 & 11 février 2010.
Dans le contexte marqué par le refus des visas pour des prêtres ou des religieuses venant en Algérie, par les difficultés des communautés chrétiennes évangéliques en Kabylie à se faire reconnaître, le ministère algérien des affaires religieuses entendait dissiper les malentendus autour de « prétendues restrictions à l’exercice des cultes », exposer les fondements musulmans du respect pour les autres religions et le faire connaître à l’opinion publique algérienne et internationale.
Cela, au moment où les évêques catholiques d’Algérie avaient, à la suite de la destruction de lieux de réunion de chrétiens évangéliques à Tizi Ouzou, exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis « des entraves mises, ici ou là, à la pratique du culte chrétien. Ils[les évêques] sont profondément attristés et ne peuvent cacher leur indignation devant la profanation de signes chrétiens, comme ils sont indignés lorsqu’ils apprennent que des signes de la religion musulmane sont profanés dans tel ou tel pays du monde. Ils tiennent à exprimer leur compassion et leurs sentiments de fraternité à leurs frères et sœurs qui ont été agressés dans leur vie religieuse. Ils gardent confiance et continuent d’espérer que le chemin de convivialité et de respect profond entre tous pourra se continuer. »
(Communiqué du 25 janvier 2010)
Les participants au colloque étaient essentiellement des universitaires algériens, des directeurs des affaires religieuses de différentes willayas (départements), des fonctionnaires et un certains de responsables religieux en Algérie musulmans et chrétiens. Parmi eux quatre évêques : Mgrs Ghaleb Bader, archevêque d’Alger, Paul Desfarges nouvel évêque de Constantine et d’Hippône, Alfred Georger, évêque d’Oran et Henri Teissier, archevêque émérite d’Alger mais aussi plusieurs pasteurs et responsables protestants dont Mr Moustapha Krim, président de l’Eglise protestante d’Algérie, EPA. L’Algérie avait aussi invité quelques responsables religieux étrangers : une délégation d’universitaires américains évangéliques conduite par Mr. Joseph Cuming, directeur du Centre de réconciliation des religions à l’université de Yale, aux Etats-Unis, Mgr Mounir Hanna Anis, égyptien, archevêque de l’Eglise anglicane pour le Moyen-Orient et le nord de l’Afrique, et trois français : le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, le P. Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam, SRI, et le Pasteur Claude Baty, président de la Fédération protestante de France.
Dès la première matinée, après l’introduction du ministre des affaires religieuses, Mr Abdallah Ghoulamallah, les termes du débat et des échanges ont été posés. En effet, Mgr Ghaleb Bader, archevêque d’Alger, a clairement exprimé quel étaient les fondements de la liberté de culte pour les catholiques : l’attitude du Christ dans les Evangiles (Jn 4), le texte de Vatican II sur la liberté religieuse et celui du Synode pour l’Afrique de 2009 réclamant pour tout croyant la liberté religieuse et la liberté de choisir sa foi. Puis, dans une deuxième partie, Mgr Bader a souligné quelques aspects positifs de l’Ordonnance de 2006 qui règlemente l’exercice du culte non-musulman en Algérie. Mais il a aussi exprimé ses réserves sur des points qui entravent la liberté de culte pour les catholiques : les refus de visas pour les ministres du culte, le contrôle sur les livres liturgiques, l’impossibilité de célébrer la messe en dehors des églises reconnues par l’Etat et donc l’accès à la liberté de culte pour les chrétiens qui habitent loin de ces édifices, posant la question de l’opportunité de cette ordonnance. Dans sa conclusion, il a souligné à l’adresse de ses interlocuteurs que « la prière et le culte chrétiens n’ont jamais été – et ne seront jamais – pratiqués ou célébrés pour d’autres finalités que celles de la prière : celle de permettre aux croyants d’adorer et de louer Dieu. Ni les prières des chrétiens et ni les services rendus par cette Eglise ne seront jamais contre l’Algérie ni les Algériens, mais bien plutôt au service de l’Algérie et des Algériens ainsi qu’à conduire et à éduquer les croyants à la paix avec Dieu et le prochain et à l’amour de Dieu et du prochain qui sont les deux grands commandements dans notre Religion. »
Puis, Mr Moustapha Chérif, ancien ministre, engagé dans le dialogue islamo-chrétien et le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, a rappelé qu’il convient d’avoir « le sens de l’ouverture mais aussi celui de la vigilance ». Il a posé la question : « Y-a-t-il contradiction entre l’Islam comme religion de l’Etat et la liberté de conscience ? –« Non, répond-il, la religion doit être gérée par l’Etat sans porter atteinte à la liberté de conscience. (…) L’Algérie écoute les doléances de ses frères chrétiens mais l’Algérie a une histoire… Notre devenir est commun. »
L’un des évêques participant insiste sur le climat de la rencontre, un climat emprunt de vérité, dans la cordialité. Ce climat a permis que bien des sujets soient abordés, y compris ceux du prosélytisme et des conversions. La compréhension de la souffrance que ces conversions, de part et d’autre d’ailleurs, engendre pour les proches de ces convertis a pu être dite. Au cours de ces échanges, répondant à une question, Mr Moustapha Chérif a affirmé : « Le respect de la liberté de conscience n’est pas négociable. » ou encore à propos du prosélytisme : « le témoignage de notre foi est légitime, pour chacun mais nous refusons des stratégies politiques qui visent au prosélytisme. » A un autre moment, Mgr Mounir, égyptien, a cité cette phrase de Gamal Al Banna, frère de Hassan Al Banna, fondateur des Frères musulmans, interrogé à propos des conversions et des convertis : « Ils passent d’une main de Dieu à l’autre.»
A travers leurs exposés de type universitaire, beaucoup d’intervenants ont voulu, à travers l’histoire, le droit, la théologie, expliciter et fonder les valeurs de tolérance de l’Islam. A travers des discours quelque peu défensifs, on sentait le besoin de donner une bonne image de l’Islam, pour contrecarrer l’image négative qui est trop souvent renvoyée de l’Islam en Occident et qui fait vraiment souffrir les musulmans.
Le Cardinal Barbarin a rappelé combien il était marqué par son pèlerinage à Thibhirine, en février 2007, avec une délégation islamo-catholique de la Région Rhône-Alpes. Il a pu témoigner de ce que cela peut produire, quand « s’entre-connaître » va jusqu’à l’admiration de la foi de l’autre, quand on a pu et su la partager : « le dialogue interreligieux ne progresse que si notre relation est habitée par une admiration commune. (…) Les conversions sont un point difficile et douloureux. Je plaide pour une discussion fondée sur l’amitié. (…) La seule question, au jour du jugement, sera sur l’amour et la miséricorde. C’est à la miséricorde qu’on nous reconnaîtra comme des croyants. »
Quant au pasteur Claude Baty, il a abordé la situation des chrétiens évangéliques algériens, à la fin de son intervention : « Il est trop facile et très injuste de qualifier de sectaires ceux que l’ont veut écarter. Je plaide donc pour que les évangéliques ne soient pas suspects d’avance, et que place leur soit faite dans leur pays. La FPF, en France, est d’avis que l’État ne doit pas se mêler des croyances mais veiller au maintien de l’ordre public, veiller à ce que chacun respecte la loi, ce qui n’est pas rien. Le protestantisme évangélique fait partie du protestantisme. Ce courant insiste, je le notais à l’instant, sur un point que le rend dérangeant, c’est que le croyant est nécessairement un témoin. Leur zèle manque parfois de discernement mais c’est dans le dialogue et la transparence que cela peut s’améliorer. Les protestants en Algérie ne dépendent pas des protestants français, nous n’avons pas de pape. Mais nous suivons avec intérêt, vous le savez, ce qu’ils vivent et les difficultés qu’ils rencontrent. Il me semble, et là encore je reprends une idée de M. Chérif, qu’en leur faisant place comme vous l’avez préparé, vous éviterez les inconvénients de la clandestinité. »
Tous les “mal – entendus” n’ont pas été levés. Comment aider les interlocuteurs musulmans à ne plus utiliser des expressions comme « le monde musulman et l’occident chrétien » qui ne correspondent plus aux réalités actuelles ? Il est aussi toujours difficile de faire comprendre que la parole d’un évêque ou d’un responsable religieux chrétien n’est pas sur le même plan que celle d’un homme politique. On peut se réjouir que des algériens chrétiens aient été invités, y compris des pasteurs algériens évangéliques, mais regretter qu’ils n’aient pas été invités à intervenir.
Voilà la conclusion du Pasteur Baty : « À la fin de ce colloque, j’exprime ma reconnaissance parce que la vérité a pu être dite dans le respect mutuel ; les relations ont été confiantes. Mon vœu est que ce colloque marque une étape dans la mise en œuvre des belles intentions annoncées et qu’il permette désormais un travail concret en commun. »
Et l’appréciation de Mgr Paul Desfarges : « Après le colloque, la presse arabophone insiste sur la réaction du Ministre des affaires religieuses défendant la légitimité de l’Ordonnance de 2006 qu’il n’est donc pas question de supprimer. Mais, les sensibilités s’étant apaisées, il restera de ce colloque un moment de rencontre et de débats en vérité. Un pas réel d’ouverture. »
Le ministre comme les autres participants ont souligné le climat de franchise, de la part des chrétiens les choses ont été dites sans langue de bois et entendues par leurs interlocuteurs. Un tel débat n’aurait pas été possible il y a 3 ou 4 ans. Souhaitons que cette rencontre soit suivie d’effets !
P. Christophe Roucou, Directeur du Service des relations avec l’islam, SRI, Conférence des évêques de France.